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Prenons un exemple : Les sens nous montrent cet arbre et cet autre, mais c'est notre raison qui nous fait juger le premier plus grand que le second. En d'autres termes, l'idée de grandeur et celle de plus ou de moins ne nous sont suggérées par la vue d'aucun des deux arbres en particulier, mais par la comparaison que notre esprit, en vertu d'une faculté qui lui est propre, établit entre l'un et l'autre. Au moyen de ces rapports, l'homme classe les idées particulières et introduit la régularité au sein de ce chaos. L'expression des rapports en tant qu'entrés dans la connaissance est ce qu'on nomme la vérité, et l'ensemble des rapports conçus comme se coordonnant entre eux et formant un système constitue l'ordre, terme suprême de la vérité; l'esprit humain en perçoit des fragments, et, pour ainsi dire, des délégations secondaires, mais la compréhension parfaite en est réservée à Dieu seul.

Ainsi quatre étages dans l'universalité des choses la matière qui appelle et suppose l'ordre, l'ordre qui suppose l'esprit, et l'esprit qui suppose Dieu, tels sont les objets de la connaissance humaine. L'esprit perçoit la matière par la sensation, qui est une sorte de photographie de la matière dans le cerveau (M. Decorde propose d'appeler idéoïde la connaissance ainsi obtenue); il perçoit l'ordre par la raison et le résultat en est l'idée, révélation intérieure d'un caractère général et indéfini, représentée aux sens par les mots du langage. La mise en œuvre des idées pour la construction de l'ordre a lieu par la pensée dont l'opération fondamentale est le jugement, qui se traduit par la phrase. Enfin, en face du monde fatal de la matière et de l'ordre, soumis aux lois de la nécessité, l'esprit saisit le monde de la liberté en lui-même et en Dieu, auquel il remonte comme à sa source et à l'explication de sa nature.

Tel est, autant que nous l'avons compris, le fond du système de M. Decorde. Dans un recueil plus spécial que celui-ci, on pourrait entrer dans les détails et discuter un certain nombre de points contestables. Nous aimons mieux nous en tenir à l'aperçu que nous avons esquissé; si incomplet qu'il soit, il donne l'idée d'un livre d'une incontestable valeur, tant pour le bon sens des conclusions que pour la lucidité de la forme. La lecture en a d'ailleurs tout l'attrait d'une expérience psychologique, faite sur un écrivain qui n'était point préoccupé des œuvres d'autrui et bourré d'érudition

comme on l'est aujourd'hui, et qui a pensé par lui-même, jusqu'à se faire parfois illusion sur l'originalité de quelques détails. Son livre, aussi dégagé que possible de l'influence des écoles et des traditions, prouve que les méditations isolées d'un homme sensé aboutissent, pour l'essentiel, aux mêmes conclusions, aux mêmes distinctions entre la sensation et la raison, que celles qui ont été établies par Platon, par Leibnitz et par Kant. F. BAUDRY.

DEUX ÉPIGRAMMES ET UNE ÉPITRE INÉDITES DE PIRON (1).
ÉPIGRAMME.

L'homme dort-il, une mouche s'en joue,
Lui parcourant le front, le nez, la main ;
Va, vient, revient de l'une à l'autre joue:
De vingt soufflets l'homme se frappe en vain.
A l'écraser il parvient à la fin.

L'exploit n'est pas d'un vigoureux athlète.
Sotte victoire, il est vrai, mais complète.
Moquez-vous-en: pour moi, je m'en repais.
Qui bat Fréron, sans doute se soufflette;
Mais, cela fait, du moins on dort en paix.

AUTRE.

La pauvre espèce, en champ clos, qu'un zoïle!
Rien de si couard, ni moins franc du collier.
Dans la mêlée il tranche de l'Achille,
Et c'est Thersite en combat singulier.
Par passe-temps, jadis bon chevalier,
Je voulus bien désarçonner le maître (2):
C'est de mon fait; mais fesser l'écolier,
C'est fait de cuistre, et je ne veux point l'être.

A M. LE COMTE DE SAINT-FLORENTIN.
LE 5 JANVIER 1758.
Binbin (3), un peu d'assurance;

Là, ne vous démontez pas.

(1) Nous devons la communication de ces trois pièces à l'obligeance de M. Honoré Bonhomme, qui est possesseur de la partie inédite des manuscrits autographes de Piron et de sa correspondance amoureuse et littéraire. Nous es

pérons que, cédant au désir de tous ceux qui, comme nous, ont pu en prendre connaissance, M. Bonhomme se décidera un jour à publier sa curieuse et importante collection.

(2) L'abbé Desfontaines.

(3) Nom que l'on donne souvent en Bourgogne aux petits garçons. Piron se nomme ainsi lui-même dans plusieurs de ses compositions.

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Faites bien la révérence :
Plus bas, encore plus bas.
Çà, récitez une fable
Au seigneur le plus affable

Qui parmi les grands soit né.
Dieu veuille qu'il vous regarde,
Et ne soit pas indigné
De voir venir la moutarde
Si longtemps après dîné!
Dans la saison verte et gaie
Où tout ce qui voit le jour
Renaît, se réveille et paie
Les tributs dus à l'amour;
Dans cette saison si belle
Que le printemps on appelle,
L'almanach des animaux,
Selon moi, fort à propos,
Marque l'heureuse journée
Qui, sous des destins nouveaux,
Recommence leur année.
Alors parmi les oiseaux
Ce fut l'usage et la règle
D'aller, en bon courtisan,
Gazoniller aux pieds de l'Aigle,
Les chansons du nouvel an.
Or, entre la volatile
Qui se pavane et qui brille
Entre la terre et les cieux,
Est une espèce gentille
Que nature pourvut mieux
De beauté que de ramage.

Cette espèce folle ou sage,

Chère aux hommes comme aux dieux, Voulut rendre son hommage

Sur le ton mélodieux.

Dans ce dessein généreux

Elle tira de sa cage

Un Pinçon vif et joyeux,

Pour lui servir d'interprète.

Le Géliot du printemps
Pour elle, tout d'une traite,
Fredonna maints compliments.
Mais, cette tâche étant faite,
Et voulant faire à son tour
Comme de raison sa cour
Faute de voix et d'haleine
Sa tentative fut vaine :
L'oiselet demeura court,
Et fut pris de la pépie.
De façon que pour autrui
Après avoir été Pie,
Carpe il se trouva pour lui.

Ici ma fable est finie.
Et c'est justement ici

Que mon histoire commence. J'ai de l'oisillon transi

Eu, ce nouvel an, la chance.
Je me suis égosillé,

Et mon ramage a brillé
Pour dames et damoiselles (1).
Mon Pégase fut pour elles
Le cheval de Pacolet,

Et pour moi n'est qu'un bidet,
La moindre des haridelles.

Du gai passons au moral. Quand on dit qu'il est fatal A tel qui les autres chausse D'être chaussé le plus mal, Et que tout danse à la noce, Excepté le vielleur,

On ne dit pas chose fausse : Je le prouve, monseigneur.

TABLES CHRONOLOGIQUES AU XV SIÈCLE.
Monsieur le directeur,

Je viens de lire dans le dernier numéro de la Correspondance un article fort intéressant sur les tables chronologiques de D. Pierre de Sainte-Catherine. Le savant auteur de cet article paraît croire que le travail de D. Pierre est le plus ancien exemple connu de tableau synoptique d'histoire; je crois donc devoir vous signaler un fragment d'un ouvrage de ce genre, datant du xv siècle, conservé aux archives départementales de l'Aube. Ce document est manuscrit, sur parchemin; il a 68 centimètres de haut sur 63 de large. C'est une des feuilles d'un rouleau qui avait probablement plusieurs mètres de longueur.

Le tableau est divisé en quatre colonnes; la première contient la liste et l'histoire des papes depuis Jean II (533) jusqu'à Jean VI (701); dans la seconde colonne nous trouvons les empereurs romains et byzantins depuis les fils de Constantin (337) jusqu'à Justin le Jeune (565); dans la troisième, les rois de France, depuis Charles le Chauve (840) jusqu'à Henri I" (1031); dans la quatrième, les rois d'Angleterre, depuis Arthur jusqu'à Edmond II (1016).

Pour donner une idée de la manière dont l'auteur a traité son sujet, je vais transcrire ici des

(1) J'avais fait en vers l'envoi de plusieurs étrennes pour des dames. (Note de Piron.)

extraits pris au hasard dans chacune des quatre | avoient autreffoys fait, et ès lieux propres que colonnes.

1. Papes.

Honnoré, de la nacion de Champaigne (1), fut pape douze ans, un mois, dix-huit jours. Cestuy ordonna que les processions de Romme allassent chascun samedi à l'église Saint-Pierre.

2° Empereurs.

Jovian fut empereur l'an III LXIIII (2), et fut bon crestien et noble homme en toutes choses, et desconfit les Macédoniens, et puis mourut soubdainement. Et puis fut empereur Valentinien, son frère, et impéra douze ans.

3° Rois de France.

L'an de grâce neuf cens fut couronné Charles le Simple et régna vingt-sept ans. Et advint une fois que le conte Hébert de Vermandois le servoit à disner en sa terre; et quant le roy fut à Peronne, il fut prins et mis en prison, où il mourut et gist à Peronne en l'église Saint-Ferrant. Et avoit ung fils bien jeune qui eut nom Loys. Et pour ce fut couronné Raoul, le filz Richard, duc de Bourgongne; et régna dix ans; et gist en l'église Sainte-Coulombe de Sens. Et après le roy Raoul fut couronné Loys le Jeune (3). Cestuy n'oublia pas la mort de son père; car il fist prendre le conte de Vermandois et en fist cruelle vengeance; car il le fist pendre sur une montagne qui estoit appellée et nommée le Mont-Hébert. Cestuy roy régna vingt-six ans et gist à Saint-Remy de Reims.

4° Rois d'Angleterre.

Certilz fut roy de Bretaigne après Constantin Covain, et fut moult mauvais Et au temps de cestuy fut du tout Bretaigne destruitte sans jamais recouvrer en la main des Bretons. Car Go- | vion, le fils du roy d'Auffrique, y vint à grant puissance de gens, et en maintz lieux combatit et gasta tout le pays. Et conquist entièrement toute la terre de la grant Bretaigne, et puis la donna aux Saxons qui moult l'avoient désirée pour l'amour d'Anglist qui en avoit esté sire; et pour ce la nommèrent Angleterre; et oncques puys le nom ne luy cheut. Et y firent sept roys comme devant

(1) Honorius, né en Campanie, pape de 626 à 638. (2) Jovien, 363-364. (3) Dit d'Outremer.

dessus sont nommez. Et destruisirent du tout la crestienté qui au pays estoient, et les églises, et devint tout le pays sarazin. Veuillez agréer, etc.

H. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE.

Troyes, le 9 avril 1858.

ROMANS ET POÉSIES.

Il est impossible de suivre la publication des nombreux romans qui naissent et renaissent chaque jour. Un nouveau format est comme une nouvelle mode, dont on affuble les œuvres anciennes et que l'on fait porter aux nouvelles. Voici Balzac, Frédéric Soulié, Stendhal, M. A. Karr, qui reparaissent sous une transformation familière au public. Ces résurrections sont utiles à la gloire et remettent sous les yeux d'une génération récente des œuvres jugées et quelquefois oubliées. Par exemple, quand l'écrivain est Balzac et qu'il résiste à ces incarnations à bas prix, il sort triomphant de la plus dangereuse des ovations, l'apothéose du bon marché. Il y aurait une étude à faire sur ces réimpressions, et les romanciers d'autrefois, comparés à ceux d'aujourd'hui, reprendraient faveur sans aucun doute. M. A. Karr a plus de véritable esprit que beaucoup de ceux qui manient de nos jours la plume légère, et Frédéric Soulié, avec ses formidables inventions et les lourdes charpentes de ses œuvres, apparaîtrait bien facilement comme le maître de ceux qui tentent encore de terrifier le feuilleton quotidien. A côté des romans français que l'on publie, il ne faut pas oublier la collection des romans étrangers que M. Hachette mène grand train. Il est impossible que cette vulgarisation des œuvres de Dickens, de Thackeray, de Bulwer et de tant d'autres, n'exerce pas une influence sur nos écrivains nationaux. Mais toutes ces questions demanderaient trop d'espace; nous sommes réduits à faire des mentions rapides et à ne juger qu'une partie des livres que chaque semaine nous apporte.

M. Jules Sandeau se plaît à faire la guerre aux préjugés et à opposer la dignité de la bourgeoisie à l'infatuation de la noblesse. Il plaide avec éloquence une cause gagnée au principal et qui a besoin de tout son talent et de toute sa grâce pour intéresser encore. Il est d'autres romanciers qui rêvent d'autres fusions, et qui placent leur foyer d'amour

dans une âme d'ouvrier. Les mœurs ne peuvent une impartialité qui enlève au récit un élément de que gagner à ces récits, où sont agitées les ques-vie et de force. En écrivant ces pages, M. Sandeau

se sentait-il déjà devenir académicien?

M. Arnould Frémy est une plume énergique qui court aux difficultés et sait en triompher. Il vient de faire paraître la seconde série des Maîtresses parisiennes (1). Le premier volume a obtenu un long et légitime succès. Le nouveau livre était plus difficile à faire; il est moins extérieur pour ainsi dire et porte le caractère d'une plus haute moralité. Le style est sobre et net, le dialogue vif, le ton vrai. Sans affecter les déclamations mélancoliques ni rechercher les effets de mélodrame, l'auteur émeut profondément et communique au lecteur la tristesse désespérée qui l'inspire. M. Arnould Frémy ne se montre ni injurieux ni brutal; il présente les personnages qu'il veut faire juger et les fait vivre eux-mêmes, sans intervenir, comme plusieurs auteurs l'ont fait, pour lancer des phrases ampoulées et des déclamations de morale. Il ne paraît pas, et le lecteur doit conclure lui-même et tout seul. Sans injustice, sans colère, M. Arnould Frémy nous fait voir les hommes plus laids peutêtre que les femmes, au milieu de ces existences fugitives et irrégulières. Comment on les aime, est un chapitre magistral des mœurs d'une époque. C'est saisissant de vérité. Qui ne connaît le général de Grandvillier des Dernières amours? La Vengeance de Camille est une délicieuse comédie qui peut-être sera rapportée de Russie quelque jour et jouée sur un de nos théâtres. Où elles vous conduisent est un drame plein d'abîmes, abordé sim

tions qui exaltent les grandes facultés du cœur humain. Nous préférons les écrivains qui cherchent à réhabiliter l'artisan par la passion et à le montrer dévoué, tendre, héroïque par l'amour; cependant nous acceptons la thèse de M. Jules Sandeau, et son nouveau roman est à ce titre un bon livre. La famille de Penarvan (1) appartenait à la Bretagne; elle est éteinte. L'œuvre de M. J. Sandeau est le récit de son agonie. Rénée de Penarvan se croit la seule héritière de son nom, quand elle apprend l'existence d'un cousin qui va se mésallier en épousant la fille d'un meunier. Rénée va trouver ce parent; au nom de leurs aïeux, elle s'oppose à son mariage et, par dévouement de famille, devient sa femme. Malgré leur pauvreté, Rénée, au fond de son castel, conçoit de grandes espérances; elle rêve un fils, et compte faire un héros de son mari qu'elle pousse dans une révolte vendéenne. Paul de Penarvan est tué et Rénée donne le jour à une fille. Le nom de Penarvan est maudit. La mère voue d'avance son enfant à la retraite à laquelle elle s'était condamnée elle-même avant d'apprendre l'existence de son cousin. La petite fille grandit, devient belle comme sa mère, pauvre veuve ruinée, marquise solitaire et réfugiée dans son orgueil. Paule va à Bordeaux et s'attache à un jeune armateur. La veuve s'indigne, se révolte, et la fille va se marier loin de sa mère et chercher le bonheur et la fortune dans la roture. Une scène remarquable est celle où la marquise se trouve en présence d'une petite fille ravissante qui s'appelle Rénée. Le pré-plement, traité sans effort, rigoureux comme la jugé est vaincu par la tendresse. L'amour maternel dompte cette nature impérieuse. Toutefois la grand'mère, marquise de Penarvan, fait venir un vieil abbé qui, depuis de longues années, écrit l'histoire de l'illustre famille. Elle lui dicte les dernières lignes, et au-dessous de son nom elle lui ordonne d'écrire: Ici finit la famille de Penavan; puis, tenant la petite Rénée, la fille de sa fille, entre ses bras, elle ajoute : « S'il est beau d'honorer les morts, il est bien doux d'aimer les vivants.» M. Jules Sandeau a écrit cette histoire avec tout son talent, si habile à saisir les nuances et à exprimer les délicatesses. Deux ordres d'idées sont en présence dans ce roman, et l'auteur a conservé

(1) La famille de Penarvan, par M. Jules Sandeau. Paris, Michel Lévy frères.

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vie. On croirait, en lisant ces scènes de mœurs modernes, assister à des vues présentées par un stéréoscope. Rosemonde, c'est l'amour de la femme de lettres; les Lettres d'une maîtresse abandonnée feraient croire qu'elles ont été trouvées dans un coffret et que l'auteur a publié, sans y rien changer, ces fragments d'une histoire douloureuse. M. Arnould Frémy est cruel, mais il se montre juste et nous fait voir souvent la férocité de l'indifférence des hommes. Nous voudrions pouvoir analyser toutes les scènes de ce volume dont se dégage une morale triste et qui inspire le dégoût pour ce que l'auteur a voulu peindre, les liaisons clandestines, les faux intérieurs, les faux

(1) Les Maitresses parisiennes (deuxième partie), par M. Arnould Frémy. Paris, Librairie nouvelle.

mariages. Ce livre est sérieux et amusant à la fois. Nous le répétons: ces dialogues trop modestes seront un jour portés sur les planches d'un théâtre et s'appelleront franchement des comédies; c'est le nom qu'ils méritent.

M. Galoppe d'Onquaire a eu dans sa vie un de ces succès qui posent un écrivain; ce succès fut son début. Depuis la Femme de quarante ans, l'auteur a peu écrit; il a fait quelques chroniques en vers et en prose; mais la modestie ou la paresse semblent avoir pris possession de son esprit. Le roman qu'il publie aujourd'hui s'explique suffisamment par son titre. Le Diable boiteux à Paris (1) est une physiologie générale où l'auteur juge toute la société moderne à un point de vue léger qui veut être intéressant. L'anecdote se mêle à la description, et le moraliste ne se montre pas à la hauteur de ceux qui l'ont précédé. Comme roman, le cadre est monotone; c'est un panorama qui se déroule; c'est une exhibition sans grande variété. Le style ne vient pas au secours de l'écrivain. On croirait que M. Galoppe d'Onquaire a choisi la petite action qu'il nous présente pour faire entrer et relier entre elles les historiettes d'un chroniqueur et les boutades d'un moraliste hebdomadaire. Il faut reconnaître que les plus lourdes questions sociales sont agitées sans prétention, et que l'auteur a le bon esprit de ne pas abuser des solutions et des panacées. Il raille les ridicules avec gaieté et cherche surtout à amuser. Le Diable boiteux de M. Galoppe d'Onquaire aura une suite; c'est l'auteur lui-même qui l'annonce.

M. Léon Gozlan a beaucoup écrit: des romans, des drames, des comédies, des nouvelles; il a même publié quelques poésies étranges, aux jours de la canicule littéraire, qu'il a connue et traversée. Ses meilleures œuvres datent de ce temps; on trouverait dans le bagage d'autrefois plusieurs petits récits qui sont des chefs-d'œuvre et qui survivront | à leur époque, nous l'espérons. L'essence du talent de M. Gozlan, c'est l'esprit; sa préoccupation, c'est le paradoxe, et souvent il s'est brisé contre l'impossible et le faux pour atteindre l'original et le grand. Le réel n'est pas son domaine. Il a vu les grandes batailles littéraires; aujourd'hui, colonel retraité, il voit passer devant lui des jeunes et des empressés qui n'écriront peut-être jamais le Fifre

(1) Le Diable boiteux à Paris, par M. Galoppe d'Onquaire. Paris, Librairie nouvelle.

ou la Villa Maravigliosa, et qui ne savent pas ce qu'il faut jeter de livres dans l'abîme pour faire un pas vers l'enchanteresse qui nous sourit à vingt ans. L'Amour des lèvres et l'Amour du cœur (1), est un volume de nouvelles. L'auteur s'est toujours distingué par l'originalité de ses titres; cette fois il ne manque pas à sa coutume. Ce volume contient les Martyrs inconnus, la Clef de cristal, la Carte de visite du diable, les Mariages au pastel, ne pas confondre avec la porte à côté, et un Confessionnal de Paris.

:

Deux ou trois éditeurs publient les romans d'un écrivain infatigable depuis quelques années, M. Amédée Achard. La Chasse royale (2) est une histoire mouvementée et intéressante écrite d'après les procédés rapides d'Alexandre Dumas. M. A. Achard manie une plume facile qui court trop vite peut-être, mais qui souvent a tracé des pages gracieuses et des récits pleins d'intérêt. Le romancier a été nouvelliste, et ses chroniques de la semaine ne manquaient ni de grâce ni de bon goût. L'auteur de la Chasse royale a le sentiment de la dignité littéraire et a su toujours la faire respecter. La critique ne peut pas le suivre dans ses nombreuses publications où le talent se disperse un peu et où la force se dépense trop au hasard. Somme toute, M. A. Achard est une figure d'homme de lettres qu'on peut regarder sans avoir de réserve à faire; son talent est honorable, et le bon goût donne à son style une saveur littéraire qui manque à un grand nombre de narrateurs d'aujourd'hui.

La Sapho (3) n'est pas une étude antique; c'est une sinistre et dramatique histoire, racontée avec une force particulière et une verve farouche. Ceux qui voudront savoir comment Marie-Laurent devint la Sapho et dans quel affreux bouge de Londres elle fut baptisée, pourront lire ces pages. II s'agit d'une jeune fille séduite qui veut se tuer, dont la mort ne veut pas, et qui, de misère en misère, d'enfer en enfer, arrive à la puissance maudite de l'argent honteux et de la beauté vénale. Parvenue à cette apothéose de la dégradation, elle

(1) L'Amour des lèvres et l'Amour du cœur, par M. Léon Gozlan. Paris, Librairie nouvelle.

(2) La Chasse royale, par M. Amédée Achard. Paris, Librairie nouvelle.

(3) La Sapho, par Mme C. de Chabrillan. Paris Michel Lévy frères.

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