Billeder på siden
PDF
ePub

LA DÉESSE.

SUR UNE PERSONNE A QUI L'AUTEUR A VU REPRÉSENTER LA LIBERTÉ DANS UNE DES FÊTES DE LA RÉVOLUTION.

AIR: de la petite Gouvernante.

Est-ce bien vous, vous que je vis si belle,
Quand tout un peuple, entourant votre char,
Vous saluait du nom de l'Immortelle
Dont votre main brandissait l'étendard?
De nos respects, de nos cris d'allégresse,
De votre gloire et de votre beauté,
Vous marchiez fière; oui, vous étiez Déesse,
Déesse de la Liberté.

Vous traversiez des ruines gothiques;
Nos défenseurs se pressaient sur vos pas;
Les fleurs pleuvaient, et des vierges pudiques
Mêlaient leurs chants à l'hymne des combats.
Moi, pauvre enfant, dans une coupe amère,
En orphelin par le sort allaité,

Je m'écriais: « Tenez-moi lieu de mère,
» Déesse de la Liberté. >>

De noms affreux cette époque est flétrie ;
Mais, jeune alors, je n'ai rien pu juger.
En épelant le doux mot de Patrie,
Je tressaillais d'horreur pour l'étranger.
Tout s'agitait, s'armait pour la défense;
Tout était fier, surtout la pauvreté.

Ah! rendez-moi les jours de mon enfance,
Déesse de la Liberté.

Volcan éteint sous les cendres qu'il lance,
Après vingt ans, ce peuple se rendort;

Et l'étranger, apportant sa balance,

Lui dit deux fois : « Gaulois, pesons ton or. »
Quand notre ivresse, au ciel rendant hommage
Sur un autel élevait la beauté,

D'un rêve heureux vous n'étiez que l'image,
Déesse de la Liberté.

Je vous revois, et le temps trop rapide
Ternit ces yeux où riaient les amours;
Je vous revois, et votre front qu'il ride
Semble à ma voix rougir de vos beaux jours.
Rassurez-vous: char, autel, fleurs, jeunesse,
Gloire, vertu, grandeur, espoir, fierté,
Tout a péri; vous n'êtes plus Déesse,
Déesse de la Liberté.

LE MALADE.

(AVRIL 1823.)

AIR Muse des bois, etc.

Un mal cuisant déchire ma poitrine,
Ma faible voix s'éteint dans les douleurs,
Et tout renaît, et déjà l'aubépine
A vu l'abeille accourir à ses fleurs.
Dieu d'un sourire a béni la nature,
Dans leur splendeur les cieux vont éclater.
Reviens, ma voix, faible, mais douce et pure,
Il est encor de beaux jours à chanter.

Mon Esculape* a renversé mon verre,
Plus de gaîté! mon front se rembrunit.

Le célèbre docteur Dubois, à qui l'auteur de ces chansons ne peut témoigner trop de reconnaissauce, et en qui les qualités du cœur égalent la science et l'étonnante habileté.

Mais vient l'amour et le mois qu'il préfère;
Déjà l'oiseau butine pour son nid.

Des voluptés le torrent va s'épandre
Sur l'univers qui semblait végéter.

Reviens, ma voix, faible, mais toujours tendre;
Il est encor des plaisirs à chanter.

Pour mon pays que de chansons encore !
D'un lâche oubli vengeons les trois couleurs *.
De nouveaux noms la France se décore;
A l'aigle éteint nous redevons des pleurs.
Que de périls la tribune orageuse
Offre aux vertus qui l'osent affronter!
Reviens, ma voix, faible, mais courageuse,
Il est encor des gloires à chanter.

Puis j'entrevois la Liberté bannie;
Elle revient despotes, à genoux !
Pour l'étouffer, en vain la Tyrannie
Fait signe au Nord de déborder sur nous.
L'ours effrayé regagne sa tanière,
Loin du soleil qu'il voulait disputer.
Reviens, ma voix, faible, mais libre et fière,
Il est encor un triomphe à chanter.

Que dis-je, hélas! oui, la terre s'éveille,
Belle et parée, au souffle du printemps;
Mais dans nos cœurs le courage sommeille.
Chargé de fers, chacun se dit: J'attends!
La Grèce expire, et l'Europe est tremblante;
Seuls, nos pleurs seuls osent se révolter.

*A l'époque où cette chanson fut faite, on avait banni du salon de peinture les tableaux où M. Horace Vernet a si bien représenté les beaux faits d'armes de la révolution. On a senti, cette année, le ridicule d'une pareille mesure.

Reviens, ma voix, faible, mais consolante,
Il est encor des martyrs à chanter.

LA COURONNE DE BLUETS.

AIR: J'ai vu partout dans mes voyages.

Du ciel j'arrive, et mon voyage
Nous épargne à tous bien des pleurs.
Beauté folâtre autant que sage,
Ne jouez plus avec des fleurs.
Sachez qu'hier, la panse ronde,
Et l'œil obscurci par Bacchus,
Jupin a cru,
dans notre monde,

Voir une couronne de plus.

A la colère il s'abandonne :
-L'abus, dit-il, devient trop fort.
Encore un front que l'on couronne,
Quand le faiseur de rois est mort!
Sur ce front lançons mon tonnerre;
Du faible enfin vengeons les droits.
Je veux voir un jour, sur la terre,
Les rois sujets, les sujets rois.
Dans son conseil alors j'arrive :
(Où les rimeurs n'entrent-ils pas? )
En joue il vous met sans qui vive;
Mais je l'aborde chapeau bas :

Jupin, de ton arrêt j'appelle,
Ta balance et tes poids sont faux.
Ta cour de justice éternelle
A-t-elle eu ses gardes-des-sceaux?

Braque tes lunettes, vieux sire,
Sur le front couronné

par nous;

De la candeur c'est le sourire,
De la bonté c'est l'oeil si doux.
Lorsque les carreaux de son foudre
Chez nos sourds passent pour muets,
Jupin ne mettrait-il en poudre
Qu'une couronne de bluets?

Oh! oh! dit-il; qu'allais-je faire!
Ailleurs frappons, mon foudre est chaud.
- Frappe; mais sur notre hémisphère
Vise donc plus bas ou plus haut.
Heureux d'avoir su vous défendre,
J'accours des célestes donjons;
Quant à Jupin, je viens d'apprendre
Qu'il a foudroyé deux pigeons.

L'ÉPÉE DE DAMOCLÈS.

AIR A soixante ans, etc.

De Damoclès l'épée est bien connue;
En songe, à table, il m'a semblé la voir.
Sous cette épée et menaçante et nue,
Denis l'Ancien me forçait à m'asseoir.
Je m'écriais: Que mon destin s'achève,
La coupe en main, au doux bruit des concerts.
O vieux Denis, je me ris de ton glaive*,
Je bois, je chante, et je siffle tes vers.
Servez! disais-je à messieurs de la bouche:
Versez ! versez! messieurs du gobelet.

*Denis l'Ancien, tyran de Syracuse, était, comme on sait, un métromane déterminé : il envoyait aux carrières ceux qui ne trouvaient pas ses vers bons. Quant à l'histoire du festin de Damoclès, elle est trop connue pour qu'il soit besoin de la rapporter ici.

« ForrigeFortsæt »