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M. Coquerel a joint à son étude, outre des notes fort étendues, une bibliographie très-complète des écrits en prose et en vers, estampes, etc., publiés jusqu'à nos jours en France et à l'étranger sur l'affaire Calas.

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Nous n'annonçons qu'une demi-nouveauté en annonçant à nos lecteurs les Récits d'un chasseur (1), par Ivan Tourguenef; cet ouvrage avait déjà paru il y a quelques années dans la Bibliothèque des chemins de fer, sous le titre très-mensonger de Mémoires d'un seigneur russe. Il eut alors un brillant succès, bien que la traduction ait donné lieu à des récriminations très-fondées de la part de M. Tourguenef (2). Cette prétendue traduction, disait-il, est une véritable mystification littéraire. Je ne parle pas des contre-sens, des erreurs dont elle fourmille. Une traduction du russe ne saurait s'en passer. Mais en vérité, on ne peut se figurer les changements, les interpolations, les additions qui s'y rencontrent à chaque page. J'affirme qu'il n'y a pas dans tous les Mémoires d'un seigneur russe, quatre lignes de suite fidèlement traduites. » Suivent les exemples, et ils sont concluants; ici c'est un lièvre qui est pris pour un écureuil, là une pâtée pour les chiens qu'on transforme en ortolan, un fouet de chasse qui devient un nègre, etc., etc., sans parler « des queues en trompette mises au bout de chaque phrase.» On voit qu'une nouvelle traduction était nécessaire, et M. Delaveau s'est acquitté de cette tâche en homme qui sait le russe comme un lettré de Saint-Pétersbourg, et le français comme un rédacteur de la Revue des Deux-Mondes, à laquelle il a donné d'excellents articles sur l'histoire et la littérature de l'empire moscovite. On sera donc sûr en lisant ces charmants et mélancoliques récits, où sont peints avec tant de vérité et de sentiment la nature et la vie des habitants des campagnes de la Russie, d'avoir bien cette fois sous les yeux la pensée de l'auteur. Ajoutons que le volume est imprimé avec luxe et orné de charmantes vignettes de G. Durand.

L'Essai sur la Flore populaire de Normandie et d'Angleterre (3) n'intéresse pas seulement les

(1) Paris, Dentu, 1858, in-12. Prix : 4 fr.

(2) Voy. la lettre qu'il a écrite à ce sujet dans la Gazette de Saint-Pétersbourg, et qui a été reproduite dans l'Athenæum français, 1854, p. 996.

(3) Par Ed. Le Héricher. Paris, Dumoulin et Aubry, 1857, gr. in-8.

amateurs d'histoire naturelle, comme on le croirait d'après le titre, car l'auteur l'a fait précéder d'une curieuse introduction, qui sera utile nonseulement aux botanistes, mais encore aux philologues et aux antiquaires. Rien n'est plus piquant que le tableau qu'il nous trace de ce qu'on pourrait appeler la symbolique des plantes. L'Olympe, le Paradis et l'Enfer y sont largement représentés. Pour le paganisme, par exemple, et en ce qui concerne la déesse de la beauté, voici les Cheveux de Vénus, ou Nigelle; son Sang, ou l'Adonis; son Nombril, ou Ombilic; son Peigne, ou Scandix; son Miroir, ou Prismatocarpe; son Sabot, ou Cypripedium, etc. Au moyen âge, la Vierge qui a fait quelques emprunts à la déesse n'a pas été moins bien partagée. Le peuple lui a trouvé, dans les plantes, une toilette et un vêtement complets: voici sa Collerette, ou Stellaire; ses Manchettes, ou Liseron des haies; son Lit, le Galium; ses Gants ou Cinq doigts, l'Ancolie; le Sceau Notre-Dame, ou Taminier, etc. Puis viennent les saints, qui tantôt sont les patrons de plusieurs plantes, tantôt sont plusieurs à se disputer leur patronage. La Valériane appartient à saint Georges et à sainte Claire; la Pivoine à saint Valentin et à sainte Rose. Saint Jean possède à la fois l'Armoise commune et le Lierre terrestre ; saint Jacques, la Julienne, la Jacobée et le Bourdon-Saint-Jacques ou Rose trémière, etc. etc.

Par contre, les plantes diaboliques sont assez nombreuses la Scabieuse succise, le Mors (morsure) du diable; la Bryone dioïque, le Verjus au diable, le Navet du diable; la Clématite, le Diable en haie; la petite Pervenche, Violette des sorciers; le Macre, les Cornes du diable, etc., etc. On voit quel intérêt présente ce travail qui n'est, ainsi que l'auteur nous l'annonce, qu'un « fragment d'une œuvre d'ensemble sur le dialecte anglo-normand. » Hâtons de nos vœux l'apparition d'un livre où, comme nous l'avons dit plus haut, tout le monde trouvera son profit.

Si la librairie anglaise est en ce moment encombrée de livres sur l'Inde, la nôtre a aussi subi l'influence des événements qui se passent dans l'extrême Orient. Voici d'abord l'Angleterre, la Chine et l'Inde, par don Sinibaldo de Mas, envoyé extraordinaire de la reine d'Espagne en Chine (1). L'auteur, grâce à sa position officielle, a pu recueil

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lir les informations les plus variés et les plus au-, thentiques; après un coup d'œil rapide sur le système de l'administration chinoise, sur les conséquences de la doctrine de Confucius qui a contribué à tout immobiliser dans sa patrie, l'auteur passe à l'historique des relations des Européens avec les Chinois, du commerce de l'opium, des missions chrétiennes. Dans un chapitre intitulé: Des ambassades chrétiennes permanentes à Pékin, M. de Mas cite un extrait fort long et fort piquant d'une conversation entre Pi-kuei, haut mandarin actuellement gouverneur de Canton et l'empereur; conversation écrite par Pi-kuei lui-même et dont un Anglais put se procurer une copie. Le prince qui gouverne despotiquement plus de quatre cents millions de sujets n'y joue pas un rôle brillant, et ses remarques profondes se bornent en général à celle-ci : « dans toutes les affaires la décadence suit la prospérité. » Le chapitre le plus curieux est celui qui est consacré à l'insurrection actuelle contre les Tartares. On y trouve des détails tout à fait neufs sur le chef de cette révolte.

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Le volume est terminé par un appendice contenant, entre autres, une narration de l'emprisonnement subi dans l'intérieur de la Chine, en 1846, par un missionnaire, le P. Navarro, et un précis historique sur l'empire britannique dans l'Inde.

La librairie Hachette, qui a vu s'épuiser très-rapidement l'Inde contemporaine de M. de Lanoye, et en prépare une seconde édition, vient de réimprimer un ouvrage qui jouit déjà d'une réputation européenne: l'Inde anglaise, après et avant l'insurrection de 1857, par M. le comte Édouard de Warren, ancien officier de S. M. Britannique dans l'Inde (1). Rien de plus attachant que ce long récit d'un vieux soldat qui pendant longues années a partagé là-bas les dangers et la gloire des armées britanniques. Mais ce ne sont point seulement des récits de campagnes qu'il nous offre, ce sont aussi les impressions d'un voyage fait la plupart du temps à main armée, entremêlées à chaque page de digressions historiques d'un haut intérêt; ce sont des descriptions des villes et des contrées qu'il parcourt et où rien ne lui échappe, des peintures de la société et de l'armée européenne, des mœurs des indigènes, etc. Le second volume surtout a une grande portée; il offre le ta

(1) Troisième édition, revue et considérablement augmentée, 1858, 2 vol. in-18.

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bleau général de l'empire britannique dans l'Inde, de son administration, de son histoire et de ses conquêtes successives. Nous recommandons particulièrement les chapitres où l'auteur se demande si l'Angleterre a bien mérité des populations de l'Asie. Sa réponse est négative, et il l'appuie de faits accablants. « Pendant près de soixante ans, dit-il, la Compagnie (jusqu'en 1843) n'avait pas ouvert un puits, creusé un étang, coupé un canal pour l'avantage de ses sujets indiens; elle n'avait pas tracé une route, si ce n'est pour le passage des armées. » Ce n'est point ainsi, grâce à Dieu, que nous agissons en Algérie. Aussi M. de Warren n'hésitait-il pas, il y a quatorze ans, à prédire les effroyables malheurs qui ont frappé l'Inde anglaise. Dans le dernier chapitre où il fait un exposé rapide de l'insurrection actuelle, M. de Warren se demande si elle a des chances de durée. Il ne le croit pas. La résistance, dit-il, ne peut se prolonger que dans le pays d'Aoude où tout homme est soldat, où tout habitant, depuis le noble jusqu'au plus pauvre paysan, tient à sa nationalité et à son prince. Là on se fera exterminer, là les Anglais ont déjà perdu bien du monde, et ils en perdront encore; mais ce n'en est pas moins une lutte sans espoir. Les Anglais, au besoin, feront un désert de ce pays, mais ils planteront leur drapeau sur ses ruines. Ce sera l'affaire de quelques mois, de deux campagnes tout au plus; et puis le silence se fera dans l'Inde entière. »

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Détournons nos yeux de ce triste spectacle, et ouvrons, pour nous distraire, un beau volume qui ne nous ramène pas en Europe: les Aventures d'un gentilhomme breton aux îles Philippines (1). Bien que l'auteur, M. de la Gironière, eût tenu, depuis son départ de la France, un journal exact de sa vie, il ne songeait nullement à le mettre au jour, quand il vit son nom figurer dans un roman, les Mille et un Fantômes, qu'Alexandre Dumas publiait dans le Constitutionnel. Il voulut alors prouver au public qu'il existait bien en chair et en os, et que celui qui avait fondé la colonie de Jala-Jala n'était point un être fantastique. C'est

(1) Avec un aperçu sur la géologie et la nature du sol de ces îles, sur ses habitants, sur le règne minéral, le règne végétal et animal, sur l'agriculture, l'industrie et le commerce de cet archipel, par P. de la Gironière. Illustrations d'après des documents et croquis originaux, par H. Valentin. 2e édition. Paris, Didot. Gr. in-8.

un vrai service que, sans s'en douter, le célèbre | M. de la Gironière. Aussi ne doit-on pas s'étonromancier a rendu à notre littérature. ner de l'accueil que le public a fait à cette publication, dont l'intérêt est encore augmenté par de nombreux et curieux dessins.

M. de la Gironière commença de bonne heure ses pérégrinations. A peine reçu médecin, il s'embarque en cette qualité sur un navire mettant à la voile pour les îles Maurice et Bourbon, excursion bientôt suivie de deux autres; enfin, en 1819, il entreprend un quatrième voyage, cette fois aux îles Philippines, voyage qui devait l'éloigner pour vingt ans de sa patrie.

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A son arrivée à Manille, il y voit éclater le choléra et assiste à un effroyable massacre des étrangers par les Indiens qui voyaient en eux des empoisonneurs. Il échappe par miracle; mais le navire qui l'avait amené repart brusquement en le laissant à terre. Il se décide alors à se fixer à Manille et à y exercer la médecine, quoiqu'il possédât pour tout bien un habit noir et six lancettes. paye d'audace, s'offre comme oculiste à un capitaine à demi aveugle, lui sauve un œil, fabrique lui-même, tant bien que mal, un œil de verre pour remplacer celui que le patient avait perdu, et à la suite de cette cure merveilleuse, passe en quelques jours de la plus profonde détresse à une extrême opulence. Bientôt après, il est nommé chirurgienmajor d'un régiment espagnol et épouse une riche et charmante veuve. Mais il ne tarde pas à se dégoûter de sa profession, donne sa démission de toutes ses places et se retire dans une terre à JalaJala, au milieu de brigands indiens qu'il a l'adresse de se donner pour gardes du corps, et où il crée assez rapidement une petite colonie floris

sante.

Le récit des dix-huit années qu'il passe dans ce pays sauvage, de ses aventures et de ses excursions périlleuses chez les Indiens, se lit avec tout l'attrait d'un roman et tout l'intérêt d'une histoire véritable. Fêtes indigènes, chasses, guerre civile, scène de bandits, rien n'y manque. Cette vie avait pour lui un tel charme que quand, après avoir perdu sa femme et ses enfants, il se décida à retourner en France auprès de sa famille, ce fut pour lui une nouvelle douleur de quitter les lieux où s'était écoulée sa jeunesse.

A la suite de sa biographie ou de ses mémoires, comme on voudra, M. de la Gironière a consacré plus de cent pages à l'ethnographie, à l'histoire naturelle, du commerce et à l'industrie des îles Philippines. Lecteurs frivoles, savants, géographes, tout le monde trouve son compte dans le livre de

De la vie sauvage, l'éditeur Curmer nous fait revenir sans transition à la vie civilisée dans ce qu'elle a de plus attrayant et de plus délicat. On sait quelle magnifique publication l'intelligent éditeur a entreprise en donnant une Imitation de Jésus-Christ, dont toutes les pages sont entourées d'ornements et de miniatures or et en couleur, empruntés aux plus beaux manuscrits des bibliothèques publiques et particulières (1), depuis l'époque carlovingienne jusqu'au XVIIIe siècle. Manuscrits latins, grecs, italiens, français, allemands, arabes, persans, indiens, tout a été mis à contribution pour ce volume, l'un des plus beaux qui soient depuis longtemps sortis des presses françaises. M. Curmer vient d'y ajouter un autre livre splendide qui en est le complément naturel : c'est l'Histoire de l'ornementation des manuscrits (2), par M. Ferdinand Denis, homme de goût et de savoir, bien connu par d'utiles et d'excellents travaux. Dans les vingtquatre chapitres dont il a composé son travail, M. Denis a tracé une histoire rapide et complète de la calligraphie et de l'art du miniaturiste, depuis l'antiquité jusqu'à la fin du XVIIe siècle, où il s'éteint avec Jarry, Nicolas Robert et Aubriet. Pour chaque époque, l'auteur nous donne l'indication et souvent la description des plus beaux ou des plus curieux manuscrits qu'elle a produits, à commencer par le célèbre Virgile du Vatican, que l'on fait remonter à la fin du IVe siècle. Il nous montre les révolutions successives introduites dans le style des artistes depuis Charlemagne, et qui semblent correspondre aux variations de l'architecture. La France a longtemps été sans rivale en ce genre, et M. Denis a eu raison de rappeler en commençant les vers où Dante proclame Paris la cité par excellence des enlumineurs. Le XIVe siècle, et surtout le xv qui produisit Jehan Fouquet et son école, ont été traités avec grands détails par l'auteur, qui ne laisse pas échapper l'occasion de nous donner sur le prix des livres, sur leur fabrication, sur l'histoire de quelques-uns d'entre eux, sur les bibliothèques, des renseignements puisés aux

(1) Quarante-huit livraisons in-4, à 3 fr. 50 c. (2) 1858. in-4.

meilleures sources. Nous avons surtout à signaler le chapitre où il est traité « de la possibilité de tirer des ornements les inductions pour reconnaître l'âge des manuscrits. » Ajoutons que l'impression du volume a été confiée à un typographe lyonnais dont le nom aujourd'hui n'a plus besoin d'éloge, à Louis Perrin, et qu'à chaque page se trouvent de magnifiques gravures sur bois reproduisant un choix de lettres majuscules empruntées à des manuscrits de toutes les époques. C'est en un mot un vrai joyau de bibliophile.

ver très-peu le budget. Par un décret en date du 12 décembre 1857, il a chargé M. Jannet de publier, dans une série de quarante volumes de la Bibliothèque elzevirienne, la presque totalité de nos anciennes chansons de geste, dont la réunion est désignée ordinairement sous le nom de cycle carlovingien. Sur ces quarante volumes, deux seront consacrés à un tableau bibliographique présentant un inventaire complet de tous les grands poëme chevaleresques que le moyen âge nous a légués. De plus, lorsque la publication sera terminée, elle sera suivie d'un glossaire général, auquel il faudra ajouter bien peu pour en faire un glossaire complet de notre langue aux XII et XIIIe siècles.

M. le ministre a nommé une commission char

MM. G. Rouland, président; Servaux, chef de bureau, secrétaire; le marquis de la Grange; F. Guessard, F. Wey, H. Michelant.

Quatre volumes sont déjà sous presse: Doon de Mayence, publié par M. Schweighaeuser; Gaufrey, publié par M. Chabaille; Gui de Bourgogne, Otinel, par MM. Michelant et Guessard; Aspremont, par M. Guessard.

Terminons par quelques bonnes nouvelles littéraires. La Bibliothèque universelle de Genève, ce recueil dont la réputation est européenne (1), va subir une réorganisation complète et qui est destinée à lui donner une vie nouvelle. Connaissant les mains habiles qui vont en prendre la di-gée de la direction du travail. Elle se compose de rection, nous ne doutons pas un instant du succès. D'un autre côté, MM. C. Dollfus et A. Nefftzer fondent, sous le titre de Revue germanique, une revue mensuelle (2) qui sera pour la littérature des pays germaniques ce qu'est la Revue britannique pour la littérature de l'Angleterre. On y trouvera des traductions des meilleurs romans et des meilleures pièces de théâtre de l'Allemagne, des correspondances scientifiques et littéraires de Berlin, Vienne, Dresde, Munich, Leipzig, etc.; une chronique parisienne, un bulletin bibliographique général, etc., etc. Les directeurs se sont assurés du concours de nos meilleurs écrivains, Littré, Renan, E. Laboulaye, de Rougé, D. Stern, Taine, Ratisbonne, etc., etc. Nous souhaitons ardemment que le succès arrive promptement à cette intéressante publication, qui comblera une lacune dans nos recueils périodiques.

Enfin, annonçons une nouvelle série de la Bibliothèque elzevirienne, et celle-là est d'une haute importance.

Peu de temps avant sa mort, M. Fortoul, l'avant-dernier ministre de l'instruction publique, avait conçu le projet de faire publier, aux frais du gouvernement, une collection des grands poëmes du moyen âge. Le successeur de M. Fortoul, M. Rouland, vient de reprendre cette idée, en la modifiant fort heureusement et de manière à gre

(1) Cette revue date de 1796, et porta d'abord le titre de Bibliothèque britannique.

Il est bon d'ajouter que parmi les ouvrages qui doivent faire partie de cette collection, il en est un certain nombre qui ne sont même pas mentionnés dans l'Histoire littéraire.

LUD. LALANNE.

DEVINS MAURES AU CAIRE..

Il y a plusieurs années, la Revue des DeuxMondes publiait un article fort intéressant sur des scènes de magie et de sorcellerie dont l'auteur avait été témoin en Égypte. Nous croyons que le récit suivant, tiré des manuscrits de Peiresc et qui est transcrit dans un volume du fonds Bouhier, à la Bibliothèque impériale, pourra offrir quelque intérêt à nos lecteurs :

« M. L'Ange Vento, le 2 septembre 1613, racontoit à la Floride (1) qu'au temps des Baricades (2), le marquis de Canillac, envoyé par le roi Henri III aux Indes orientales pour solliciter sous main les gouverneurs portugais de reconnoître

(1) Peut-être le père ou le parent du marquis de la (2) 40 fr. par an. In-8. Le premier numéro paraîtra le Floride, général espagnol, né en 1646, mort en 1714. 31 janvier prochain.

(2) En 1589.

Dom Antonio (1) qui vivoit encore pour lors, se trouva au grand Caire, où il étoit allé pour se servir de l'occasion des navires de Marseille qui s'y en alloient, et de là se rendre à Constantinople sur les galères qui portent le tribut, afin d'avoir du Grand-Seigneur le passe-port nécessaire pour passer à Ormus.

Étant audit lieu du Caire, attendant le départ desdites galères, il vint des pauvres Maures et autres du pays qui se mêloient de dire la bonne fortune et prédire tout ce dont ils étoient enquis. Ils se tiennent aux coins des rues et en font profession publique, tant cette superstition est en vogue dans ce pays-là. Il lui prit envie, par forme de passe-temps, d'envoyer quérir un desdits devineurs pour s'enquérir de l'état de la France; on lui amena le plus célèbre de ce métier, qui vint fort pauvrement habillé de toile avec un livret déchiré sous son bras et un petit coussinet plein de sable. Il s'assit à terre, les pieds croisés, ayant son sable entre les jambes dans ledit coussinet, et présenta audit marquis une longue plume de roseau dont ils se servent pour écrire en ce pays-là, lui disant qu'il parlât à ladite plume si bellement que personne ne l'entendît.

» Lors ledit seigneur marquis dit sur ladite plume qu'il désiroit savoir des nouvelles de l'état de la France, et incontinent le révéla audit seigneur Vento, là présent, pour voir si le compagnon devineroit.

"En même temps ce devineur écrivit quelques caractères dans ledit sable, puis les effaça. Après il feuilletoit ledit livre qui étoit tout plein de caractères et incontinent récrivoit sur son sable, puis tournoit effacer ladite écriture sur ledit sable, et réitéra souvent la lecture dudit livre et écriture sur ledit sable.

» Finalement il fit entendre audit marquis, par le truchement là présent, qu'en France il y avoit deux grandes levées d'armes; qu'il y avoit au milieu d'une grande armée un grand (2), contre lequel un autre grand (3) s'étoit rebellé, qui avoit une grande balafre à la joue droite, avec de grands appuis et de grandes forces; mais que le balafré

(1) Dom Antonio, prieur de Crato, chassé du trône de Portugal par Philippe II, et qui, avec l'aide de la France et de l'Angleterre, fit diverses tentatives pour regagner sa couronne. Il mourut à Paris en 1595.

(2) Henri III.

(3) Le duc de Guise.

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seroit bientôt vaincu et exterminé par le premier grand, de qui il ne pouvoit exprimer le nom à cause de l'incompatibilité des prononciations orientales et françoises, mais il marquoit qu'il y avoit des R en son nom, grommelant Ri Ri, en son langage pour dire Henri.

» Peu de temps après, ledit marquis arriva à Constantinople, où il trouva des lettres du roi chez l'ambassadeur, par lesquelles on lui révoquoit sa commission, et lui mandoit-on qu'il falloit penser en France à remédier aux affaires de l'État pour les désordres de la Ligue et des Barricades, et non pas songer à celles de ses voisins; de sorte qu'au lieu de chercher son passe-port il songea à retourner en France. »

SUR L'INSTRUCTION DES CONSCRITS.

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Dans l'un de ses derniers numéros, le Journal général de l'Instruction publique a mentionné un fait fort curieux, et qui est de nature à déranger singulièrement les calculs de la statistique. On sait que les déclarations faites, au moment du recrutement, par les jeunes conscrits, servent à établir les moyennes du nombre de ceux qui, en France, savent lire et écrire. Malgré les développements incessants donnés depuis 1830 à l'instruction primaire, ce nombre serait encore très-faible (en 1846, il n'était que de 54 sur 100), et nous serions placés à cet égard dans un état d'infériorité honteux vis-à-vis de la plupart de nos voisins. Heureusement que les données sur lesquelles reposent ces calculs pèchent par la base. L'article dont nous parlons met hors de doute cette circonstance dont on ne se serait pas douté : c'est que dans une foule de communes rurales un grand nombre de jeunes gens désignés par le sort, bien que sachant lire et écrire, n'osent, devant le conseil de révision, se déclarer aussi savants. Imbus de ces préjugés qu'on peut si difficilement déraciner chez nos paysans, les uns pensent que tout homme qui sait lire est tellement, par cela seul, un homme d'élite, qu'il sera placé dans des régiments et dans des postes exposés. D'autres, sont intimement convaincus qu'on leur préférera ceux qui savent lire et écrire, et qu'alors ils seront placés dans la réserve.

M. Rousse, instituteur à Douera (Algérie), à qui l'on doit la révélation de ce fait singulier, dit

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