Billeder på siden
PDF
ePub

ques heures à vivre. Sur quatre colonels blessés ce jour-là, je fus le seul sur lequel fut prononcé cet arrêt de mort certaine. Sur ces quatre, l'un n'est plus; le deuxième est sans jambes, le troisième sans bras, moi seul je me porte bien!"

Le comte n'était pas au bout de ses dangers. Pendant la retraite, où il était porté sur un brancard, il fut attaqué et pris par les Tschetschènes, reçut quatre coups de sabre et de poignard, et n'échappa à une mort certaine qu'en se laissant tomber dans un précipice.

L'auteur a bien raison de dire, au commencement de son livre, qu'au Caucase « se maintenir sur le terrain qu'on occupe, le défendre ou le céder, ce sont là les grandes difficultés de cette guerre et la pierre d'achoppement des réputations. J'ai reçu ma croix de Saint-Georges pour un assaut heureux; cela m'a chagriné : j'aurais été fier de l'avoir obtenue pour une belle retraite. » Celle que fit l'armée fut désastreuse. Le chiffre des pertes fut immense. Un mot suffira: il y eut des bataillons qui changèrent jusqu'à quatre fois de chefs, et la campagne n'avait duré que cinquante jours. Le 20 juillet, les troupes étaient rentrées sur le territoire russe.

[ocr errors][merged small][ocr errors][merged small]

Nous manquions jusqu'à présent d'une représentation de Jeanne d'Arc qu'on pût attribuer à l'époque où apparut cette fille extraordinaire. Les recherches de nos antiquaires n'avaient abouti qu'à découvrir une médaille de plomb, à peu près inutile, attendu que l'effigie en est complétement effacée. Cependant on savait à n'en pas douter que du vivant de la Pucelle son image avait été répandue à profusion. Il est dit dans son procès qu'on avait fait d'elle des statuettes que les dévots de son parti achetaient pour les exposer dans les chapelles, à côté des figures des saints. Lorsqu'elle passa à Arras, un peintre écossais lui soumit un tableau allégorique dont elle était le personnage principal. Dès 1429, un autre tableau représentant ses premiers exploits était colporté en Allemagne et montré pour de l'argent; les registres de comptabilité de Ratisbonne ont conservé la mention de la dépense que firent les magistrats de la ville pour être admis à le voir. De ces témoignages il résultait, comme conséquence naturelle, que bien d'autres représentations du même genre avaient dû porter, en guise de journaux, dans le reste de l'Europe, le détail des miracles qui s'accomplissaient alors en France. On pouvait même supposer que l'art des autres pays s'était exercé sur un sujet si propre à frapper l'imagination populaire. Fallait-il renoncer à retrouver jamais un seul de ces monuments si nombreux ?

Terminons notre analyse et nos extraits de ces précieux Souvenirs par une anecdote que raconte M. de Benckendorff sur un Français qui servait sous ses ordres, car où ne trouve-t-on pas des Français? Dans un de ses premiers bivouacs, le comte alla visiter une caverne située près de son campement. La première chose qui nous y frappa fut un dessin exécuté au charbon sur une des parois. | Il représentait un montagnard du Caucase qui tombait renversé par un coup de baïonnette que lui donnait un chasseur de Koura. Sous le premier était écrit en français le nom de Schamil; sous le second, en grandes lettres, Michel Brousset: le tout fort bien exécuté. Cela nous intrigua; je sortis, et m'adressai à la troupe pour découvrir cet émule de Raphaël. Un jeune soldat me dit : « C'est moi, colonel. Je suis Français; » mon père, colonel sous l'empire, avait épousé Je m'étais posé cette question, lorsque je com» une dame russe très-riche dont la fortune est en posai le recueil de tout ce qui nous reste de témoiRussie, et consiste en biens territoriaux. Comme gnages contemporains sur Jeanne d'Arc. Pénétré étranger, je ne puis en hériter qu'en parvenant à de l'effet prodigieux que le procès de Rouen pro» être gentilhomme russe : c'est pour cela que je duisit sur l'esprit même des meilleurs Français, il suis ici, et que je suis si pressé de tuer Schamil; me semblait que notre crédule nation avait dû » car alors certainement j'aurai gagné mon épau- détruire les images de la Pucelle, vaincue et diflette d'officier. Si je ne réussis pas, c'est un mé- | famée, avec autant d'empressement qu'elle les

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Pucelle.

Jeanne est armée d'un harnais blanc avec des gardes brunies. Elle a sur la tête une chapeline ou grosse calotte de fer qui est posée par dessus un chaperon, de sorte que le tour du chaperon garnit le bas de la chapeline à l'instar d'un turban. Un

avait dressées sur les autels dans le moment de, cinq personnages, au milieu de laquelle figure la son triomphe; mais j'avais conservé l'espoir qu'à l'étranger, surtout de l'autre côté du Rhin, le revirement de l'opinion aurait été moins général, et qu'un jour ou l'autre quelque chose se rencontrerait parmi les vieilleries d'un intérieur allemand. Mes prévisions n'ont point été trompées. M. le marquis d'Azeglio, ministre de Sardaigne en An-gorgerin très-élevé garni d'une petite colerette lui gleterre, s'est rendu récemment l'acquéreur d'une pièce de tapisserie qu'il a découverte à Lucerne, et qui représente l'arrivée de Jeanne d'Arc à Chinon.

L'ouvrage, d'assez petite dimension, paraît être un fragment de bordure qui encadrait ce qu'on appelait autrefois « une chambre de tapisserie. Le dessin et les couleurs sont d'une conservation parfaite. Le costume des personnages offre une si grande ressemblance avec celui des miniatures du temps de Charles VI, que, si l'on n'était pas limité par le sujet, on placerait l'époque de la fabrication plus près de 1420 que de 1430. Une légende en allemand semble attester que le travail est germanique; cependant le style est essentiellement français, soit qu'on ait copié en Allemagne des cartons ou une autre tapisserie exécutés en France, soit que la pièce ait été travaillée en France (par exemple à Arras) avec destination pour l'Allemagne. Cette dernière conjecture semble justifiée par les fautes accumulées dans la légende qui se lit ainsi :

Vie hunt die Juckfrow von Got gesant
dem Delphin in sin Land.

En corrigeant kunt par kumt, le sens est celuici: «Comment vient la Pucelle envoyée de Dieu au Dauphin, dans sa terre. »

Voici quelle est la disposition du sujet :

A gauche est une ville figurée par une double enceinte de murs crénelés, avec un donjon et une église dans l'intérieur de la seconde enceinte. Deux personnages à mi-corps apparaissent entre les créneaux. Sur la fortification s'ouvre un portail dont le pont-levis est abattu, et l'on voit s'avancer sur ce pont Charles VII, suivi d'un chevalier. Le chevalier est armé de toutes pièces; le roi a la couronne en tête. Son habit est une demi-houppelande à juppe bouillonnée et déchiquetée par le bas. Il a la main droite appuyée sur la ceinture; il lève la gauche, comme pour accueillir une cavalcade de

[ocr errors]

couvre la totalité du cou. L'armure du buste est cachée par une veste sans manches (ce qu'on appelait une huque), entièrement déchiquetée sur l'ouverture du devant et sur le bord inférieur. Elle tient de la main droite son fameux étendard. C'est un drapeau long et étroit, terminé par une double queue, et sur lequel est représenté, tout près de la hampe, le Christ assis dans sa gloire entre deux anges en adoration. Vers la pointe, on voit trois rosaces qui ont été mises là au lieu de trois fleurs de lys, soit par une erreur de mémoire, soit par la faute du devis qui n'expliquait pas assez clairement au dessinateur la nature des fleurons qu'il devait exécuter en cet endroit.

Les autres cavaliers sont à la droite de la Pucelle. Deux la précèdent et sont armés à blanc. Le premier est un chevalier qui adresse la parole au roi, le second tient une arbalète et se tourne du côté de la Pucelle. Les personnages placés derrière sont un page en costume de ville, qui porte une lance, et un écuyer qui tient un bâton de la main gauche.

Toutes ces figures se meuvent sur un fond semé de rinceaux et de petits soleils. Il est singulier que ces mêmes soleils se trouvent reproduits comme bossettes sur plusieurs pièces de l'armure de Jeanne et à la rencontre des lanières qui forment le harnais de son cheval.

La composition qu'on vient de décrire n'a rien d'historique. Lorsque Jeanne d'Arc se présenta à Chinon, elle n'avait ni étendard, ni armure; son habit était celui d'un valet d'armée, et loin que Charles VII soit venu la recevoir sur le seuil de la ville, il fit toutes sortes de difficultés avant de l'admettre en sa présence. La tapisserie de M. d'Azeglio rend donc les choses d'une manière purement légendaire. Il ne faut pas y chercher non plus la ressemblance des personnages; mais leur ajustement, celui surtout de la figure principale, est conforme aux descriptions que nous fournissent les documents authentiques. Il est incontestable que le dessinateur a opéré d'après des notes re

cueillies ou des détails donnés de bouche par quelqu'un qui avait vu la Pucelle dans le temps où elle était à la tête des armées.

M. le marquis d'Azeglio, avec une libéralité d'autant plus méritoire qu'elle est peu commune chez les collecteurs, a fait faire de sa précieuse tapisserie des dessins photographiés qui ont été offerts en son nom à nos principaux dépôts publics. J. QUICHERAT.

CHARLES IX A-T-IL TIRÉ SUR LES HUGUENOTS
A LA SAINT-BARTHÉLEMI ?

Au nombre des faits consacrés depuis longtemps par la croyance populaire et contre lesquels s'est inscrit en faux M. Ed. Fournier, dans son trèscurieux volume l'Esprit de l'histoire, il en est un adopté jusqu'ici par les écrivains catholiques ou protestants, et qu'après une discussion de quelques pages le savant auteur déclare rejeter complétement. Nous voulons parler d'une particularité rapportée à propos de la Saint-Barthélemi par Brantôme, suivant lequel Charles IX aurait arquebusé lui-même les huguenots.

Les assertions de M. Fournier ont déjà soulevé de très-vives objections dans le Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français (1). Mais ses contradicteurs ayant laissé de côté un texte assez important, nous demandons à nos lecteurs la permission de traiter de nouveau la question.

Brantôme a été allégué jusqu'ici et à tort, ainsi que nous le verrons tout à l'heure, comme le seul contemporain qui ait mentionné le fait dont nous nous occupons; la discussion a donc dû porter uniquement sur son récit. Commençons par le rappeler :

Dans sa vie de Charles IX il s'exprime ainsi : Le roy fut plus ardent que tous (au massacre); lorsque le jeu se jouoit et qu'il fut jour et qu'il mit la tête à la fenêtre de sa chambre, et qu'il voyoit aucuns dans le faubourg de SaintGermain qui se remuoient et se sauvoient, il prit un grand harquebus de chasse qu'il avoit, il en tira tout plain de coups à eux, mais en vain, car l'harquebus ne tiroit si loing (2). Incessamment crioit tuez, tuez. "

(1) Voy. le numéro de novembre-décembre de l'année de 1856, p. 332 et suiv.

(2) M. Méry, qui, dans un feuilleton du journal le Pays

Voltaire, après avoir cité ce passage, dans les notes du chant II de la Henriade, ajoute: « Plusieurs personnes ont entendu raconter à M. le maréchal Tessé que, dans son enfance, il avait vu un vieux gentilhomme, âgé de plus de cent ans, qui avait été fort jeune dans les gardes de Charles IX. Il interrogea le vieillard sur la Saint-Barthélemi et lui demanda s'il était vrai que le roi eût tiré sur les huguenots. « C'était moi, monsieur, répondit le vieillard, qui chargeait son arquebuse. » Malgré son importance, nous n'insistons pas sur cette anecdote à laquelle ne s'oppose nullement la rigueur des dates. Le maréchal de Tessé étant né en 1650 a très-bien pu causer à sept ou huit ans avec un vieillard plus que centenaire qui aurait eu une quinzaine d'années en 1572.

Pour réfuter un fait historique admis depuis longtemps, il est de toute nécessité, à ce qu'il nous semble, de s'appuyer, soit sur des témoignages l'invraisemblance du fait lui-même. Or ici on ne positifs, et, s'il se peut, contemporains, soit sur peut invoquer rien de semblable. Pas un écrivain, pas un document du temps ne vient infirmer le récit de Brantôme. Et quant à la question d'invraisemblance, nous ne pensons pas qu'on puisse s'y arrêter un seul instant. Le prince qui proclamait que contre les rebelles « c'estoit cruauté d'estre humain et humanité d'estre cruel, » qui a ordonné la Saint-Barthélemi, ce prince ne serait guère moins odieux pour n'avoir point pris une part personnelle au plus effroyable massacre dont nos annales aient gardé le souvenir. La discussion s'est donc portée d'un autre côté. Charles IX a tiré de la fenêtre de sa chambre, suivant Brantôme; toute la question pour M. Fournier s'est réduite à ce point: où était cette fenêtre? Comme la plus grande incertitude règne à cet égard, que la tradition populaire, les écrivains du dernier siècle, et un décret de la Commune (1793) l'ont placée tantôt au Petit-Bourbon, tantôt dans un endroit du Louvre qui, suivant l'auteur, ne fut

(4 novembre 1856) a prêté main-forte à M. Fournier, s'est servi dans la discussion d'arguments dont celui-ci l'aurait bien dispensé. Le spirituel romancier s'est évertué à prouver que l'arquebuse, qu'il prétend inventée seulement en 1550, ne pouvait porter d'une rive à l'autre de la Seine, et il se demande comment Charles IX pouvait "tuer les calvinistes sans blesser leurs fidèles voisins. " On voit qu'il n'a pas même lu le texte de Brantôme.

[blocks in formation]

C'est là une conclusion qui a lieu de surprendre de la part d'un critique comme M. Fournier. En raisonnant ainsi, on irait loin en histoire. Et pour ne prendre qu'un seul exemple entre mille, de ce qu'aujourd'hui on n'est point d'accord sur la situation d'Alesia, il faudrait en conclure, d'après sa théorie, que le siége de cette ville par César est une fable?

Qu'on nous permette enfin d'ajouter que Brantôme connaissait le Louvre de Charles IX au

moins aussi bien que les érudits de nos jours, et que ce n'est point sa faute si, après lui, on s'est trompé plus ou moins grossièrement sur l'emplacement d'un lieu qu'il avait désigné d'une manière suffisamment claire pour ses contemporains. La discussion de M. Fournier ne prouve donc absolument rien contre le récit du chroniqueur.

Il est pourtant une objection que nous devons prévenir, bien qu'elle n'ait pas encore été faite.

le

| provinces pour se nettoyer de l'horreur du fait,
rejetant sur la maison de Guise, » il ajoute: « Ces
lettres furent envoyées, non-seulement dans le
royaume, mais en Angleterre, en Allemagne et
aux cantons des Suisses, signées de la mesme
main de laquelle ce prince giboyoit de la fenestre
du Louvre aux corps passans. (1) » Dans les Tra-
giques (édit. Jannet, p. 240), il dit encore:

Ce roy, non juste roy, mais juste harquebusier,
Giboyoit aux passans, trop tardifs à noyer,
Vantant ses coups heureux, etc.

Charles IX tiroit avec une arquebuse de chasse, dit Brantôme; il giboyoit aux passants, dit d'Aubigné. N'y a-t-il point là une conformité frappante entre les deux récits? Et notez bien que la mention du fait ne vient qu'indirectement sous la plume du dernier écrivain et comme une allusion à une particularité connue de tout le monde, et qui, racontée dans un livre, ne devait soulever aucune contradiction. Pas un contemporain ne l'a démenti. Découvrira-t-on un jour quelque document qui viendra convaincre de mensonge Brantôme et

Les œuvres de Brantôme n'ont paru que cinquante-d'Aubigné? Nous n'en savons rien; mais tout ce

que nous pouvons dire aujourd'hui c'est que jusqu'à présent leur témoignage ne nous paraît point pouvoir être révoqué en doute.

Monsieur le directeur,

LUD. LALANNE.

un ans après sa mort, en 1665, c'est-à-dire à une époque où il ne devait plus rester un seul témoin oculaire de la Saint-Barthélemi. On expliquerait ainsi pourquoi l'anecdote qu'il aurait mise le premier en circulation n'aurait point trouvé de contradicteurs; et comme d'ailleurs l'écrivain est assez sujet à caution, on pourrait à la rigueur rejeter son M. Guizot, dans les Mémoires pour servir à témoignage. Cette objection serait en effet fort l'histoire de mon temps, parle, je ne sais plus en grave s'il n'existait pas un passage d'un autre his- quel endroit, de vers composés par lui, sans en citer torien que l'on a oublié jusqu'ici en cette occur- un seul. Je crois devoir prévenir les personnes qui rence, d'un historien qui lui aussi était contem- voudraient avoir une idée de son talent poétique porain du massacre et qui, comme il le dit en maints qu'elles peuvent consulter le tome III de la trapassages, a recueilli de la bouche de Henri IV deduction de l'Enéide, par Barthélemy, l'auteur de nombreuses particularités sur cette sanglante jour-la Némésis. Elles y trouveront, dans les notes du née. Voici ce qu'on lit dans l'Histoire universelle de d'Aubigné, dont la première édition parut en 1618.

L'auteur raconte d'abord que Charles IX, « par impatience avoit fait tirer par quelques-uns quelques arquebusades » à une troupe de protestants placée en dehors de l'enceinte de Paris, près de la porte de Nesle; puis deux pages plus loin, en rapportant les lettres adressées par le roi « par toutes les

(1) Voy. pourtant ce qu'en dit M. A. Bernard dans le numéro cité plus haut du Bulletin.

livre VIII, p. 210, l'épisode de Cacus, traduit en
vers alexandrins par l'ancien ministre de l'instruc-
tion publique. Il commence ainsi :

Cet antre inaccessible à la clarté du jour
Était du noir Cacus l'effroyable séjour,
Vaste et sombre retraite où se cachaient ses crimes.
Le sol fumait toujours du sang de ses victimes, etc.

[blocks in formation]
[ocr errors]
[blocks in formation]

rent sur les frontières de l'Europe, les Slaves qui s'y trouvaient fixés n'opposèrent qu'une très-faible résistance à ce torrent dévastateur; ils furent honteusement battus dans toutes les rencontres. Bien mieux, il paraît que plusieurs petits princes galliciens, au lieu de se joindre aux autres Slaves pour repousser l'ennemi commun, combattirent dans ses rangs. Enhardis par ces faciles succès, les envahisseurs pénétrèrent jusqu'en Hongrie, et paraissaient disposés à poursuivre le cours de leurs déprédations.

On ne redoute plus aujourd'hui que les sauvages populations qui habitent les déserts de l'Asie se répandent sur l'Europe et y ramènent la barbarie. Le misanthropique Rousseau est peut-être le dernier qui, dans un moment de haine contre ses contemporains, ait osé les menacer d'un pareilleurs États, tous les souverains de l'Europe son

châtiment. On n'a pas oublié la malencontreuse prophétie qui lui est échappée en écrivant le Contrat social: « Les Tatars, voisins de la Russie, deviendront ses maîtres et les nôtres. » Le dédain avec lequel ces paroles furent relevées par les écrivains de l'époque était-il bien fondé ? Nous ne le pensons pas. Au siècle dernier les Tatars pouvaient encore être considérés comme un peuple redoutable. On les connaissait assez mal, et la Russie ne devait point paraître une barrière suffisante contre leurs invasions, si jamais elles se renouvelaient. La puissance des Tatars est maintenant abattue; mais leur courte apparition en Europe a laissé, dans les pays slaves, des traces qui sont encore loin d'être complétement effacées.

Ces réflexions nous sont inspirées par un travail qui vient de paraître en Allemagne; il est intitulé: De l'introduction du droit municipal de Magdebourg dans les provinces de l'ancien royaume de Pologne, à l'est de la Vistule. C'est une petite dissertation, un peu aride peut-être, mais très-savante, et qui nous reporte au temps où, après avoir renoncé à pénétrer dans le centre de l'Europe, les Tatars, campés au milieu des steppes qui bordent la mer Noire et le Volga, continuaient à dévaster la Pologne et les provinces slaves environnantes.

On attribue généralement aux Slaves l'honneur d'avoir détourné le danger dont les Tatars, ou plutôt les Mongols, menacèrent momentanément la civilisation européenne. C'est là une opinion qui demande à être rectifiée. Les peuples slaves ne sont point les sauveurs de l'Europe; ils n'ont rempli qu'un rôle très-secondaire dans cette grande scène historique. Lorsque les hordes sauvages que commandait Batou, petit-fils de TchinguisKhan, fondateur de l'empire mongol, se montre

A la première nouvelle de l'orage qui menaçait

gèrent à le détourner. L'empereur d'Allemagne pressait ses voisins de venir à son secours; le roi de France et surtout la reine Blanche étaient dans la plus vive inquiétude; ils voyaient déjà les Tatars aux portes de Paris. Le pape se disposait à prêcher une croisade, et les pessimistes de l'époque croyaient très-sincèrement que la fin du monde était proche. Les Tatars ne franchirent point les frontières occidentales de la Hongrie; ils se répandirent dans les provinces slaves qui se trouvent au sud de cette contrée, l'Esclavonie, la Croatie, la Dalmatie, la Bosnie, la Servie, la Bulgarie, et les parcoururent pendant près de trois années. On les croyait décidés à se fixer dans cette partie de l'Europe; mais le fils de leur grand khan étant monté sur le trône de la Chine, ils reprirent le chemin de leurs déserts.

Pour refuser aux Slaves le titre de sauveurs de l'Europe, il suffit de connaître les détails que les historiens nous fournissent sur cette mémorable invasion. Au lieu de refouler les Tatars, ces peuples agriculteurs les ont attirés comme une proie facile. Les Russes seuls ont eu une action plus directe sur la chute définitive de l'empire mongol par les défaites qu'ils firent subir aux hordes dont ils étaient tributaires. Mais l'industrieuse activité de la race allemande ne contribua pas moins que les efforts des tsars à mettre un terme aux incursions de ces nomades.

Lorsque, renonçant à conquérir l'Allemagne, les Tatars quittèrent la Hongrie et les pays slaves environnants, les plaines qu'ils avaient traversées étaient dépeuplées et incultes. Les princes dans les États desquels ces terres étaient situées cherchèrent naturellement à y faire refleurir le commerce et l'industrie. Mais les farouches envahisseurs pouvaient revenir sur leurs pas. Dans

« ForrigeFortsæt »