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M. Guizot publia dans le Mercure de France divers articles remarquables, entre autres sur les Mélanges d'Ancillon, sur Jean de Muller, et sur les Preussens altere Geschichte, de Kotzebue. Agréez, etc. Un de vos abonnés.

Auvillars, 18 août 1858.

STAHL ET L'ANIMISME (1).

Héraclite d'Éphèse était un profond penseur et un grand philosophe : l'obscurité de son langage contribua beaucoup à sa célébrité. Il avait composé un livre de la Nature qui eut une réputation extraordinaire, "parce que, dit Lucrèce, personne n'entendait ce qu'il voulait dire :

Clarus ob obscuram linguam (2). »

Cicéron en conclut qu'Héraclite ne se souciait nullement d'être compris, quid diceret intelligi noluit (3), et il paraît qu'il fut servi à souhait. Je ne sais si Stahl avait les mêmes prétentions; mais je sais bien qu'il méritait de les avoir, car il les justifie complétement. Parmi les auteurs pénibles à lire, difficiles à entendre, il n'en est point qui lui dispute la palme, tant il est lourd et embarrassé dans ses périodes immenses, coupées de longues parenthèses et d'incidentes multiples. Sa pensée disparaît sous sa phraséologie latine, surchargée de germanismes, de tournures bizarres et de constructions baroques; sa manière de s'exprimer est étrange, rebutante; elle choque l'oreille, elle déroute la logique grammaticale et les principes du bon goût. Pour tout dire en quatre mots, le latin de Stahl, c'est du haut allemand. J'insiste là-dessus parce que je suis convaincu, par expérience, qu'entre autres causes qui ont

(1) Mémoire lu à l'Académie des sciences morales et politiques, par M. ALBERT LEMOINE, professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Bordeaux. In-8. Paris, 1858, chez J.-B. Baillière et fils.- Stahl (Georges-Ernest) naquit à Anspach, dans la Franconie, le 21 octobre 1660. Après avoir fait ses études à Iéna, il fut nommé en 1687 médecin du duc de Weimar, et professeur en médecine à l'Université de Halle en 1694, puis médecin ordinaire du roi de Prusse (1716). Il mourut à Berlin le 14 mai 1734. Également célèbre comme chimiste et comme médecin, il attacha son nom à la théorie du phlogistique et à la doctrine de l'animisme.

(2) De rer. nat., I, 640. (3) De nat. Deor., III, 14.

empêché la propagation de la doctrine de Stahl, la forme ingrate de ses écrits tient le premier rang. Exemple mémorable qui prouve que les savants ne sauraient trop s'humaniser, et que la science ne doit pas dédaigner les moyens de plaire, afin de s'insinuer dans les esprits. On a dit que l'homme vraiment supérieur est celui qui comprend tout, et se met à la portée de toutes les intelligences; on a dit encore que tous les grands esprits sont de grands écrivains. Il faut croire que autrement il serait aisé de refuser à Stahl ce qu'on ces deux vérités souffrent quelques exceptions: lui accorde généralement, qu'il fut grand médecin et penseur éminent. Ce n'est pas moi qui lui contesterai ce double titre de gloire; mais tout en l'admirant beaucoup, je ne puis consentir à lui pardonner l'ennui, je dirais presque le dégoût que m'a donné la lecture de ses œuvres, et je lui pardonne encore moins d'avoir compromis par sa faute sa doctrine, si longtemps méconnue, et d'avoir travaillé au profit des plagiaires, car ses idées, rajeunies, transformées ou simplement traduites, ont fait fortune dans certaines écoles.

Tel est l'auteur aimable que M. Lemoine s'est proposé de faire connaître, dans un mémoire consciencieux et fort étendu lu à l'Académie des sciences morales et politiques; louable et courageuse entreprise à laquelle les médecins ne sauraient trop applaudir. Il n'est pas commun, en effet, de voir les philosophes, et même les simples professeurs de logique, descendre des hauts lieux et renoncer aux spéculations sublimes pour s'enfoncer dans les questions les plus épineuses de la physiologie et de la pathologie. Pour aller vers Platon, il ne faut que des ailes, et si l'on éprouve le sort d'Icare, on risque tout au plus de se noyer dans l'inintelligible; mais il faut de l'héroïsme pour aborder Stahl. Que M. Lemoine reçoive donc mes félicitations les plus sincères; j'ose les lui présenter au nom de mes confrères de la Faculté, persuadé qu'ils lui sauront gré de l'initiative et du bon exemple. Qu'on ne s'y trompe pas cependant, M. Lemoine ne cherche pas le moins du monde à opérer une alliance entre la médecine et la philosophie: on ne veut point de cette fusion-là à la Sorbonne ; je le soupçonne, au contraire, d'avoir voulu rompre une lance en faveur du spiritualisme, dont il est un champion officiel. Quoi qu'il en soit de ses intentions, je ne puis que l'engager à renouveler ses incursions

sur un terrain que les philosophes considèrent
volontiers comme un camp ennemi, tant ils s'a-
venturent peu hors de leur domaine. Que M. Le-
moine revienne donc sans crainte chez nous, il y
trouvera des amis; en tout cas, il n'y perdra rien,
et on lui laissera prendre ce qu'il voudra.
Quoique M. Lemoine ait fait un travail d'ex-pellent parfois les impatiences de Galien.
position et d'analyse, où la critique tient peu de
place, je crois que son but a été de démontrer que
Stahl était spiritualiste; de sorte que son mémoire
est une thèse. La thèse est vraie, et M. Lemoine
a raison : l'animisme est la doctrine spiritualiste

accorder la modération dans la vérité (1); son ar-
deur belliqueuse l'emporte, et dans le feu de la
polémique, je devrais dire de la controverse, il
jette souvent des pierres dans le jardin de son
voisin les objections l'irritent; il se fâche contre
son adversaire; ses sorties un peu brusques rap-

par excellence.

Stahl fut un réformateur, et la réforme qu'il opéra fut radicale. Pour en comprendre l'urgence et en saisir toute la portée, il est bon de rappeler brièvement dans quel état il trouva la médecine.

Tel fut l'homme; mais cet homme était convaincu, sincère, seul contre tous, ou, ce qui est encore pis, secondé par de mauvais auxiliaires. Il réagit vigoureusement contre les tendances générales qui entraînaient la médecine hors de sa voie, sur une pente fatale : réaction légitime, mais violente jusqu'à l'exagération. N'importe; Stahl arracha la médecine aux sciences accessoires qui l'envahissaient : il lui rendit son indépendance, et il eut, malgré ses errements, la gloire de préparer l'a

venir. Si le vitalisme des modernes vient de lui en droite ligne, la biologie lui doit aussi quelque chose, en ce sens que la science de la vie fut sa préoccupation constante, et qu'il restitua à l'organisme ses droits méconnus. N'est-il pas admirable de voir Stahl, le premier chimiste de son temps et le plus grand de tous avant Lavoisier, bannir la chimie de la médecine, et avec elle toutes les connaissances auxiliaires, devenues trop ambitieuses?

Basile Valentin, Paracelse et Van Helmont firent une révolution dans la science; ils préparèrent le système chimiatrique de Sylvius, de même que Galilée et Descartes, par l'impulsion qu'ils donnèrent à la physique et à la mathématique, contribuèrent à l'éclosion d'une nouvelle secte, celle des iatromathématiciens ou mécaniciens. Les premiers prétendaient expliquer tous les phénomènes des corps vivants par les principes de la chimie; les autres, par les principes de l'hydraulique et de la mécanique; en sorte que l'étude des lois de l'économie animale se réduisait pour eux à des combinaisons chimiques ou à des calculs mathématiques. Boerhaave prétendit à son tour concilier les anciens et les modernes; il revint aux qualités élémentaires de Galien, qu'avaient remplacées les éléments chimiques; il emprunta à cet C'est dans l'homme que réside la raison et le prinauteur quelques idées fondamentales, et réunit cipe des phénomènes vitaux, dans la santé comme *les théories humorales aux théories mécaniques. dans la maladie. L'âme raisonnable, l'âme qui Boerhaave fit école: son système, facile et bril-pense, est le principe d'action, la cause première, lant, semblait fait exprès pour contenter tout le le moteur unique des corps organisés. Un même monde.

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Connaître les lois de la vie et les moyens de la conserver, telle est pour Stahl la vraie médecine : de là le titre qu'il donne à son ouvrage le plus important: Theoria medica vera. Pour acquérir cette double connaissance, il n'est pas nécessaire de chercher hors de l'homme :

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Nec te quæsiveris extra.

principe immatériel anime et vivifie les organes. Par elle-même, la matière est inerte, et le corps n'est rien par lui-même; c'est l'âme qui le forme, qui l'organise, qui opère en lui toutes les fonctions, produit tous les phénomènes vitaux : ceuxci sont indépendants des organes, de leur texture

(1) Tu mecum Deum ora, ut nobis largiatur, èv àλŋ0ɛla autáçxetav. (Theor. med. ver., præf., t. I, p. 4, edit. L. Choulant.)

et de toutes les modifications qu'ils peuvent subir. L'âme façonne le corps et le met en mouvement par son énergie. C'est par le mouvement que l'âme s'oppose sans cesse aux causes de tout genre qui luttent contre le corps, soit pour le détruire, soit pour troubler l'intégrité des fonctions. De cette lutte continuelle naissent les phénomènes morbides, qui ne sont autre chose que les phénomènes vitaux altérés. Le rôle du médecin doit se borner à seconder, à diriger, à régler ou à provoquer les mouvements salutaires de l'âme pour éloigner les causes morbifiques. Il est aisé de reconnaître dans cette méthode expectante la doctrine d'Hippocrate sur la toute-puissance de la

nature.

Je ne puis m'étendre longuement sur les doctrines physiologiques et médicales de Stahl. Ceux qui voudront en avoir une idée plus précise consulteront avec fruit le travail de M. Lemoine et la thèse du docteur Lasègne (1). Je dois me borner à quelques réflexions.

« Stahl sentit ce qui n'était pas le vrai; le vrai lui-même lui échappa. » Bichat a raison de parler ainsi, et de reconnaître que Stahl fit le premier pas pour la découverte des lois vitales. Il sentit que les lois physiques ne suffisaient pas pour expliquer les phénomènes de la vie ; il rapporta tous les phénomènes vitaux à un principe immatériel et unique. Là est l'exagération de son système et l'excès de sa réforme; mais le réformateur trouve son excuse dans les grossières aberrations des iatromécaniciens et des iatrochimistes, et dans les usurpations dangereuses d'une physique et d'une chimie également détestables.

causes; il courut après l'absolu, et il pécha par excès de spiritualisme : aussi fut-il obligé de se défendre contre les philosophes scrupuleux, et notamment contre Leibnitz, le père ou le précurseur de l'éclectisme. Si Stahl avait suivi les principes de la philosophie naturelle, il se serait abstenu de toute spéculation ontologique et religieuse, et il n'aurait pas eu de démêlés avec les métaphysiciens. Les écrits de ce beau génie, si féconds en idées et en préceptes excellents, devraient rappeler sans cesse à ceux qui les lisent que, dans l'étude des sciences, ou plus généralement de la nature, il faut observer attentivement les faits, "les analyser avec exactitude, les définir avec »justesse, les classer avec méthode, les généra»liser avec circonspection, et ne rien affirmer » que ne puisse toujours, et à volonté, confirmer l'expérience. "Telle est la saine méthode, tout le reste est oiseux et illusoire.

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J. M. GUARDIA.

LIVRES NOUVEAUX.

On écrit beaucoup de fables en province et on en publie beaucoup. Il y a quelque intérêt à suivre ce côté du mouvement littéraire. Dans ce genre se trouvent réunies des qualités précieuses, le bon goût, le bon sens, l'esprit, la finesse, la raison même. La poésie s'y voit un peu sacrifiée. Ces œuvres détachées, résultat d'une boutade, fantaisie jetée au hasard, sont trop rapidement écrites. Les rimes en sont faibles, le tour en est incertain. La fable est un petit moule difficile à remplir. Quand la pâte est mal composée, le gâteau manque de solidité. La fable peut passer pour une des friandises de la littérature. L'auteur devrait se montrer aussi sévère pour lui-même qu'on doit l'être dans la composition de pensées détachées où la morale a besoin d'être condensée pour jaillir avec netteté et saisir l'esprit du lecteur. M. Gas

Il faut tenir compte aussi du temps et du milieu où vécut Stahl, de son éducation, de son caractère et des tendances de son esprit. Stahl était chrétien et très-religieux. Il invoque Dieu au commencement de son grand ouvrage; il lui rend à la fin des actions de grâce, et il fait quelquefois intervenir la religion dans ses théo-ton Romieux (1) a plus d'une raison pour choisir ries. Il prétend, par exemple, que si l'âme vient à faire quelques fautes dans la direction du corps, il n'en faut pas chercher la cause ailleurs que dans le péché originel, qui l'a frappée de déchéance. La métaphysique, alors toute-puissante, exerça aussi sur ce grand esprit une influence manifeste. Stahl s'égara dans la recherche des

le genre modeste dont nous parlons; sa pensée ferme a souvent des choses délicates à dire, des sentiments difficiles à exprimer. Le Chardonneret et le Serin est une douce élégie, une larme dans un sujet ingénieusement choisi. L'auteur s'abandonne avec trop d'indulgence à une facilité qui

(1) Fables et poésies diverses, par M. Gaston Romieux.

(1) De Stahl et de sa doctrine médicale. Paris, 1846, in 4. La Rochelle, A. Siret.

l'entraîne à des longueurs; il lui faut un cadre pour le contenir. Certes le sonnet est une des formes les plus sévères de la poésie; l'art y serre la pensée et la rend disgracieuse s'il ne la fait pas charmante. Malgré ces obstacles, M. Gaston Romieux a placé dans son volume quelques sonnets qui sont les meilleurs morceaux du livre. Le poëte contenu ne peut se répandre au hasard, et cette lutte indispensable le force à remporter quelques victoires. Comme nous avons à juger un recueil de fables, nous résisterons au désir de citer un des sonnets dont nous parlons; nous choisirons une pièce qui donnera mieux l'idée de la manière de l'auteur, le Moulin et le Révérend:

Un Moulin à grand bruit agitait ses grands bras;
Un Révérend lui dit : Pourquoi tout ce fracas?
L'ami, pour un seul jour voudrais-tu bien te taire ?
Ton bruit m'empêche de trouver

La fin d'un long sermon que je veux dire en chaire;
Permets-moi donc de l'achever,

Car j'y veux flageller, je le dis sans mystère,
Messieurs les esprits forts, disciples de Voltaire.
Vraiment ! répondit le Moulin,

Et moi, docteur, il faut qu'avant demain
Je livre mon sac de farine;

Or, fussiez-vous un autre Massillon,

Je crois qu'en ce temps de famine
Froment moulu vaudra bien un sermon.

L'invention de cette fable est piquante; le tour n'en est pas assez net. Il manque un peu de travail à cette composition. Nous appliquerons cette critique à l'ensemble du volume, où l'on remarquera cependant l'Héritage du Christ, morceau bien pensé, la Lune rousse, les Deux railleurs, l'Ane et le Chameau, fables dans lesquelles M. G. Romieux a donné plus de fermeté à son style. Vers la fin du volume, plusieurs strophes lyriques ne manquent ni d'ampleur ni de sonorité. Malgré tout nous croyons que la pensée, chez M. G. Romieux, est supérieure à la forme.

M. Louis Goudall publie deux volumes à la fois, prose et vers, un roman et une comédie. Donnons le pas à la poésie et commençons par la Comédie au coin du feu (1), saynète en vers et en deux parties. C'est un spirituel imbroglio à la façon espagnole. Deux femmes déguisées en hommes deviennent mutuellement éprises l'une de l'autre ;

(1) La Comédie au coin du feu, par M. Louis Goudall Paris, Michel Lévy, 1858.

les soubrettes jettent d'audacieuses ripostes à ces cavaliers d'aventure; on ferraille, on se perd dans une intrigue de costume et de sentiments, et le tout finit comme il convient : les héroïnes reprennent leurs jupes. Le vers de M. Goudall est ferme et habile; la rime riche a pourtant quelques négligences. En guise de préface, l'auteur a improvisé une petite guitare liminaire, où le vaudeville et le mélodrame sont maltraités d'importance, où la fantaisie est vengée et réhabilitée, où les vaillances d'autrefois se montrent dans un esprit un peu

cherché:

Ma muse, en thèse générale,
N'est pas de celles, Dieu merci!
Qui cabriolent sans souci
Sur le ventre de la morale!

Elle vise fort peu, d'ailleurs,
A rendre les hommes meilleurs
Et la société meilleure,

Et, s'en tenant au statu quo,
T'offre quelques gais quiproquo
Pour t'amuser pendant une heure.

Mais je n'aurai pas le travers
De me faire ici de mes vers
Le panégyriste et l'apôtre.
Vanter mes rimes de rajah!
A quoi bon? Tu brûles déjà

De les lire d'un bout à l'autre.

Le martyr des Chaumelles (1) est un roman qui s'attache à reproduire exactement un épisode douloureux de la vie des campagnes. Ici la fantaisie disparaît; la réalité, la vérité sont poignantes; le style a de la force, et ce petit récit a trouvé l'originalité entre les peintures de MTM Sand et les tableaux de Balzac. L'auteur place son action dans un village du Quercy. Il s'agit de ce drame sombre qui s'accomplit au sein de tant de chaumières de France. Un brave paysan a marié sa fille et s'est dépouillé de son bien. M. Goudall a entrepris de peindre le supplice du vieillard, torturé par son gendre et par sa fille. Il n'a pour soutien qu'une pauvre enfant trouvée, Antigone de village, qui prend sa part des mauvais traitements et console le vieux père en prêtant à son grand âge l'appui de sa faiblesse. A ces scènes d'ingratitude se mêlent des amours, les uns chastes et nobles, autres pleins de brutalité et d'ivresse. Il y a des

les

(1) Le Martyr des Chaumelles, par M. Louis Goudall. Paris, L. Hachette, 1858,

parties de cette histoire qui sont tendres comme une idylle; il y en a qui sont vraies et terribles comme un procès de cour d'assises. M. Goudall a placé ses héros dans un pays qu'il sait bien décrire, et l'exactitude des tableaux présentés ajoute un charme à la vérité du récit.

Voici un livre de compilation assez originale. M. Lelion-Damiens, auteur de poésies et de romans, a songé à réunir en un volume tous les préceptes utiles aux comédiens, empruntés aux différents auteurs et particulièrement aux acteurs euxmêmes. Ce recueil est intitulé: le Bréviaire des comédiens (1). « Nous devons apprendre au peuple, dit Scudéry, que les bons comédiens ne méritent pas peu de louanges, et que leur profession n'est ni basse ni honteuse. » Nous lisons encore dans ces pages, destinées aux méditations des héros de théâtre, les pensées suivantes : «Les talents supérieurs n'ont point d'emploi circonscrit, » dit Molé. Un certain Sticotti prétend que « les mauvaises comédies doivent perfectionner les bons comédiens. "Si nous voulions être méchants, nous trouverions dans cette phrase l'occasion de plus d'une épigramme. Le conseil de Baron offrirait des difficultés dans la pratique. « Un comédien devrait être nourri sur les genoux des reines. » Nous trouvons dans ce livre les grands préceptes de Shakespeare, de hautes considérations de Diderot, des remarques de Voltaire, de Larive, de Talma, de Clairon, de Marmontel, de Dazincourt, de Cailhava, de Dorat, de Grimm, de Dugazon, de Lekain; au milieu de ces conseils, Molière pousse ce cri: " Ah! les étranges animaux à conduire que les comédiens ! » Et Diderot place cette phrase moins vraie aujourd'hui que de son temps : « Ce qui me fâche, c'est qu'un comédien galant homme et une comédienne honnête femme soient chose si rare. » L'ouvrage de M. Lelion-Damiens n'est sans doute pas complet, mais il est curieux.

M. Paul Boiteau est un écrivain subtil et instruit. Animé par un sentiment de justice, il entreprend de lutter contre l'esprit de dénigrement qui semble être le caractère de notre époque. Il reprend le procès de Béranger, et dans une brochure, Erreurs des critiques de Béranger (2),

(1) Le Bréviaire des comédiens, par M. Lelion-Damiens. Paris, Tresse, 1858.

(2) Erreurs des critiques de Béranger, par M. P. Boiteau. Paris, 1858, in-32.

il prononce en dernier ressort avec un enthousiasme qui n'exclut pas l'impartialité. M. Paul Boiteau, chargé d'écrire l'Appendice qui fait suite à la publication de la dernière œuvre de Béranger, Mabiographie, se croit autorisé à relever les erreurs de la critique. Il a raison. Il parle avec mesure et sagesse, et, à propos du chansonnier, il plaide la cause des gloires et des faits insultés dans ces dernières années. C'est courageusement dit et bien dit. MM. Sainte-Beuve, Pontmartin, Veuillot, Savinien Lapointe, Caro, Montégut, CuvillierFleury, Guizot, Mme Louise Colet, sont jugés avec une douce sévérité. M. Paul Boiteau accomplit une sorte de mission de fidélité. Nous ne soulèverons pas un nouveau débat à propos d'une gloire consacrée qui devait soulever les attaques violentes des partis. Ceux auxquels le bon goût a manqué sont coupables. Au sujet d'un recueil qui ne peut plus répondre à sa brochure, M. P. Boiteau, avec convenance, je le reconnais, prétend que Béranger y fut attaqué pour des raisons de rancune littéraire, parce que les rédacteurs de la Revue dont il parle, la Revue de Paris, appartenaient au camp romantique. Je puis déclarer et affirmer à M. Paul Boiteau que les griefs de ce recueil contre Béranger étaient d'autre nature, et qu'il prête à la critique d'écrivains sérieux et convaincus des motifs trop puérils. Cette rectification ne peut être une occasion de désaccord entre nous et M. Boiteau. Ce fait rétabli, nous acceptons la brochure.

M. Sébastien Rhéal a traduit d'Euripide Hippolite porte-couronne (1). Son œuvre, moins heureuse que l'Antigone de Meurice et de Vacquerie, dont chacun se rappelle le succès, fut autorisée pour être représentée à la salle Ventadour le 27 août 1853. La pièce avait été lue devant les comités des associations artistiques, au milieu d'un enthousiasme général. Les obstacles, les empêchements de toutes sortes qui ont arrêté la représentation sont expliqués dans une préface, dont les documents peuvent servir à l'histoire de l'art. La pièce alla jusque devant les tribunaux, et le résultat est entre les mains du public aujourd'hui ; c'est la protestation d'un auteur réduit à faire imprimer son travail et à aller chercher ailleurs les membres épars d'un public qui, nous n'en doutons pas, aurait applaudi la tentative littéraire de

(1) Hippolite porte-couronne, traduit d'Euripide, par M. Séb. Rhéal de Cesena. Paris, Dentu, 1858.

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