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voituriers se sont assis sur le fourneau et, la pipe aux dents, conversent dans leur idiome étrange et presque incompréhensible.

Notre convoi arrive bientôt et une nouvelle bande de voituriers envahit l'auberge. Le soir, nos gens se placent à nos côtés, près des chaudières, et commencent, selon l'habitude chinoise, une interminable conversation. Les Lao-si-eurl, à la vive lueur du foyer, se promènent, étranges dans leurs courts manteaux rayés; on se croirait ramené au temps de leur ancêtre Fou-hi. Quelques-uns portent des manteaux de feutre imperméables, en poil de chèvre ou en laine de mouton, d'où l'eau ruisselle comme d'une toile cirée. Les Lao-si-eurl de ces parages sont riches: bien qu'ils n'aient pas d'arbres fruitiers, ils possèdent des champs cultivés, des potagers où poussent surtout des oignons; enfin ils tirent leur principal revenu du transport des marchandises à Kouren et à Kiakhta. Leurs colonies s'appellent, d'après le nombre des maisons: colonies de 50, de 40 maisons, etc. Ils sont administrés par un bureau spécial, le Li-chi-fou, dont le siège est à Kalgan.

6 mai.

Nous partons avant le lever du soleil et, sous un vent violent, nous gravissons de petites collines, au bruit d'un torrent éloigné.

A 7 heures, nous arrivons à la première station mongole, Tchagandolgai, située au milieu de vertes hauteurs, non loin de la base d'une saillie qui mène aux plateaux de Mongolie. Le bâtiment de la station, enclos de murs, ressemble à un petit temple chinois; les chambres et l'ameublement sont propres et confortables; des fourneaux bas sont disposés sur toute la longueur des chambres; la cour est pavée de carreaux de grès. Décoration picturale, architecture, inscriptions, tout est chinois. A l'exception d'un serviteur lao-si-eur, il n'y a pas ici un seul Mongol. Un bitkhechi arrive bientôt d'un campement voisin. Désormais c'est à des fonctionnaires mongols que nous aurons toujours affaire, aux stations. Ils sont au nombre de quatre le tchjangin (2) (inspecteur), le koundou (3) (inspecteur adjoint, chargé de donner les ordres), le bitkhechi (secrétaire de station) et le bochko (sorte de sergent-major). Les postillons

(1) Tsagūn tologòï. (Note de M. Pozdnićev.)

(2) Tszangin (idem).

(3) Khündüi (idem).

se nomment oulatsi (1) et les serviteurs galtsi (2). Tous reçoivent une solde du trésor à Kalgan. Ils doivent entretenir à la station un certain nombre de chevaux et de chameaux et fournir aux fonctionnaires de passage, selon le grade, un mouton, un demi-mouton, ou simplement un gigot.

En pays tsakhar, les bagages sont transportés sur des charrettes à bœuf à deux roues, grossièrement façonnées; les roues sont faites de pièces de bois assemblées et tournant avec l'essieu. Des oulatsi en haillons nous amènent jusqu'à trente de ces véhicules. Nous quittons la station à 10 heures du matin pour nous diriger vers la saillie montagneuse; il y a de la neige sur les sommets voisins. La montée est courte mais raide; au pied s'élève un temple consacré à Kouan-lao-iè, où les fonctionnaires de passage viennent faire leurs adorations avant d'entrer dans la steppe mongole. La pente gravie par une route pierreuse et sale, nous débouchons sur un plateau couvert de neige. Nous passons près d'un obò de pierre en forme de table et qui semble marquer un contraste avec le dernier temple chinois. C'est ici que se termine la montée de Kalgan, la deuxième après Koan-k'eou.

Au nord et au nord-ouest, le plateau s'étend sans bornes, de loin en loin coupé de collines. Nous faisons 3 verstes sur la neige, puis nous pénétrons dans de longues excavations couvertes d'une herbe verdoyante. La nature a complètement changé d'aspect : le pays est -plus fertile, l'air plus pur et plus frais; les ombres rapides des nuages chassés par le vent dessinent sur les champs verts d'étranges mirages de villes et de carrés de labours; sur la gauche, les plus hautes collines découvrent leurs sommets neigeux; les plus éloignées ressemblent à des croissants étincelants de lumière. Çà et là des tentes de nomades (des iourtes), parfois des huttes; sur les collines voisines se dressent des obò; nulle part un arbuste ni le moindre filet d'eau courante; la route même n'a pas d'ornières : nous marchons, à l'aventure, vers ce qui nous semble le plus facile et le plus court. Après avoir franchi la dernière colline, nous descendons peu à peu vers la station de Bourgassoutaï. Bien qu'il ne soit que midi, nous nous décidons à y passer la nuit, car notre convoi à bœufs ne doit arriver qu'assez tard.

(1) Oulatchi. (Note de M. Pozdniéev.) (2) Galtchi (idem).

La station comprend une petite cour et trois chambres plus commodes et plus propres que dans la plupart des hôtelleries chinoises. Elle est située à la base d'une des collines qui ondulent la steppe mongole coupée à pic vers le sud, cette colline s'en va en pente douce vers le nord, mais la base septentrionale en est plus élevée que le pied du versant méridional.

Une telle disposition géographique permet d'attendre de l'eau en abondance: la station est, en effet, arrosée par une petite rivière, qui coule du nord-ouest au sud-est. Du haut de la colline, on aperçoit distinctement, au sud, la chaîne de montagnes qui forme la frontière naturelle de la Chine et de la Mongolie; elle est couverte de neige jusqu'à mi-côte. A l'est et au nord, la plaine est unie; à l'ouest, l'horizon est bordé par des hauteurs.

La colline de Bourgassoutaï est reconnaissable à la chapelle qui s'élève à l'extrémité occidentale et à l'obò en forme de table qui en surmonte la partie orientale. Vue de la plaine, cette chapelle semble un grand et beau kiosque : en réalité, ce n'est qu'un petit édifice d'architecture chinoise, élevé sur un socle en briques et renfermant l'idole du dragon des eaux de la petite rivière qui baigne le pied de la colline. L'obò en forme de table comprend, suivant l'usage, trois étages superposés et de grandeur décroissante; tout autour, des perches dressées et d'autres petits obò en forme de pyramides. Aux perches pendent des nom, lambeaux de toile couverts d'exorcismes tibétains en caractères imprimés, des paquets de crin de cheval, des couteaux de bois, etc.; des omoplates de mouton avec l'inscription om! sont parsemées sur le sol; devant l'obò, on aperçoit une grande pierre creusée au ciseau pour déposer les victimes et brûler les parfums. Rien de plus simple, on le voit, que ces temples de la steppe. Les obò de cette sorte sont cependant plus rares que les obò en forme de pyramides: ceux-ci couvrent toutes les hauteurs de la Mongolie, et leur élévation répond à peu près exactement à celle même des collines qui les portent.

Les Mongols de cette localité parlent assez bien le chinois; ils nous disent que Dolon-nor est à deux jours de marche à l'est. Les rapports qu'ils entretiennent avec les Chinois sont d'ailleurs étranges la haine qu'ils ont pour eux est égale au mépris que ceux-ci leur témoignent.

7 mai.

Nos véhicules sont soumis à une transformation complète : désormais nous voyagerons exclusivement à la mongole. Essieux chinois et harnais mis de côté, les caisses sont affermies sur de nouveaux essieux de 8 pieds de long: cette longueur des essieux permet une allure rapide, sans danger que la voiture ne se renverse. A chaque brancard sont fixées des courroies maintenant une longue perche transversale. Deux postillons ajustent les bouts de cette perche à leur selle, puis, au cri de Pochó! (en russe: noшea! « en avant» (1)), ils partent au galop. En route, nous avons changé plusieurs fois de chevaux, et à chaque fois les brancards tombaient à terre, de sorte que, par contre-coup, la perche frappait assez brutalement le flanc des postillons.

Nous gravissons d'abord une montée pierreuse; puis, franchissant quelques collines, nous découvrons une large plaine trouée de petits lacs. A gauche, nous apercevons un temple à deux étages flanqué de constructions adjacentes en grand nombre; il y a, parait-il, jusqu'à cinq cents lamas dans ce temple et la renommée s'en étend au loin en Mongolie.

Nous cheminons dans la plaine et, à midi, nous atteignons la station de Khalioutaï. La maison de poste ne comprend que trois mauvaises petites chambres. Plus loin, la route est unie jusqu'à une colline du haut de laquelle on aperçoit de nouveau une petite vallée toute scintillante de lacs. Au pied de cette colline, du côté du nord, la station d'Orotaï, avec ses trois chambres dont les murs et le plancher sont en argile battue. Nous y trouvons un Lao-si-eurl qui colporte des pommes de terre russes dans une voiture à deux roues : il les vend 3 kopeks-papier le kin.

8 mai.

Nous partons de la station dès le matin. Nous gravissons une colline, pour passer de nouveau sur une autre, après avoir franchi une longue plaine. Du haut de ces collines, la vallée paraît bornée au loin par de hautes montagnes, avec une rivière argentée à leur pied; mais, à mesure qu'on approche, les montagnes s'abaissent et se transforment en simples élévations; ce qui semblait une rivière

(1) Bouchoul! Dépêche! Vivement! (Note de M. Pozdnićev.)

n'est plus qu'une bande de terrain éclairée par le soleil. L'air est très pur; c'est seulement en approchant de Kouïssoutaï que nous apercevons une légère fumée d'argal. Les chambres de la station. sont meilleures qu'à Orotaï; les murs sont blanchis, et l'un de ces murs porte la trace de peintures chinoises. Vers midi, un vent terrible se déchaîne et menace de renverser notre logement. Deux de nos charrettes à bœuf sont restées en détresse dans les chemins détrempés par la pluie; on leur envoie du renfort, et ce retard nous oblige à coucher ici. Dans les précédentes stations, l'eau était bonne; ici, elle est extrêmement mauvaise.

9 mai.

Le soleil se lève radieux; il éclaire la vallée dont les bas-fonds sont couverts de deressou (1) aux touffes hérissées comme des soies de porcs, abri pour les oiseaux chanteurs et les grues. Nos bagages sont chargés sur des chameaux, et nous continuons notre route à plat pays presque jusqu'à la station suivante, Tchjagassoutaï, qui s'élève à mi-côte d'une longue colline, près d'une excavation couverte de touffes de deressou. Cette plante, qui affectionne les basfonds des vallées, indique par sa présence seule que le sol est plus stérile et plus sablonneux. La maison de poste, comme à l'ordinaire, comprend trois chambres. Les Mongols d'ici parlent encore chinois, mais déjà avec un fort accent mongol.

Nos bagages sont chargés à la fois sur des bœufs, des chameaux et des chevaux, et nous quittons la station. Nous gravissons une colline plate et nous apercevons, dans les bas-fonds, des dépôts de sel d'une éclatante blancheur; nous croisons quelques chemins, puis nous gravissons une autre petite colline du haut de laquelle nous découvrons une vallée bornée au nord par la chaîne déserte du Mingaï; à gauche, on aperçoit quelques tentes : c'est le campement du tchjalan (colonel) mongol. La station se nomme Mingaï, du nom de la chaîne voisine; les chambres en sont très confortables, propres et commodes. Le tchjalan nous rend visite en sa qualité d'inspecteur des stations suivantes. Il nous annonce le prochain départ de Koei-ta-jen, commandant en chef à Ouliassoutaï; il y doit être remplacé par To-ta-jen.

(1) C'est le Lasiogrostiss plendens. Kunth. On trouvera dans le livre de Przewalski une description et un dessin de cette plante. (Saint-Pétersbourg, 1883, p. 37.) Przewalski écrit dyrissoun, Potanin deryssoun. (Note de M. Bretschneider.)

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