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P. JANNET, ÉDITEUR, RUE DE RICHELIEU, IS

VOLUMES EN VENTE :

s fr.

L'Internelle Consolation, première version française de l'Imitation de Jésus-Christ. Nouvelle édition, publiée par MM. L. MOLAND et Ch. D'HÉRICAULT. I vol. Réflexions, Sentences et Maximes morales de LA ROCHEFOUCAULD. Nouvelle édition, par G. DUPLESSIS. Préface par SAINTE-BEUVE. I vol. s fr. Les Caractères de Théophraste et de La Bruyère, notes par M. A. DESTAILLEUR. 2 Vol. 10 fr. Le Livre du Chevalier de La Tour Landry, pour l'enseignement de ses filles, publié d'après les manuscrits par M. A. DE MONTAIGLON. I vol. s fr. Gerard de Rossillon, poème provençal, publié par M. FRANCISQUE MICHEL. I vol. s fr. Le Dolopathos, recueil de contes en vers, du XIIe siècle, par HERBERS, publié d'après les manuscrits par MM. Ch. BRUNET et A. DE MONTAIGLON. I VOlume. s fr. Floire et Blancheflor, publié par M. Edelestand DuMÉRIL. I Vol. s fr. Recueil de poésies françoises du quinzième et du seizième siècle, morales, facétieuses, historiques, revues sur les anciennes éditions et annotées par M. A. DE MONTAIGLON. Tomes I-VI. Chaque volume. s fr. 2 fr. JACOB, s fr.

Chansons de Jehannot de LESCUREL. I vol. Euvres de François VILLON, publiées par P. L. bibliophile. 1 vol.

Poésies de Guillaume COQUILLART, revues et annotées par M. Charles D'HÉRICAULT. 2 vol. 10 fr.

Œuvres de Roger DE COLLERYE. Nouvelle édition, par M. Ch. D'HÉRICAULT. I vol. Œuvres complètes de RONSARD, avec variantes et notes. Tomes I-II. 10 fr.

s fr.

Les Tragiques, de Théodore-Agrippa D'AUBIGNÉ. Edition annotée par M. Ludovic LALANNE. I vol. fr. Œuvres de Mathurin REGNIER, avec les commentaires revus et corrigés, précédées de l'Histoire de la Satire en France, par M. VIOLLET LE DUC. I volume. s fr. OEuvres complètes de RACAN, revues et annotées par M. TENANT DE LATOUR. 2 vol. 10 fr. Œuvres complètes de THEOPHILE. Notice biographique par M. ALLEAUME. 2 vol. 10 fr. Euvres complètes de SAINT-AMANT. Nouvelle édition, par M. Ch. L. LIVET. 2 vol. 10 fr.

Euvres choisies de SENECÉ. Nouvelle édition, publiée par MM. Emile CHASLES et P. A. CAP. I vol. s fr. Œuvres posthumes de SENECÉ, publiées par MM. Emile CHASLES et P. A. CAP. I vol. s fr. Euvres de CHAPELLE et de BACHAUMONT, publiées par M. T. DE LATOUR. I vol. 4 fr. Ancien théâtre françois, ou Collection des ouvrages dramatiques les plus remarquables depuis les Mystères jusqu'à Corneille, publié avec des notices et éclaircissements. 10 vol. Chaque volume. s fr. Histoire de la vie et des ouvrages de CORNEILLE, par M. J. TASCHEREAU. I vol. s fr. Mélusine, par Jehan d'Arras; édition publiée par M. Ch. BRUNET. I vol. s fr. Le Roman de Jean de Paris. Nouvelle édition, revue et annotée par M. Emile MABILle. I vol. 3 fr. Le Roman bourgeois, par FURETIÈRE; annoté par MM.

Ed. FOURNIER et Ch. ASSELINEAU. I vol. s fr. Le Roman comique, par SCARRON, revu et annoté par

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Les Caquets de l'Accouchée. Nouvelle édition par MM. Edouard FOURNIER et LE ROUX DE LINCY. I vol. s fr. Le Dictionnaire des Précieuses, par SoMAIZE. Nouvelle édition augmentée de divers opuscules relatifs aux Précieuses, et d'une Clef historique et anecdotique, par M. C. L. LIVET. 2 vol. 10 fr. OEuvres de Bonaventure DES PÉRIERS, revues et annotées par M. Louis LACOUR. 2 vol. Io fr.

Tome I: Euvres diverses et Cymbalum mundi. Tome II Nouvelles Récréations et joyeux Devis. OEuvres complètes de LA FONTAINE, revues et annotées par M. MARTY-LAVEAUX. Tome II. Contes. s fr. Le tome contiendra les Fables, les tomes III et IV, le Théâtre et les autres œuvres. Relation des trois ambassades du comte de Carlisle, en Russie, en Suède et en Danemarck. Nouvelle édition, avec préface et notes par le prince Augustin GALITZIN. I vol. s fr. Histoire du Pérou, traduite de l'espagnol sur le manuscrit inédit du P. Anello OLIVA, par M. H. TERNAUX-COMPANS. 1 Vol.

3 f.

s fr. Mémoires de Henri DE CAMPION, Suivis d'un choix des Lettres d'Alexandre DE CAMPION. Notes par M. C. MOREAU. I vol.

Les aventures du baron de Feneste, par D'AUBIGNÉ. Edition revue et annotée par M. Prosper MÉRIMÉE, de l'Académie française. i vol.

s fr. Les Courriers de la Fronde en vers burlesques, par SAINT-JULIEN, annotés par M. C. MOREAU. 2 volumes. 10 fr. Mémoires de la Marquise de COURCELLES, notice et notes, par M. Paul POUGIN I vol. 4 fr. Mémoires de Madame de LA GUETTE. Nouvelle édition, par M. C. MOREAU. I vol. s fr. Mémoires et Journal du marquis D'ARGENSON, ministre des Affaires Étrangères sous Louis XV, annotés par M. le marquis D'ARGENSON. Tomes I-III. Le vol. 5 fr. Variétés historiques et littéraires, Recueil de pièces volantes rares et curieuses, en prose et en vers, revues et annotées par M. Edouard FOURNIER, Tomes I-VII. Chaque vol.

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LA

CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE

CRITIQUE. BEAUX-ARTS. ÉRUDITION.

2e année. No 5.

5 mars 1858.

Pour tout ce qui regarde la rédaction et l'administration, s'adresser à M. LUDOVIC LALANNE, directeur-gérant.

SOMMAIRE.

Lettres inédites de Sismondi à Mme de Lasteyrie, 97. — C. Du BouZET. L'autobiographie d'un gentilhomme mahométan, 101.-M. AVENEL. De l'administration en France sous Richelieu, par M. Caillet, 103. — C. THÉRION. Une nouvelle édition de Vauvenargues, 106. MOLAND et d'HÉRICAULT. Lettre sur les origines de l'Imitation de Jésus-Christ, 108. -LUD. LALANNE. Livres nouveaux : les Nobles et les Vilains du temps passé, par M. Chassant; Conclusion pour Alaise, par M. J. Quicherat; le Niger et les explorations de l'Afrique centrale, par M. F. de Lanoye; Voyage d'une femme autour du monde, par Mme Ida Pfeiffer; Mémoires historiques : Saint-Simon, Dangeau, Mlle de de Montpensier, la Bibliothèque elzevirienne, 109. — Questions et réponses, 114. G. MASSON. Nouvelles littéraires de la Grande-Bretagne, 114.- Erratum, 115. Bulletin bibliographique. Recueil des plaisants devis, 115. Pétersbourg et Moscou, par M. L. GoDARD, 115. Bluettes, par un Touriste, 116. Contes des montagnes, par M. A. MICHIELS, 117. Publications nouvelles. Livres français 117. Journaux français, 118.— Périodiques français, 118.

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LETTRES INÉDITES DE SISMONDI A MADAME DE LASTEYRIE. Dans notre numéro du 5 octobre dernier, nous avons fait connaître à nos lecteurs un volume trèsintéressant contenant le journal et d'assez nombreux fragments de la correspondance de Sismondi. Aujourd'hui, nous pouvons leur offrir plusieurs lettres complètement inédites du savant historien. Comme les précédentes, elles montrent à la fois l'élévation de son esprit et de son caractère, la tendresse de son cœur et l'attachement profond qu'il avait voué à la France qui, pourtant, n'était pour lui qu'une patrie d'adoption. Ces lettres écrites à l'une des époques les plus douloureuses de notre histoire, de 1815 à 1820, sont adressées à une amie digne de lui, à madame de Lasteyrie, qu'il avait connue à Paris, et avec laquelle il se lia plus inti- | mement lors d'un séjour qu'elle fit en Toscane, où

1858.

lui-même était allé passer quelque temps auprès de sa mère. Nous en devons la communication à M. Ferdinand de Lasteyrie, qui voudra bien recevoir ici tous nos remercîments.

Copet, 2 septembre 1815.

Vous avez eu, madame, la bonté de songer à moi, de témoigner de l'inquiétude sur le retard de mes lettres et sur l'accueil que je recevrai dans mon pays. Sans doute je ne dois pas espérer d'y trouver ce parfait accord de sentiments et de pensées qui me rendaient si chers le petit cercle que nous avons formé quelquefois chez vous. Il y a quelque chose de plus roide dans l'amitié génevoise. On trouve de tous les côtés des barrières entre soi et les autres, et l'abandon est presque impossible.... Mes amis de Genève me donneront toujours à regretter ceux de Paris dont je m'éloigne, mais je n'ai eu cependant qu'à me louer d'eux. Je m'étais complétement écarté de leur parti et de leurs opinions; ils n'en ont pas moins mis beaucoup de vivacité à me défendre, beaucoup de soins à m'entourer, à me soutenir au moment où je reparaissais dans les conseils et à m'éviter tout ce qui aurait pu être désagréable. Ainsi, quant à ce qui ne regarde que moi, j'ai lieu de me louer de la condition où je me trouve; mais en suis-je moins triste, moins abattu? Ah! non; cette pauvre France, cette malheureuse France, ces milliers de familles que l'on réduit à la misère et au désespoir; ce système qui se développe toujours plus d'écraser toute liberté civile et religieuse; ces effroyables persécutions des protestants à Nîmes, des libéraux à Toulouse, elles me causent un accablement de douleur dont je ne puis me relever. Avant de quitter Paris, j'avais une plus grande confiance dans les forces nationales des campagnes. J'espérais que plus on courbait l'arc, plus on lui donnait de ressort ; mais en traversant ces campagnes j'ai été confondu de voir

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combien la population était rare et clair-semée, combien surtout l'âge viril manquait dans les villages, et quelque désirable qu'il soit pour la nation française de rejeter le joug prussien de dessus sa tête, j'en suis venu à craindre plus encore une tentative de soulèvement, qui mènerait infailliblement à l'écrasement et au partage, que la continuation de l'oppression. Il n'y a qu'une espérance au monde pour la France, c'est la discorde entre ses ennemis. D'autre part, rien ne serait désirable comme la concorde entre les Français. Mais comment y parvenir, lorsque le parti qui s'associe à l'étranger redouble tous les jours ses provocations?... Les haines sont parvenues à ce degré où une pacification ne peut être fondée que sur une victoire; car on se réconcilie beaucoup mieux avec ceux avec qui l'on s'est battu en règle, qu'avec ceux que l'on a toujours continué à menacer. Bon Dieu, que tout cela est sombre! D'aucun côté on ne découvre une issue à ce labyrinthe.

Genève, vendredi 13 octobre 1815.

Vous ne voulez point, madame, que je parle de votre courage. Il me frappe cependant toujours plus, et c'est justement parce qu'il ne vous coûte aucun effort qu'il est plus remarquable. J'ai eu de bonne heure l'expérience du genre de peine que vous éprouvez. Ce que vous dites de votre regret pour le cheval de votre fils (1) l'a ramené plus fortement à ma mémoire. Je n'avais pas huit ans, mais dix-neuf ans, lorsqu'il fallut aussi renoncer à mon cheval par le bouleversement de notre fortune. Je l'oubliai bien vite alors; il l'oubliera encore plus vite. C'est l'avantage de la jeunesse, et plus encore de l'enfance, de pouvoir rompre facilement toutes les habitudes, et heureusement celles de la richesse ne sont presque jamais nécessaires ni au développement de l'esprit ni à celui du corps. Si l'on avait assez de sagesse pour choisir ainsi, il y a peut-être plus à gagner qu'à perdre, en élevant son fils pour la pauvreté, et en lui donnant, dès les premières années où son esprit prend son essor, le besoin de s'être utile à lui-même, de profiter de ses facultés au lieu de les dépenser. Il y a dans la jeunesse une activité prodigieuse qui doit être employée. Le penchant naturel de cha

(1) Mme de Lasteyrie, par suite de revers de fortune, avait été obligé de vendre le cheval de son fils.

que homme ne le porte point au delà du moment présent; les succès du monde, les espérances du jour le captivent tout entier, s'il n'a aucun souci à prendre de sa fortune. Celui, au contraire, qui sait qu'il doit faire son chemin dans la vie, ne fait pas un pas aujourd'hui qui ne lui profite demain. Le premier peut montrer tout autant d'aptitude d'esprit, de talent, mais il n'accumule pas, tandis que tout s'accumule pour le second, et que chacun des efforts qu'il a faits le rend plus propre à en faire un autre. J'ai, parmi ceux qui ont été mes camarades d'études, plusieurs hommes sur qui je puis observer l'effet de ce puissant aiguillon. Ils ont presque prospéré dans le monde en raison inverse de leurs ressources pécuniaires. Il s'en faut bien que la même observation puisse s'appliquer aux femmes.

C'est aussi dans un moment de calamité publique que nous perdîmes notre fortune, et certainement la perte en devient moins douloureuse. Ce n'est point par aucune dureté de cœur, par aucune envie de voir souffrir les autres alors qu'on souffre, mais tout simplement parce que les neuf dixièmes des dépenses que nous faisons, se font pour la société et non pour nous-mêmes. Quand tout le monde est ruiné, quand on peut l'être surtout sans cesser d'être de bon ton, il se trouve qu'après tout on n'a pas perdu grand chose; car ce qui est vraiment nécessaire se renferme dans de bien étroites limites; et celui-là, je l'espère, vous ne craignez point de le voir manquer. Mais s'il fallait des calamités publiques pour vous distraire, hélas! vous n'en avez que trop, et il n'y en a encore que trop dans l'avenir qui nous attendent. Je m'attends à ce que le traité de paix soit le plus honteux possible, mais ce n'est pas lui qui fera les destinées de la France. On sait bien qu'il n'y a de traités durables que ceux que la modération a dictées. Celui-ci ne pourra subsister qu'autant que toutes les autres puissances seront en paix. Où qu'il éclate une guerre en Europe, c'en sera assez pour que la France renaisse. Vous m'annoncez aussi, madame, l'ouverture de toutes les lettres, et c'est toujours à l'imitation de l'Angleterre. Toutes les fois qu'on fera une chose bien rigoureuse, bien vexatoire, on ne manquera pas de dire: on fait comme cela en Angleterre. Il est pourtant essentiel de savoir comment on fait en effet. Une loi a déclaré félonie, ou crime punissable de mort, l'acte de décacheter une lettre sans autorisation

officielle. Lors donc que le Conseil privé, auquel seul ce droit est réservé, croit essentiel de suivre quelque complot, il donne l'ordre de décacheter toutes les lettres, et les directeurs, pour n'être pas pendus, sont obligés d'appeler des témoins, de faire l'ouverture avec toutes les formalités judiciaires, de recacheter avec le sceau de l'État, et de donner ainsi aux particuliers toutes les garanties imaginables contre ces abus de police. Une pareille mesure ne peut jamais être bien longue. Il serait fort heureux, sans doute, si les mêmes lois existaient en France.

Genève, 30 novembre 1815.

Vous êtes d'une bonté parfaite pour moi, madame, et dans l'intérêt que vous daignez prendre à mes résolutions, et dans l'inquiétude que vous me témoignez, et dans les conseils de prudence que vous m'adressez.... Hélas! ce n'est plus la terre où je vais qui est celle du despotisme; c'est celle que j'ai quittée il y a quatre mois. Je ne verrai point dans le pays qu'habite ma mère ces tribunaux de sang dont les jugements me glacent d'horreur. On dirait qu'ils ont pris à tâche de choisir leurs victimes parmi mes connaissances, presque mes amis. J'avais beaucoup connu Charles Labédoyère. Je connaissais bien davantage encore M. de La Valette, et peu d'hommes m'avaient paru plus aimables, plus nobles et plus dignes d'estime. En lisant son interrogatoire et l'acte d'accusation porté contre lui, j'étais loin de m'attendre qu'il pût avoir | une pareille issue. S'il est condamné pour de tels faits, quel est l'homme en France dont la tête est assurée? Combien j'ai de douleur pour cette belle France, pour tous ceux que j'aime et qui se promènent avec des brandons enflammés sur un terrain tout miné et rempli de poudre. Comment ne pas craindre une explosion effroyable, lorsqu'on pousse au désespoir une nation presque entière? Comment ne pas craindre pour tous ceux que leurs intérêts ou leurs devoirs fixent sur une terre dévouée à tant de malheurs! Quant au pays où je compte aller au milieu de l'hiver (1), il n'est certainement pas ami des lumières. Il y a longtemps que la pensée y est considérée comme une sorte de peste, pour laquelle ils auraient volontiers établi des lazareths, et cependant ils pourraient bien

(1) La Toscane.

se rassurer. Quand on les connaît, on ne saurait craindre que la contagion de la pensée les gagne. Ils n'ont aucune idée ni des principes des gouvernements, ni des droits des citoyens; mais ils ont cependant dans leurs habitudes une certaine douceur et une certaine modération. Ils n'ont point eu auprès d'eux l'explosion des grandes passions politiques, et, quoiqu'ils ressentent peut-être de la défiance, ils n'ont ni réaction ni vengeance à exercer. Si j'avais marqué davantage, je pourrais craindre quelque difficulté de passe-port, quelque refus peut-être de me laisser entrer dans le pays; mais une fois que j'y serais, je me croirais assez à l'abri de toute vexation, et la prudence n'est pas difficile dans un pays où l'on est si loin de toute action, que la pensée même n'en peut pas venir, et où personne n'ayant assez d'intelligence pour concevoir la politique ultramontaine, on en entend rarement parler, et l'on ne court point risque que la contradiction vous échauffe et vous fasse passer par-dessus les règles que vous vous étiez imposées.

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Genève, 25 janvier 1816. Vous êtes très-bonne de vous inquiéter pour moi. Il n'y a absolument point lieu. Le gouvernement à ce qu'on assure n'est nullement soupçonneux; il n'est pas même ennemi, et le pays s'occupe extrêmement peu de politique. Il se passera peut-être longtemps avant que j'en parle ou que j'en entende parler. Personne en Toscane ne prend intérêt aux affaires de France; personne ne les comprend ou n'en est curieux, et d'autre part ce sont presque les seules qui en moi excitent des sentiments passionnés. Les Toscans avaient à peine entrevu la liberté. Comme on les réveillait, ils avaient eu à peine le temps de se frotter les yeux ou de s'étirer, et puis ils se sont tout de suite rendormis. Dans ce sommeil, ils ne conservent aucun souvenir de ce moment de veille. Je suis sûr que je les retrouverai occupés de théâtres, de masques, de jeu, et surtout de la grande affaire des cavaliers serventi, et que dans toute la Toscane je ne trouverai pas trois personnes qui sachent que j'ai eu une opinion. Au reste, Dieu merci, je l'ai bien plus fortement que jamais. Il me semble que ce que je devinais il y a neuf mois, je le vois et tout le monde peut le voir aujourd'hui.

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Pescia, 20 octobre 1816.

Vous êtes toute bonne, madame, de songer encore à moi et de me donner, par vos aimables billets, des preuves aussi obligeantes de votre souvenir. J'en suis plus touché encore, lorsque je pense à tous les chagrins, à tous les soucis qui vous entourent. Il est vrai que la vie est dure à supporter, et que lorsque les illusions de la jeunesse qui l'ornaient de fausses couleurs se sont dissipées, elle vous accable d'un poids de douleurs qui semble chaque jour plus intolérable. J'en ai ma part; et qui n'a pas la sienne? Cependant, en général, je me relève avec courage, surtout lorsqu'il ne s'agit que de maux personnels. Il fallait que ce fût ainsi : l'origine du mal dans le monde, pierre d'achoppement de tant de philosophes, me paraît au contraire, de toutes les parties de la grande énigme la plus facile à expliquer. Si le développement des êtres était le but de la création, ce développement aurait besoin d'une lutte; nous ne pourrions même concevoir un progrès sans un obstacle à surmonter. Il n'y a pas une vertu qui ne naisse d'une souffrance, Où seraient le courage sans le danger, la pitié sans souffrance, la patience sans douleurs, la tempérance sans excès, l'équanimité sans provocation, la justice sans inégalité? Contentonsnous donc du monde tel qu'il est; mais, hélas ! combien nous le gâtons nous-mêmes! C'est lorsque je vois tous les maux de caprice que nous ajoutons aux maux nécessaires, lorsque je vois détruire nos plus belles espérances, lorsque la race humaine qui avait marché vers son perfectionnement est replongée tout entière dans le bourbier dont elle s'efforçait de sortir, qu'une tristesse mortelle me gagne. Je ne puis pas dire que j'aie un moment de distraction de ces funestes idées. Je souffre pour toutes les erreurs et les horreurs de la terre. Depuis que je vous ai vue, madame, je sens que je suis vieilli de vingt ans par cette souffrance continuelle. Elle a pris la place de toute autre pensée; elle me rend impropre à toute autre conversation, et j'ai presque un sentiment de peur à rentrer dans le monde, après ma longue solitude, tant je me sens changé par le chagrin et incapable de donner aux autres la distraction que je ne trouve point pour moi.

Pescia, 30 mars 1820.

..... Nous avons déjà fait nos principales dis

positions de voyage. Nos malles sont parties pour Marseille, et nous n'avons plus gardé qu'un petit équipage de voyageurs. Nous les suivrons seulement le 24 avril, en commençant le voyage, ce qui est toujours un peu fatigant, par quatre ou cinq jours qu'il faut passer à cheval. Nous ne nous arrêterons qu'un jour à Marseille, et quant à Nîmes, avant de nous y aventurer, nous tâcherons un peu de savoir si l'on n'y aurait pas un bien grand plaisir à mettre en croix un chien de républicain et d'hérétique......

Pescia', 17 avril 1820.

Nons sommes sens dessus dessous aujourd'hui. Nous voulons prendre congé du pays en donnant une grande assemblée. Or, vous pouvez comprendre ce que doit être un rout dans notre toute petite maison, avec notre tout petit chemin, tout petit domestique, toute petite ville, avec les habitudes craintives et gênées de ma mère qui s'effraye de tout et pour qui tout est difficile. Il nous viendra au moins soixante personnes ce soir; nous les ferons entrer Dieu sait où, et nous les ferons danser Dieu sait comme. Nous avons peine à comprendre nous-mêmes qu'il y ait à Pescia soixante personnes de mise. Il est vrai que ni nous ni elles ne sommes difficiles. Toutefois il nous arrivera probablement ce qui arrive toujours à toutes les fêtes: c'est que nous obligerons très-médiocrement ceux que nous aurons invités, et que nous offenserons très-fort tous les autres.

....

Sans date (1).

J'aurais bien plus lieu, madame, de m'inquiéter de notre amie, qu'elle de moi. Elle n'a point votre force d'âme; elle se laisse abattre par les chagrins et les inquiétudes, plus souvent encore par ceux des autres que par les siens propres. Elle ne s'est point assez persuadé qu'une partie essentielle de la philosophie et de la vraie religion, c'est de combattre le mal dans la vie, de le vaincre au lieu de se laisser surmonter par lui. Il faut mesurer les maux à mesure qu'ils se présentent à nous, les rencontrer face à face, en chercher le remède, chercher la consolation que la nature a toujours mise à côté, et chasser avec énergie de

(1) Cette lettre a été écrite à l'occasion d'un malheur éprouvé par une amie commune de Mme de Lasteyrie et de Sismondi,

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