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LIVRES NOUVEAUX.

PHILOLOGIE, ÉRUDITION, VOYAGES.

Nous n'avons pas l'habitude de parler des livres destinés à l'enseignement dans les colléges, mais nous devons faire une exception pour un ouvrage dont l'introduction nous a vivement intéressé.

11 y a longtemps que l'on a adressé au Dictionnaire de l'Académie des critiques très-fondées; elles viennent d'être renouvelées dans la piquante préface que M. Louis Quicherat a placée au commencement de son Dictionnaire français-latin (1), ouvrage auquel il a consacré neuf années et qui suffirait seul à le placer, s'il n'y était déjà, au premier rang parmi les latinistes de notre époque. Dans son travail il a dû tout naturellement prendre pour guide le Dictionnaire de l'Académie, « dont une longue pratique, dit-il, lui a fait de plus en plus apprécier le mérite. » Toutefois cette pratique même lui a révélé de nombreuses imperfections qu'il énumère avec toute l'urbanité possible. Il a noté entre autres, pour s'excuser de ne les avoir point mis dans son livre, une foule de mots inconnus ou peu s'en faut, et qui, déjà donnés comme décrépits par les premiers éditeurs du Dictionnaire, ont été conservés comme de précieuses reliques par leurs successeurs et soigneusement embaumés par eux dans l'une de ces formules: il est vieux, il est familier. Par contre, fort long est le catalogue des mots que le savant lexicographe a dû inscrire dans son vocabulaire et que l'illustre compagnie en corps a proscrits, bien qu'individuellement ses membres ne se gênent point pour les employer journellement en prose comme en vers; ressemblant fort en cela à ces prédicateurs (du temps passé, cela va sans dire), qui étaient les premiers à enfreindre les préceptes de morale qu'ils voulaient inculquer à leurs auditeurs. C'est à ne pas en croire ses yeux en lisant qu'elle a mis hors la loi des mots comme assombrir, câliner, civilisateur, constatation, démoraliser et ses dérivés, détournement, éditer, élogieux, élucider, s'entre-tuer, exonérer, obèse, plèbe, sauvegarder, statuette, surexciter, torrentiel, trôner, vulga

rité, etc., etc.,

etc.

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les arbitres souverains de notre langue prêtent souvent bien à rire. Cherchez par exemple les trois mots antre, caverne et grotte. Voici comment l'Académie les explique : 1o antre, caverne, grotte naturelle; 2o caverne, antre, grotte; 3° grotte, antre, caverne. Donnez-vous la peine de jeter un regard sur les mots badiner et folâtrer, étonnement et surprise, élevé et haut, fécond et fertile, charge, fardeau et faix, et vous serez ravi de voir le même toujours expliqué par le même. C'est là un procédé fort commode et dont nous croyons que l'Académie s'est réservé le monopole, car elle est seule à l'employer.

La critique que M. Quicherat fait ensuite des dictionnaires français-latin publiés avant le sien n'est ni moins juste ni moins piquante, et l'on se figure difficilement la nomenclature de bévues de tout genre que lui a fournie l'examen du vocabulaire de Noël qui, depuis bien des générations, est le livre adopté par les professeurs et les écoliers. Et les omissions! on s'en fera une idée en apprenant qu'en regard du mot épouse on ne trouve ni uxor ni conjux.

M. Quicherat avait encore une réforme trèsimportante à apporter dans les travaux de ses devanciers. Les jésuites qui, en France, au XVIIe siècle, avaient accaparé en grande partie l'enseignement de la jeunesse, étaient en général d'excellents latinistes. Nourris aux sources les plus pures de la littérature classique, ils avaient un profond dédain, non-seulement pour la langue latine de ce moyen âge auquel rien ne les rattachait dans le passé, mais encore pour la langue des Pères de l'Église qu'ils considéraient comme appartenant à une époque de décadence. Les ouvrages lexicographiques sortis de leurs mains en portent suffisamment la trace. Ils évitaient avec le plus grand soin, et leurs successeurs les ont fidèlement suivis, de traduire un mot appartenant à la langue sacrée par le mot propre qui lui était consacré dans les auteurs ecclésiastiques. De là des périphrases plus ou moins cicéroniennes. C'est ainsi qu'on a traduit damnation par parata in æternum improbis supplicia, pécheur par peccatis obnoxius, etc., etc.

Noël a été plus loin : chez lui le mot hostie est rendu par orbiculus ex pane. M. Quicherat a raison de s'écrier: Je m'étonnerais bien si un prêtre lisait cette traduction sans scandale. "

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En résumé, la préface du nouveau dictionnaire

est un excellent morceau de critique, dont nous recommandons la lecture aux grammairiens.

tres mérites, a celui d'être inédite (1).—Elle a pour
auteur Nompar II, seigneur de Caumont, mort en
Angleterre en 1446, et dont le nom comme écrivain
était déjà connu par des Dits et enseignements
qu'il avait composés pour ses enfants, et qui ont
été publiés en 1846 (à cent exemplaires), par
M. Galy, bibliothécaire de la ville de Périgueux.
Ce fut le 27 février 1418 que le seigneur de Cau-
mont partit de son château pour se rendre à
Bayonne, où il s'embarqua. Avant d'arriver en
terre sainte il s'arrêta à Majorque, à Candie, puis

lignée qu'il emmena avec lui, et qui lui conféra, au saint sépulcre même, l'ordre de la chevalerie. Il accomplit le plus dévotement possible son pèlerinage à toutes les localités objets de la vénération des fidèles, en notant soigneusement la quotité des années d'indulgences attachées à la visite de chacune d'elles, puis il s'en revint par Chypre, Rhodes, la Sicile, la Sardaigne, et le 18 mars 1419, après des traversées contrariées sans cesse par le mauvais temps, il débarqua enfin à Barcelone. En mémoire de son lointain voyage, il fonda un ordre de chevalerie, l'ordre de l'Écharpe, qui ne paraît pas lui avoir survécu.

-Les Mélanges d'histoire littéraire de G. Favre (1) ont pour but et auront pour résultat de faire connaître au public un savant génevois d'un mérite incontestable, et qui n'était guère, en deçà des Alpes, apprécié que de quelques amis et de quelques érudits. Guillaume Favre, dont la vie | nous est racontée d'une manière fort intéressante dans la remarquable notice que M. Adert a placée en tête du premier volume, était né à Marseille, en 1770, d'une famille génevoise; à l'époque de la ré-à Rhodes où il trouva un jeune chevalier de grande volution, il revint s'établir à Genève où il termina, en 1851, une existence consacrée presque tout entière à l'étude. L'habile éditeur a fait un choix très-heureux parmi les nombreux manuscrits laissés par M. Favre, qui ne se préoccupait guère du public, et il les a appréciés, dans sa notice, en critique de goût et de savoir. Nous remarquons dans le premier volume une vie de Jean Marius Philelfe qui est accompagnée d'un appendice contenant des notes (dont quelques-unes sont de véritables dissertations) sur les hellénistes en Italie du xi au XV siècle, sur les Malatesta, sur le poëme latin d'Amyris, « poëme détestable, dit fort bien M. Adert, mais qui est cependant assez curieux comme témoignage inédit d'un contemporain sur la vie et les exploits de Mahomet II. » Le second volume contient les meilleurs travaux de l'auteur des recherches sur les histoires fabuleuses d'Alexandre le Grand, et un essai sur la littérature sacrée et profane des Goths. L'immense lecture de M. Favre lui a fait jeter dans ces travaux une profusion de notes qui quelquefois s'égarent un peu à droite et à gauche, mais qui offrent une mine féconde que pourront exploiter ceux qui, après lui, traiteront les mêmes sujets.

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A la suite de son récit il a placé un inventaire d'objets qu'il avait rapportés de terre sainte. « Ce sont, dit-il, les joyes qui sont en la huche de siprès, achatées en Jhérusalem. » Ces joyes sont des étoffes d'Orient, des pierres précieuses, des anneaux, des bourses, dix-sept ganivets (couteaux) de Turquie;

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lesquelles joyes de ce dit pays je pourtai, dit-il, pour donner à ma femme et aux seigneurs et dames de mon dit 66 pays. Dans le nombre figurent des auzelles de Chipre pour parfumer chambres. » Le savant éditeur a rendu le mot auzelles par sa signification ordinaire d'oiseau. Est-ce la bonne? J'en doute d'autant plus que je trouve dans Ducange les mots ansa, anxilla, auxilla et auxillula avec le sens de vase. Auzelle doit probablement signifier ici quelque flacon rempli d'essence. En tout cas, à moins d'être expliqué, le sens d'oiseau ne me semble pas pouvoir être adopté.

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(1) Voyaige d'oultremer en Jhérusalem, par le seigneur de Caumont, l'an MCCCCXVIII, publié pour la première fois d'après le manuscrit du Musée Britannique, par M. le marquis de La Grange, membre de l'Institut. Paris, Aubry, 1858, xx et 190 p. in-8, avec un fac-simile.

Le texte du seigneur de Caumont est précédé d'une bonne notice et suivi de tables bien faites et d'un glossaire très-détaillé. Ajoutons en outre que ce volume, tiré à un petit nombre d'exemplaires, est, par son exécution typographique, digne de figurer dans la bibliothèque des amateurs les plus difficiles.

J'estime plus qu'un roi l'homme heureux qui n'a rien,
Sinon ce que sa main journellement lui baille,
N'ayant de revenu la valeur d'une maille,
Pourvu qu'au demeurant il soit homme de bien.

Il est sans pensement, n'ayant rien qui soit sien;
Il n'a point de souci qui la nuit le travaille
En songeant quel parti gagnera la bataille,
Par la perte de l'un, craignant perdre son bien;
Il ne craint point de voir que sa bourse on lui vide
Par tribut, par emprunt, ou par quelque subside;
Ni qu'un soldat mutin lui pille sa maison.
Bref, en sa pauvreté meilleure est sa fortune
Que du riche, duquel la richesse est commune,
Depuis que le pouvoir commande à la raison.

Aimée, je suis tien et le serai toujours Jusqu'à ce que la mort mettra fin à nos jours. Et si, après le cours de notre frêle vie, On peut aimer encor... je t'aimerai, m'amie. Mais ce sont là des éclairs, et le plus souvent il retombe dans la banalité et le remplissage. M. Dezeimeris ne nous l'a pas caché, et comme il s'est gardé de toute exagération, on peut, quand il loue, accepter ses jugements en toute confiance. - Le volume se compose d'un avant-propos, d'un coup d'œil sur la réforme de Ronsard, de la vie du P. de Brach, d'une analyse fort longue de ses ouvrages, les poëmes, les imitations et traductions du Tasse et de l'Arioste, analyse qui est complétée par un appendice où se trouvent de nombreux extraits. Les notes sont nombreuses, et l'auteur en y rappelant les passages d'auteurs anciens imités, la plupart du temps de seconde main, par le poëte, y a fait preuve d'une érudition classique de bon aloi.

Avec les Lettres de Gabriel Peignot (1) nous sautons brusquement de Bordeaux en Bourgogne. Peignot était, on le sait, un bibliophile fort distin

Sa correspondance familière avec un de ses amis n'ajoutera pas beaucoup à sa réputation, mais elle sert à faire bien apprécier l'homme honorable qui les a écrites, et, par les mille détails qu'elle contient sur les hommes et les choses du pays, est de nature à intéresser tout particulièrement ses compatriotes.

Voilà, sans contredit, un fort beau sonnet; il est vrai que c'est la meilleure pièce d'un poëte borde-gué, et d'une érudition plus variée que profonde. lais du xvi® siècle, Pierre de Brach, né vers 1548, mort après 1604, lequel vient d'être l'objet de la part de M. Reinhold Dezeimeris d'une excellente étude littéraire (1). C'est toujours une tâche délicate que de chercher à remettre en lumière un de ces vieux poëtes oubliés, et la plupart du temps bien dignes de l'être. M. Dezeimeris s'est tiré de cette difficulté avec beaucoup de bonheur. Sa critique, qui est celle d'un homme de tact et de savoir, apprécie à sa juste valeur le mérite de l'écrivain qu'il a entrepris de nous faire connaître. Pierre de Brach est un élève de l'école de Ronsard, mais il est loin, très-loin d'égaler son maître; il a parfois plus de goût, mais il n'a ni son originalité, ni son feu, ni sa verve. C'est pour son temps un poëte de second ordre, et au siècle suivant il aurait été placé beaucoup plus bas. On trouve chez lui quelques beaux passages, des rencontres heureuses, des vers gracieux comme ceux-ci, qu'il adresse à sa femme:

(1) Notice sur Pierre de Brach, poëte bordelais du XVI siècle, par Reinhold Dezeimeris; ouvrage couronné par l'Académie de Bordeaux. Paris, Aubry, 1858, XXIV et 134, p. in-8, avec portrait et fac-simile (tiré à 400 exemplaires).

Une autre correspondance bourguignonne aussi, mais d'une bien autre valeur, et dont la réputation faite depuis longtemps tend chaque jour à s'accroître, c'est celle que le président de Brosses (2) adressa à ses amis pendant son voyage en Italie, en 1739 et 1740. Écrite avec un laisser-aller, un abandon qui n'en sont pas le moindre attrait, elle nous retrace une peinture si vive de l'Italie, il y a plus de cent ans, que certainement c'est avec le Guide de M. Du Pays, le meilleur compagnon qu'on

(1) Lettres de Gabriel Peignot à son ami N. D. Baulmont, mises en ordre et publiées par Émile Peignot, son petitfils. Dijon et Paris, 260 p. in-8.

(2) Le président de Brosses en Italie. Lettres familières écrites d'Italie en 1739 et 1740. 2o édit. authentique, revue sur les manuscrits, annotée et précédée d'un Essai sur la vie et les écrits de l'auteur, par M. R. Colomb. Paris Didier, 1858, 2 vol. in-12.

puisse emmener avec soi dans une excursion au delà des Alpes; car ces deux livres nous montreront à la fois

La ville morte auprès de la ville endormie.

Les dernières lettres surtout sont remarquables et célèbres à juste titre. Elles contiennent la relation du conclave qui éleva Benoît XIV sur le trône pontifical. L'ouvrage est en un mot une charmante production de l'un des esprits les plus fins et les plus originaux du XVIIIe siècle. L'édition donnée par M. Colomb, qui l'a annotée avec trop de sobriété peut-être, est précédée d'une notice assez étendue sur l'auteur.

Nos lecteurs connaissent déjà, par quelques pages (1) que nous en avons extraites, les Mémoires de Lutfullah, gentilhomme mahométan, de cet Indou sectateur du prophète, qui s'est assez familiarisé avec la langue et la littérature de la GrandeBretagne pour publier en anglais, et en fort bon anglais, le récit de sa vie aventureuse, au service soit des princes indigènes, soit des officiers de la Compagnie. Ce livre a eu un grand succès de l'autre côté de la Manche, et nous annonçons avec plaisir la traduction française qui vient d'en être faite (2) et qui est due à l'auteur de l'Inde contemporaine, M. F. de Lanoye. Tout est piquant et nouveau dans ces mémoires, dont l'auteur reçut en 1838, de l'agent politique anglais de Rajkot, en Kattaviar, un certificat où il est ainsi apprécié : « Son intime connaissance du caractère européen, et son mépris pour les folies et les dépravations des indigènes de l'Inde, en font un serviteur très-précieux pour le gouvernement britannique. Son esprit de justice et de véracité sont tels que jamais avant lui un individu de pur sang asiatique ne les a possédés au même degré.

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On écrit actuellement beaucoup de voyages, et la plupart de ces récits sont intéressants. L'infortuné Gabriel Ferry fut un des premiers qui donna la forme dramatique à ses aventures lointaines. M. Émile Carrey marche sur ses traces. L'Amazone (1) est un roman à la manière de la Floride et d'Héva pour la richesse des descriptions; l'exactitude du narrateur est sans contredit supérieure. Don Henrique habite une sorte de palais aux bords de l'Amazone; c'est un Monte-Christo de l'équateur, un Rodolphe du désert. Comme le héros des Mystères de Paris, il dompte la nature et l'homme et retrouve sous ces latitudes lointaines des types de tapis francs, Ténébreux, Monte à regret, Poil de carotte, le Saltimbanque. L'action, dramatique et bien distribuée, sert de cadre aux renseignements que le voyageur a recueillis et qu'il développe avec netteté et intérêt. La partie romanesque n'enlève rien au côté sérieux de ce voyage; les faits sont posés sur les descriptions comme un ornement indépendant, comme un vêtement qui doit rendre l'Amazone attrayant pour les lecteurs les plus blasés. Le style de M. Émile Carrey n'a pas de prétention; la couleur en est simple et sobre: nous y désirerions seulement un peu plus de correction. La culture et l'industrie sont étudiées avec soin; les mœurs locales apparaissent dans leur vé

Ne quittons pas l'Orient sans mentionner trois volumes dont les Anglais, à qui nous ne cessons d'emprunter tant de relations de voyage, ne manqueront certainement pas de faire leur profit. Ils sont signés d'ailleurs d'un nom connu depuis long-rité; les lois, un peu confuses, sont bien explitemps dans la littérature, de M. Charles Didier, et ont pour titre : Cinquante jours au désert; Cinq cents lieues sur le Nil; Séjour chez le grandchérif de la Mekke (3). Même pour ceux qui n'ont

(1) Voy. la Correspondance, 1858, p. 101. (2) Paris, Hachette et Ce, in-18.

(3) Paris, Hachette et C, 3 vol. in-18 (Bibliothèque des chemins de fer).

quées; l'auteur espère beaucoup de l'avenir de ces contrées. A côté de l'habitation de don Henrique, nous parcourons ses métairies; puis nous visitons l'ajoupa du nègre et le carbet de l'Indien; le chapitre consacré au commerce de l'Amazone est d'un

(1) L'Amazone; huit jours sous l'équateur, par M. Émile Carrey. Paris, Michel Lévy frères.

puissant intérêt; M. Émile Carrey visite une flottille dont l'énumération rappelle celle des Orientales: c'est l'uba, fait à Lima; l'égaritea de l'Orénoque, la coberta du Brésil, la vigilinga de la Guyane, la jangada de Pernambuco, la balsa des Cordillères. Puis soudain un souvenir d'amour passe au travers du voyage! Juana et Carmen rappellent à don Henrique des vers de nos poëtes. Le lac et la tristesse d'Olympio sous l'équateur! Le ton mélancolique de ce voyage lui donne une sorte de passion humaine qui entraîne et remue le cœur. On vit avec le voyageur qui vous fait, par moments, rêver des escapades de Robinson.

Ce que George Sand a fait pour le Berri, ce que M. Dubois a fait pour la Suisse dans ses Nouvelles montagnardes, M. Jules d'Herbauges le tente pour le pays Nantais. Ces récits locaux ont un grand charme. La Jaguerre (1) est un épisode des luttes civiles de la Vendée. Renée, paysanne de Machecoul, a deux enfants, Jean et Marie. Jean combat pour les Vendéens, tandis qu'un jeune conscrit républicain est envoyé en logement chez sa mère. Le pauvre bleu se montre doux et timide; il aide au travail de la maison et se prend d'amour pour Marie, qui de son côté s'attache à Étienne. Jean, fugitif, rôde un soir aux environs de sa cabane; il aperçoit le soldat bleu, devine toute l'étendue de l'amour des deux enfants et rêve la paix pour assurer leur bonheur. Mais une alarme a lieu; la Vendée se soulève de nouveau. Jean rejoint les brigands et Étienne marche avec les bleus. Le temps s'écoule. Renée n'a de nouvelles de personne. Les deux femmes courent les fermes et les champs à la recherche du fils et du fiancé. Au revers d'un fossé, elles trouvent un soir un soldat républicain : c'est Étienne. Vite, du secours! Marie s'élance et Renée déshabille le bleu pour qu'il ne soit pas reconnu. Sous l'uniforme est une grosse montre d'argent. Qui t'a donné cette montre? Un brigand que j'ai tué et qui m'a dit de reporter ça à sa mère. Étienne avait abattu Jean sans le connaître, Jean qui avait épargné le fiancé de sa sœur. Renée à cette nouvelle veut venger son fils; puis Marie revient, inquiète, troublée. Pauvre enfant! dit la mère. Elle ne saura rien. Et les deux amants se marièrent, et Marie fut heureuse sans savoir qu'Étienne avait tué son

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(1) Esquisses et récits, par M. Jules d'Herbauges. Paris, L. Hachette.

pauvre frère. La montre d'argent marquait des heures tristes pour Renée. Prosper, la seconde histoire du volume de M. d'Herbauges, est un récit un peu trop enfantin. Après Mine et Contremine et l'Ile de Cabrera, qui ne sont plus des récits de localité et qui perdent peut-être à quitter le sol de Bretagne, la Grande-Perrière nous ramène à la Vendée. On peut remarquer que le talent de M. d'Herbauges se plaît de préférence aux contes de paysans et aux histoires simples et naturelles. La nudité de son style s'y montre moins. La phrase y est plus à l'aise, et souvent on est tenté d'attribuer à un effet de l'art ce qui n'est qu'un défaut de l'artiste.

Une famille réunie en conseil va décider du sort d'un jeune homme. On lui propose toutes les professions; il veut être homme de lettres. Exclamation de la part des bons parents. Un étranger se trouve là et prend la parole: c'est l'auteur de l'Histoire d'un livre (1) qui plaide la cause du jeune homme. M. Mary-Lafon raconte avec esprit et intérêt les secrets de l'imprimerie, les mystères de la fabrication; il joint l'anecdote à l'érudition, et, sous forme de conte, livre au lecteur un manuel rempli de connaissances essentielles, ignorées de tant de gens. Tout le monde lit un journal le matin, et sur mille lecteurs il n'en est pas un, peut-être, qui sache comment se fait, se fabrique la feuille qu'il parcourt. L'opuscule de M. MaryLafon convient donc à tous ces ignorants qui peuvent s'instruire en lisant cent pages.

Avec M. Attale du Cournau, nous retournons en Bretagne. Jean de Saint-Renan a passé pour mort après la guerre de Vendée. Jacques son frère a pris possession de l'héritage. L'aîné revient, mais le cadet montre les dents. L'honneur du nom retient Jean, qui renonce à ses droits. Il vit et vieillit pauvre, loin de son pays, avec une fille, Yvonnette (2). Le déshérité volontaire souffre d'avoir condamné d'avance son enfant à la misère. Mais tout se répare. Yvonnette ramène son père en Bretagne; elle aborde son oncle et fait si bien, par sa grâce et son énergie, qu'elle rapproche les deux branches de la famille en épousant Loïc, le fils de l'usurpateur. C'est un roman bien simple

(1) Histoire d'un livre, par M. Mary-Lafon. Paris, Par

mantier.

(2) Le livre de famille. Yvonnette, par M. Attale du Cournau. Paris, Furne.

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