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EXPLORATIONS FRANÇAISES

À L'INTÉRIEUR DE LA GUYANE

PENDANT LE SECOND QUART DU XVIII SIÈCLE (1720-1742)

PAR M. HENRI FROIDEVAUX,

professeur agrégé de géographie et d'histoire au lycée de Vendôme.

L'histoire des explorations exécutées à l'intérieur de la Guyane française avant le XIX° siècle est encore assez peu connue; les noms de bien des pionniers, qui se sont avancés fort loin dans le pays et qui ont gagné les monts Tumuc-Humac ou les sources des affluents guyanais de l'Amazone, ne sont cités nulle part. TernauxCompans, dans sa Notice historique sur la Guyane française, déjà ancienne (), s'est exclusivement occupé de l'histoire même de notre colonie et n'a nullement cherché à en retracer l'histoire géographique; M. William Huber, quand il a fait en 1880 à la Société de géographie, dans son Rapport sur le Concours au prix annuel, un rapide retour sur les explorations exécutées en Guyane avant le regretté docteur Crevaux (2), a presque uniquement parlé de voyages effectués au XIXe siècle. Ainsi les expéditions antérieures sont aujourd'hui, pour la plupart, tombées dans l'oubli.

Mes recherches sur la géographie et l'histoire de la Guyane française m'ont permis de retrouver, dans un document manuscrit du xvIII° siècle (3), la mention de quelques-uns de ces voyages; grâce à d'heureuses et multiples trouvailles, il m'a ensuite été possible d'en augmenter le nombre, parfois même d'en reconstituer plus ou

(1) Paris, 1843, 190 p., in-8.

(2) Bull. Soc. géog., juin 1880, p. 503 et 506.

(3) « Mémoire des Irruptions des Portugais du Para Sur les terres de la Guiane dependantes de La France, et L'extrait de ce qu'on a pu tirer de la Relation ou journal verbal des voiageurs qui ont été dans Le haut des terres et des Rivieres (Bibl. nat.,-ms. fr. 6235, p. 13-18). Nous publions ce document au no 1 des Pièces justificatives.

moins l'itinéraire, et d'acquérir la certitude que, bien avant les explorateurs de notre époque, dès la première moitié du xvi11° siècle, des pionniers français ont reconnu une partie des territoires sur lesquels des voyageurs contemporains nous ont récemment fourni des renseignements qu'on a considérés comme les premiers. Il y a là un fait nouveau, intéressant à la fois pour le géographe, pour l'historien de la géographie et pour l'historien de la colonisation française. Aussi peut-il paraître bon d'y insister un peu longuement et de retracer, à l'aide des documents, cet épisode encore ignoré de l'histoire des découvertes.

I

De ces voyages vieux de plus de cent cinquante ans maintenant, les premiers sont dus à l'intelligente initiative du gouverneur de la Guyane entre 1716 et 1729, le capitaine de frégate Claude de Guillouet, seigneur d'Orvilliers, qui (a dit un des meilleurs historiens de la colonie, le docteur Artur) « faisait assez tout ce qui dépendait de luy, pour reconnoistre l'intérieur des terres dans l'étendue de son gouvernement et pour decouvrir les mines qu'elles pouvoient renfermer (1)». Bien que, suivant le même auteur, d'Orvilliers manquât d'hommes capables de les parcourir fort utilement (2)», il ne laissa pas de faire tout son possible pour accroître ses connaissances sur le pays qu'il administrait; des officiers, des sous-officiers lui rendirent surtout service à cet égard.

Le point de départ des expéditions à l'intérieur fut le rapport que fit au gouverneur, au mois d'août de l'année 1719, en revenant de Para, un aide-major de la colonie, M. Constant. En 1718, un officier portugais était venu à Cayenne; au cours de conversations qu'il eut avec Constant à Para, il l'assura qu'il y avait des mines d'or dans les montagnes d'Approuague: « ce sont des montagnes qui se pellent, et c'en est la marque (3).

Immédiatement, dans une lettre en date du 30 août 1719, M. d'Orvilliers transmit ce renseignement au Conseil de Marine,

(1) Histoire des Colonies françoises de la Guianne, t. I, p. 422 (Bibl. nat., ms. n. acq. fr., 2571).

(2) Id., ibid.

(3) Lettre de M. d'Orvilliers, 30 août 1719: «L'officier Portugais qui vint l'année passée à Cayenne a assuré le S Constant qu'il y avoit des Mines dans les Montagnes d'Approuague; ce sont des Montagnes qui se pellent, et c'en est la marque» (Arch. colon., C14, t. 12, fol. 58).

sans l'accompagner du moindre commentaire; mais déjà, dans une lettre écrite six mois plus tard, le 20 février 1720 (1), il demande au même Conseil de vouloir bien ordonner un fonds pour la dépense d'une somme de 1,000 livres destinée surtout à faire des recherches à l'intérieur du pays. C'est que, dans l'intervalle, il a recueilli des renseignements, et que ces renseignements confirment les dires de l'officier portugais : « à 80 lieües dans le haut de la riviere d'Approuague, écrit-il, il y a une montagne Pelée plaine de sources. Les Indiens disent qu'il y a du Caracoly, ce qui signiffie en leur Langue or ou argent (2). On a aussi raconté à M. d'Orvilliers que les Hollandais avaient « trouvé de la mine d'argent » au xvir siècle, aux environs de l'Oyapock, à la Montagne d'Argent (3); en outre, un religieux franciscain débarqué à Cayenne par des forbans, le P. Jean Chrysostome, cordelier de la province de Lisbonne, qui était demeuré pendant six ou sept ans au Brésil et prétendait <connoistre les terreins qui produisent des Mines», déclarait avoir relevé de fortes indices qu'il y en avoit dans le terrain des pères Jésuites» à Remire (4), et une dame Boulanger, voisine des Jésuites, disait qu'il y a une fontaine ou elle a remarqué de l'or avec le sable dans le beau tems (5)». Non content de faire vérifier ces derniers dires après la saison des pluies, d'Orvilliers voulait aller luimême, ou tout au moins envoyer sur les bords de l'Approuague et de l'Oyapock, afin de savoir exactement à quoi s'en tenir. Voilà pourquoi, malgré le caractère aléatoire de ces recherches, il supliait le Conseil de Marine, d'accord avec l'ordonnateur Lefebvre d'Albon, d'ordonner un fonds pour cette dépense (6) ».

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Dans son désir de savoir rapidement à quoi s'en tenir, le gouverneur ne tarda pas à se rendre lui-même, suivant son projet, << dans Aprouague » avec le P. Jean Chrysostome, pour examiner s'il y avoit apparence qu'il y eût des mines. Ce Religieux, continue

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(1) Arch. colon., C4, t. 12, fol. 32-34; cf. fol. 41-42.

(*) Loc. cit., fol. 32-33; cf. une lettre de Lefebvre d'Albon du 21 février 1720 (id., ibid., fol. 80).

(3) Loc. cit., fol. 33.

(4) Loc. cit., fol. 32: «ll [le religieux portugais] pretend connoistre les Terreins qui produisent des Mines, et il a eu de fortes (sic) indices qu'il y en avoit dans le Terrein des pères Jesuites; les negres le pretendent de même». Cf. la lettre de Lefebvre d'Albon (id., ibid., fol. 79).

(5) Loc. cit., fol. 32.

(6) Loc. cit., fol. 34; cf. fol. 80.

d'Orvilliers, a trouvé le pays beau et propre aux mines; il a fait foüiller dans les rivières et dans les terres; il prétend qu'il doit y avoir des mines d'or, et toutes les apparences y sont». Si le P. Jean Chrysostome n'avait pas été malade, le gouverneur l'aurait même conduit à la Montagne d'Argent; mais il avait beaucoup de peine à marcher, aussi fallut-il y renoncer (1). A plus forte raison ne puton pas lui demander de se rendre dans l'intérieur du pays, dans les montagnes qui sont au haut de la riviere d'Aprouague".

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D'Orvilliers essaya donc de se renseigner d'une autre façon; dès le mois de février 1720, il avait donné ordre à un mulâtre coureur des bois de se rendre dans le haut de l'Approuague, au point que lui avaient signalé les Indiens Acoquas, et d'en rapporter d'exactes observations (2); avant son départ pour la France, où il se rendait avec le P. Chrysostome malade et désireux de se rendre aux eaux de Bourbon-l'Archambault, il renouvela cet ordre (août 1720) (3).

Le nommé Burgos remplit les instructions du gouverneur. Parti le 11 août 1720, il parvenait, vingt-deux jours après son départ, c'est-à-dire le 1er septembre, à la montagne qu'il alloit cherche[r]... Elle a dans son pied, écrit, le 22 octobre 1720, au Conseil La Motte-Aigron, remplaçant M. d'Orvilliers, trois différentes sources dans lesquelles, comme dans le terrain d'alentour, il ne s'est trouvé aucune aparence d'or ny d'argent ()».

Peu de temps après le départ de Burgos, qui avait regagné Cayenne le 22 septembre, partaient de la même ville M. Constant, l'aide-major de la colonie qui avait recueilli de précieux renseignements à Para l'année précédente, et un sieur Gras ou Le Gras, un habitant qui avait accompagné le gouverneur dans son récent voyage aux rivières de Cau, d'Approuague et des Coussaris

(1) Lettre de M. d'Orvilliers, 4 novembre 1720 (Arch. colon., C, t. 12, fol. 96). Cf. id., ibid., fol. 109-110.

(2) Lettre de Lefebvre d'Albon, 21 février 1720: «On a donné avis à M. D'Orvilliers qu'entre les montagnes qui sont au haut de la rivière d'Aprouague, il y en a une aride qui jette une source d'Eau roussâtre, que même les Indiens Acokois habituez dans ces montagnes croient qu'il y a de l'or qu'ils appellent Caracoly. Le Pere Portugais tire d'avantageuses conséquences de la situation et des Indices; et, en attendant la bonne saison, M. D'Orvilliers a ordonné a un Mulâtre Coureur de bois de s'y transporter et d'en rapporter d'Exactes observatio ns" (Arch. col., C1, t. 12, fol. 80).

(3) Cf. la lettre de M. de la Motte-Aigron du 22 octobre 1720 (Arch, colon, C4, t. 12, fol. 16). Voir aussi fol. 126, 141.

-

(4) Loc. cit., fol. 16; cf. 126, 141.

GÉOGRAPHIE,

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et avait vu la manière d'agir du P. Jean Chrysostome (1). C'était encore une expédition que M. d'Orvilliers avait, avant son départ pour la France, recommandé d'organiser et préparée (2); le but en était d'aller visitter si, dans les terres qui se trouvent entre les rivieres d'Arapu et d'Oyapoc, il n'y auroit point d'aparence de mines d'or ou d'argeant (3). Nous avons conservé la relation officielle de ce voyage, due à l'un des deux explorateurs eux-mêmes, au sieur Gras; elle se trouve dans la précieuse collection formée par Moreau de Saint-Méry, sous ce titre interminable qui, à lui seul, indique sur quel terrain ont opéré Constant et Gras: «Journal du Voiage que Les Sieurs Constant et Gras ont fait par L'ordre de Monsieur Dorvilliers, Gouverneur de Cayenne, et que nous avons Executé sous Celuy de Monsieur de La Motte Aigron, Major et Commendent dudit Lieu, pour aller a La decouverte des mines d'or Et dargent depuis la Riviere D'aurapeu, ensuitte traverser par Les terres jusque a Celle De Prouac et dicelle aller dans celle Doyapoc toujours par Les terres (4). "

Partis de Cayenne le 14 octobre 1720, les deux voyageurs commencèrent par recruter dans la rivière d'Oyack leur équipage indien; pénétrant ensuite dans la rivière d'Orapu, ils se mirent à la remonter, leurs préparatifs une fois terminés, à partir du 17 octobre. Parvenus au confluent de l'Orapu et du Mirat, ils suivirent cette dernière rivière, « le bras de rivière quy va a gauche», dit la relation, tantôt en canot, tantôt à pied, en étudiant la nature des terrains qu'ils traversaient. «Les terres nous ont paru tres bonnes et tres propres a fre des sucreries, le terrain estant plat le long de

(1) Gras lui-même nous le dit dans sa relation : « Je puis assurer, moy Gras, qui ay eu l'honneur d'accompagner Monsieur le Gouverneur dans le voiage qu'il a fait par mer il y a environ deux mois avec le Reverand père Portuguais dans les rivieres de Cau, de Prouac et des Coussaris, que touttes les dispositions se trouvent dans celle-cy, je veux dire de la manière que le Reverend père les a montrées a Monsieur le gouverneur, quy, dès ce temps, me chargea de bien observer les remarques que le reverand lui indiquoit..... Les aparences de mines que le Reverand pere portuguais m'a montré à moy, Gras, en présence de Monsieur le Gouverneur..." (Journal du Voiage... Arch. eolon., coll. Moreau de Saint-Méry, F 21).

fol. 97).

(2) Lettre de M. d'Orvilliers, novembre 1720 (Arch. colon., C14, t. 12, (3) Lettre de M. de la Motte-Aigron, 22 octobre 1720 (Arch. colon., C1,

t. 12, fol. 16).

(4) Arch. colon., coll. Moreau de Saint-Méry, F 21, 4 pages in-folio. Pièces justificatives, no 2.

Cf. nos

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