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L'éditeur du présent volume, M. A. Blanc, a réuni, tantôt par des analyses succinctes, tantôt par des considérations politiques (1), les extraits des lettres et des mémoires qu'il donne au public, et dont la position actuelle du Piémont fait, tains égards, un livre de circonstance; car Joseph de Maistre avait une aversion profonde pour l'Autriche, qu'il appelait la grande ennemie du genre humain. Nous n'avons pas à nous en occuper à ce point de vue; bornons-nous à donner ici quelques fragments de cette curieuse correspondance.

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Le comte écrit en 1803, après la paix d'Amiens: L'empereur de Russie avait conçu le sublime projet de se porter lui-même en Allemagne, à la tête de cinquante mille hommes, en sa qualité de garant de l'établissement germanique. Il n'y a pas du La Harpe, là. Mais on l'a empêché, et voici en propres termes ce qui a été dit à cette occasion par un ministre : « Nous voulons le conserver; s'il venait à périr, en voilà encore un qu'il faudrait assommer » (le grand duc Constantin). Ce sont ces traits qui font connaître les pays et les hommes.

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Les dépenses me font tourner la tête; je n'entends rien à l'économie. De ma vie je n'ai su le prix de rien. Je sais bien que je n'ai pas mis en réserve un sequin de l'argent du roi; mais je ne dis pas qu'un homme plus entendu que moi n'eût pu gagner quelque chose. Le duc de Serra-Capriola (l'ambassadeur du roi de Naples) se ruine pour le roi son maître, qui ne lui envoie rien. Il a bien diminué les grandes dépenses, mais l'ordinaire d'ici est très-extraordinaire. La table seule est dévorante; tous les vins, tous les fruits des pays étrangers sont sur toutes les tables. J'ai mangé un melon de six roubles, un pâté de France de trente, des huîtres d'Angleterre à douze roubles le cent. L'autre jour, dans un souper en petit comité, on but une bouteille de champagne. « Com

(1) Nous regrettons que l'éditeur se soit parfois livré à une phraséologie obscure qui sera peu goûtée en deçà des Alpes.

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» bien vous coûte-t-il, princesse ! » demanda quelqu'un. · "A peu près dix francs de France. » J'avais la bouche ouverte pour dire : « C'est boire " assez chèrement, » lorsqu'une dame s'écria, à côté de moi : « Mais c'est pour rien!» Je vis que j'avais été sur le point de faire le Savoyard; je me tus. Au reste, voici le résultat : parmi les fortunes énormes, tout le monde est ruiné; personne ne paye ses dettes, et il n'y a point de justice. . . . " Avril 1807. - Combien de fois, depuis l'origine de cette épouvantable révolution et des guerres fatales qu'elle a amenées, avons-nous eu toutes les raisons du monde de dire: Acta est fabula, et cependant la scène continue toujours. Après la bataille de Marengo (sans remonter plus haut), il semblait que la toile allait tomber; mais point du tout. Après celle d'Austerlitz, au moins, on pouvait bien, ce me semble, se retirer: restez, restez, messieurs, encore un acte. Mais après celle d'Iéna il n'y a certainement rien. — Au contraire, c'est le plus beau. Tout ce que vous avez vu depuis 1790 n'est qu'un prologue.

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Ses appréciations des victoires de la France sont curieuses, et entre autres sa relation de la bataille d'Austerlitz, où il va presque jusqu'à dire, comme les gazettes prussiennes, que si les Autrichiens ont été battus les Russes ont été vainqueurs. Pour Eylau, il n'a pas le moindre doute notre défaite a été terrible. Si terrible qu'elle fût, l'empereur Alexandre fut obligé pourtant d'emmener en toute hâte sa garde sur le théâtre de la guerre, et voici ce que le comte écrit à propos du départ de cette troupe d'élite. « Dans la guerre contre les Suédois, sous Catherine II, on avait oublié de restreindre les équipages: les officiers aux gardes emportèrent, entre autres effets militaires, des perroquets et des canaris en cage. Cette année, il n'y a ni perroquets ni canaris; mais les hommes se perfectionnant toujours, le comte Stanislas Potosky a fait porter à sa suite, le jour du départ, cinquante coqs d'Inde, cinquante poulardes, quatre-vingts kilogrammes pesant de bouillon en tablettes, un énorme flacon de vin de Bor

deaux, etc. On dit que les dindes étaient vivants et qu'ils se sont fort distingués en criant aussi haut que les soldats, apparemment vive l'empereur !.... Sa Majesté, en songeant qu'il était possible qu'ils ne revinssent pas tous, a daigné verser des larmes. Vous observerez en passant qu'il n'y a pas une femme à Saint-Pétersbourg, depuis l'impératrice jusqu'à la couturière, qui puisse se persuader que l'ennemi peut tuer un officier aux gardes; c'est une indécence qu'elles ne conçoivent pas. " Il y a des pages étranges dans cette correspondance. La haine politique emporte souvent de Maistre au delà de toute mesure. Comprend-on, par exemple, que lui, le futur auteur du Pape, ait écrit ceci du malheureux Pie VII, à l'occasion de son voyage en France?

« 29 février (9 mars) 1804. Il paraît, par des relations incontestables, qu'on est fort mécontent à Paris. Comme le pape donne des chapelets, et que tout est mode en France, on a fait à Paris une mode des chapelets. Chaque fille de joie a le sien. Les Français étaient, au mois de janvier, couleur pistache, qu'on prononçait: Pie se tache. On s'y moque assez joliment du bonhomme, qui, en effet, n'est que cela, soit dit à sa gloire; mais ce n'est pas moins une très-grande calamité publique qu'un bonhomme dans une place et à une époque qui exigeraient un grand homme.

» . . . . Le voyage du pape et le couronnement sont dans ce moment le sujet de toutes les conversations. L'ambassadeur du pape est fort heureux, je vous l'assure, d'être parti d'ici. Toute la politesse imaginable ne l'empêcherait pas d'entendre des choses désagréables. Tout est miraculeusement mauvais dans la Révolution française; mais, pour le coup, c'est le nec plus ultrà. Les forfaits d'un Alexandre VI sont moins révoltants que cette hideuse apostasie de son faible successeur. Le comte de Strogonoff me demanda l'autre jour, chez lui, ce que je pensais du pape. Je lui répondis : « Monsieur le comte, permettez-moi de mar"cher à reculons pour lui jeter le manteau; je " ne veux pas commettre le crime de Cham. C'est ce que je pus trouver de plus ministériel; car, si Noé entend qu'on nie son ivresse, il peut s'adresser à d'autres qu'à moi. "

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Je voudrais de tout mon cœur que le malheureux pontife s'en allât à Saint-Domingue pour sacrer Dessalines. Quand une fois un homme de son rang et de son caractère oublie à ce point

l'un et l'autre, ce qu'on doit souhaiter ensuite', c'est qu'il achève de se dégrader jusqu'à n'être plus qu'un polichinelle sans conséquence. Quand je vois le rôle qu'il joue et celui qu'il a manqué, je suis réellement furieux. Jamais on n'a laissé échapper une plus belle occasion de s'illustrer et d'avancer le catholicisme. »

Terminons ces extraits, que nous pourrions facilement multiplier, par les lignes suivantes qui montrent qu'au contact de la société corrompue dont ibétait entouré, le comte de Maistre était devenu bien vite plus diplomate que ne l'aurait exigé une morale un peu sévère. Il s'agit des qualités que devait, suivant lui, réunir un secrétaire de légation qu'il demandait à son gouvernement, en août 1803, c'est-à-dire quelques mois après son arrivée en Russie.

"Il faudrait qu'il fût jeune. A trente ans, on est déjà bien vieux ici pour les dames, et si elles ne vous font pas enterrer à quarante, c'est purement par politesse. (En chiffres:) Je voudrais, de plus, qu'il fût danseur, dessinateur, comédien, surtout bon musicien, c'est-à-dire qu'il me faudrait, au milieu de la société la plus futile et la plus immorale de l'univers, un homme dont je me servirais auprès des femmes pour savoir le secret des maris. Permis à vous, monsieur, de voir ici une de mes tirades. Je n'en sais pas moins ce que je dis. »

Le commentaire se trouve dans une lettre écrite au mois de novembre de la même année.

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แ Un vieux bonhomme de ministre disait un jour à un de mes amis : « Souvenez-vous bien, monsieur, que dans toutes les affaires il y a " une femme. Quelquefois on ne la voit pas, mais regardez bien, elle y est. » Je crois qu'il avait raison. Pour moi, je les rencontre volontiers de temps en temps sur ma route, soit par une inclination naturelle pour ce bel animal (inclination dont souvent on ne se rend pas compte à soi même), soit que, dans certaines circonstances, elles soient réellement utiles pour adoucir les aspérités de l'autre sexe et faciliter les affaires, comme une espèce d'huile qui mouille les ressorts d'une machine politique pour les empêcher de s'échauffer et de crier, "

Nous ne savons si ce fut une malice des ministres de Sardaigne, mais ils envoyèrent au comte son propre fils pour secrétaire. L. R.

RELATION INÉDITE DES DERNIERS MOMENTS

DU GRAND CONDÉ (1).

M. le Prince n'avoit point cru sa maladie mortelle jusqu'au dixième de décembre (1686); il pensoit même être en état de s'en aller à Paris, et il avoit donné tous les ordres nécessaires pour partir l'onzième de Fontainebleau; mais la continuation d'un dévoiement l'ayant fort abattu, il se sentit plus foible le dixième environ midi; il fit approcher un de ses médecins pour lui tâter le pouls; il lui demanda ensuite comment il le trouvoit et ce qu'il pensoit de son mal; le médecin hésitant un peu à lui dire son sentiment, il lui dit : « Parlez franchement, je ne crains plus la mort. » Cela encouragea le médecin à lui dire qu'il se trouvoit dans un grand danger. M. le Prince repartit : « Voilà parler nettement; il faut mourir et il y faut penser.» Et sur-le-champ ordonna qu'on envoyât chercher, en toute diligence, le Père Des Champs son confesseur ordinaire. Un moment après, M. de Gourville étant entré dans sa chambre, il lui dit qu'il falloit se séparer et que le temps en étoit venu. Il dit ensuite la même chose à Me la Duchesse (2), et témoigna être sensible à ses alarmes et à ses sanglots; il conserva la fermeté qu'il avoit marquée en parlant au médecin; il employa quelque temps à faire ses dispositions pour des œuvres pieuses et pour la récompense de ses domestiques, et, après qu'il eut donné ordre aux affaires de ce monde, il ne pensa plus le reste de la journée qu'à celles de l'autre, demandant souvent quand le Père Des Champs arriveroit, et marquant une grande impatience de son arrivée. Le 11, vers les deux heures après minuit, se sentant encore plus foible, et craignant que ce qui lui restoit encore de vie ne fût trop court pour attendre le Père Des Champs, il se confessa au Père Bergier; et, après la confession, il demanda qu'on lui apportât le saint sacrement. M. le curé de Fontainebleau le lui apporta; il fit une réconciliation avec lui, et devant que de recevoir le saint viatique, qu'il reçut avec grande piété, il demanda pardon à tous ses domestiques et aux autres qu'il pouvoit avoir offensés par des mouvemens de colère. Une demiheure après il demanda l'extrême-onction. M. le curé, après lui avoir oint les pieds et les mains,

(1) Elle fut envoyée au comte de Bussy-Rabutin, et nous la tirons de ses manuscrits.

(2) Sa belle-fille.

lui témoigna qu'il lui oindroit les reins, s'il n'avoit peur de l'incommoder. M. le Prince lui dit qu'il achevât, et se fit lever pour achever cette sainte cérémonie. Dès qu'elle fut finie, il commanda qu'on fît la recommandation de l'âme; son aumônier en lut les prières; il les écouta avec une attention et une dévotion qui tira les larmes de tous ceux qui étoient dans sa chambre. Après qu'il eut accompli tous ces saints devoirs, il fit approcher les médecins pour leur demander combien de temps il avoit encore à vivre, et lui ayant répondu qu'ils n'en pouvoient pas juger précisément, il pria M. de Gourville de ne le point laisser surprendre et de l'avertir alors que les médecins le trouveroient dans les derniers moments. Il attendoit avec impatience M. le Duc, et avoit demandé de temps en temps quand il arriveroit. Il arriva vers les huit heures du matin, et leur entrevue fut la plus touchante qu'on se puisse imaginer, se marquant l'un à l'autre ces sentimens de tendresse qui faisoient assez juger combien ils s'aimoient. Mme la Duchesse, mêlant ses sentimens avec les leurs et donnant des marques de sa douleur, en reçut de très-sensibles de l'estime et de l'amitié que M. le Prince avoit toujours eues pour elle. Ils se retirèrent de sa chambre, et dès qu'ils furent sortis, il éleva ses yeux et continua de s'occuper dans les pensées de l'autre vie. Sur les onze heures, il eut un redoublement et il se trouva encore plus mal qu'il n'avoit été. Il fit recommencer la recommandation de l'âme; peu de temps après on lui dit que le Père Des Champs étoit arrivé. « Où est-il? dit-il, qu'il s'approche. » Il sembloit en ce moment avoir plus de force, et le Père s'approchant de lui, il étendit les bras et l'embrassa plusieurs fois, en lui disant qu'il l'attendoit avec une grande impatience, qu'il avoit une grande consolation de le voir, qu'il avoit tâché, en l'attendant, de remplir ses devoirs, et qu'il le conjuroit de lui faire bien employer le peu de temps qui lui restoît à vivre. Il ordonna que tout le monde sortît de sa chambre, et parla quelque temps au Père Des Champs, qui lui fit faire ensuite des actes de foi, d'espérance et de charité, et d'autres prières. Vers le midi, M. le prince de Conti (1) arriva, et l'ayant fait approcher il l'embrassa plusieurs fois. M. le prince de Conti se jeta à ses pieds fondant en larmes et lui demanda sa bénédiction, il la lui donna,

(1) Son neveu.

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et un demi-quart d'heure après il le fit sortir et dit à ses médecins qu'il n'avoit plus besoin d'eux, mais seulement des Pères Des Champs et Bergier, qui lui firent faire plusieurs prières, et, comme il avoit peine à parler, il leur disoit de fois à autre : Quoique je ne vous réponde pas, ne laissez pas à me parler de Dieu, mon cœur est attentif à ce que vous dites. » Vers les cinq heures, il demanda à ces Pères s'il pouvoit dire le dernier adieu à M. le Duc, à Mme la Duchesse et à M. le prince de Conti, qu'il entendoit parler près de sa chambre, et s'il le pouvoit faire sans offenser Dieu. Ils lui dirent qu'oui. Les deux princes et la princesse entrèrent. Il les embrassa souvent, tous trois à la fois, tenant leurs mains ensemble, en leur disant toujours : « Adieu, mon enfant. » Et recommandant à M. le Duc et à M. le prince de Conti de s'aimer comme frères, il leur donna sa bénédiction et les pria ensuite de se retirer; il continua d'écouter les Pères, et on remarquoit qu'en répétant souvent: In te, Domine, speravi, et Miserere mei, Deus, il élevoit les yeux au ciel. Sur les six heures et demie il appela un de ses médecins et lui demanda s'il le croyoit bien près de sa fin; le médecin lui répondit : « Monsieur, votre poitrine s'emplit, cela ira bien vite; » et lui ayant redemandé : "Mon esprit ne se troublera-t-il point? » le médecin lui répondit que cela pourroit arriver un demi-quart d'heure avant sa mort. Il demanda ensuite les prières des agonisans et élevant les yeux au ciel et faisant quelques petits mouvemens des bras, on remarquoit qu'il redoubloit ses prières, ce qu'il fit jusqu'à son dernier moment, qui fut vers les neuf heures et demie du soir, qu'il expira avec une très-grande tranquillité et sans aucun trouble d'esprit.

Dès le dixième du mois les médecins ayant témoigné à M. le Prince qu'il étoit dans un extrême péril, il écrivit cette lettre au roi :

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tre dans le monde; je n'ai rien épargné pour le service de Votre Majesté, et j'ai tâché de remplir avec plaisir les devoirs auxquels ma naissance et le zèle sincère que j'avois pour la gloire de Votre Majesté m'obligeoient. Il est vrai que dans le milieu de ma vie j'ai eu une conduite que j'ai condamnée le premier, et que Votre Majesté a eu la bonté de me pardonner. J'ai ensuite tâché de réparer cette faute par un attachement inviolable à Votre Majesté, et mon déplaisir a toujours été de n'avoir pas pu faire de ces grandes actions qui méritassent les bontés que vous aviez eues pour moi. J'ai eu au moins cette satisfaction de n'avoir rien oublié de tout ce que j'avois de plus cher et de plus précieux pour marquer à Votre Majesté que j'avois pour elle et pour son État tous les sentimens que je devois avoir. Après toutes les grâces dont Votre Majesté m'a comblé, oserai-je encore lui en demander une, laquelle, dans l'état où je me trouve, me seroit d'une grande consolation : c'est en faveur de M. le prince de Conti; il y a un an que je le conduis, j'ai cette satisfaction de l'avoir mis dans des sentimens tels que Votre Majesté peut souhaiter. Le Père de La Chaise en sait la vérité, il la pourra témoigner à Votre Majesté quand il lui plaira. C'est un Prince qui a assurément du mérite, toute la soumission imaginable et une envie sincère de n'avoir point d'autre règle de sa conduite que la volonté de Votre Majesté. Je ne lui en parlerois pas et je ne la prierois pas, comme je fais très-humblement, de lui rendre ce qu'il estime plus que toutes les choses du monde; il y a plus d'un an qu'il soupire après et qu'il se regarde en l'état où il est, comme s'il étoit en purgatoire. Je conjure Votre Majesté de l'en vouloir sortir et de lui accorder un pardon général. Je me flatte peutêtre un peu trop, mais que ne peut-on point espérer du plus grand roi de la terre, duquel je meurs, comme j'ai vécu, très-humble, très-obéissant et très-fidèle sujet et serviteur,

» LOUIS DE BOURBON. "

P. S. «Comme je finissois cette lettre, mon fils vient d'arriver de Versailles. Il m'a dit la bonté que Votre Majesté avoit eue de pardonner à ma considération à M. le prince de Conti et de le remettre en ses bonnes grâces. Une nouvelle de cette nature m'a comblé de consolation. Je reçois comme je dois cette bonté de Votre Majesté. J'en ai toute la reconnoissance imaginable, conforme

aux sentimens de vénération que j'ai toujours eus pour Votre Majesté, et, si je l'ose dire, d'amitié et de tendresse. »

QUELQUES PARTICULARITÉS RELATIVES

Monsieur le directeur,

THOMAS BECKET.

Selon un de vos plus honorables collaborateurs, il est aujourd'hui parfaitement démontré que Becket était d'origine normande, et l'opinion différente de M. Augustin Thierry aurait surtout contribué à fausser ses jugements. L'éminent historien a voulu, comme on sait, vérifier à nouveau tous les faits et rejuger tous ses anciens jugements, et sa conviction sur ce point n'avait pas été sensiblement modifiée : il m'en a souvent parlé, et peut-être m'appartient-il plus qu'à personne d'exposer ses raisons et de les défendre.

| distingué à un degré quelconque par sa naissance et par sa fortune de s'être montré industrieux dans son commerce et d'avoir très-bien gouverné sa maison selon son état. Le sens réel de ce passage est donc, sauf l'exagération habituelle des faiseurs de panégyrique, qu'à défaut de noblesse et de fortune, Gilbert entreprit un commerce et y montra de l'intelligence et de l'ordre. Guillaume, fils d'Etienne, est beaucoup plus hardi; il affirme résolûment que Thomas Becket était de l'ordre équestre; mais lors même que son récit ne serait pas si positivement contraire au témoignage de Garnier de Pont-Sainte-Maxence, quelques détails ne permettraient pas de lui accorder une grande confiance. On comprend mal qu'un familier de saint Thomas connût si imparfaitement le berceau de sa famille et ne le désignât qu'approximativement, circa Terici villam, s'il n'eût pas eu d'excellentes raisons pour rester dans le vague, et si le noble Gilbert avait eu avec l'archevêque Théobald les habitudes de familiarité que Guillaume suppose, il n'aurait pas eu besoin de la protection de deux frères de Boulogne pour lui présenter son fils. Heureusement, quoique Garnier fût aussi attaché que personne à la mémoire de saint Thomas, il se trouvait dans de meilleures conditions de sincérité que les autres

Les différents auteurs qui nous ont laissé des biographies de saint Thomas Becket étaient à peu près ses contemporains; tous étaient clercs d'église, et sans aucune exception dévoués à sa cause. Rien ne leur était ainsi plus facile que de connaître les moindres particularités de sa vie, et l'on peut croire à priori, que s'ils n'ont point parlé en détail de sa naissance, c'est qu'il n'y avait rien dans la condition de sa famille qui pût le rehaus-biographes; il était Français et par conséquent ser encore et le grandir dans l'opinion publique; c'est, en un mot, que s'il était d'origine normande, il n'appartenait point à la partie aristocratique de ses anciens compatriotes, et qu'en l'assimilant aux vaincus sa position de fortune lui avait donné les mêmes intérêts et les mêmes antipathies.

Un examen réfléchi des trois seuls biographes qui aient parlé de sa famille, confirme ces présomptions. Deux étaient probablement Anglais, et écrivaient pour leurs compatriotes; ils se trouvaient par conséquent en position de sentir mieux que personne la supériorité d'une extraction normande et plus intéressés à relever la naissance de leur héros; ils n'en ont cependant parlé qu'en passant et de manière à rendre leur récit bien suspect. Selon l'Anonyme de Lambeth, son père eût été distingué entre tous par sa naissance, par son industrie et par sa fortune..... Il se montra fort industrieux dans son commerce et gouverna très-bien sa maison selon son état; mais au XII siècle, quand on était distingué entre tous par sa naissance, on ne l'était point par son industrie, et en aucun temps on ne louerait un homme

peu sensible aux préjugés des Anglais à l'endroit
de la naissance; il écrivait en langue vulgaire pour
un peuple tout entier et non pour des clercs dont
il fallait ménager les préventions aristocratiques.
Sa Vie était une composition littéraire, travaillée
avec un soin scrupuleux, à une époque où il pou-
vait recourir aux meilleures sources d'informa-
tion, et non de simples souvenirs, rédigés aprės
plusieurs années, d'après les hasards de la mé-
moire. C'est lui-même qui nous l'apprend en com-
mençant :

Se vuleiz escuter la vie al saint martyr
Ci la purreiz par mei plenerement oïr,
N'i voil rien trespasser ne rien n'i voil mentir :
Quatre aunz i ai bien mis al fere et al furnir;
D'oster et de remetre poi la peine suffrir.
Primes treitai de joie et suvent i menti;
A Chantorbire alai, la verité oï;
Des amis saint Thomas la verité cuilli
Et de cels ki l'aveient des enfance servi:
D'oster et de remetre le travail en suffri (1).

(1) Bibliothèque impériale, Supplément français, n° 2636, fol. 3, recto, v. 21, et fol. 3, verso, v. 11:

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