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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE

2e année.- N° 6.

CRITIQUE. BEAUX-ARTS. ÉRUDITION.

5 avril 1858.

Pour tout ce qui regarde la rédaction et l'administration, s'adresser à M. LUDOVIC LALANNE, directeur-gérant.

SOMMAIRE.

L. LAURENT-PICHAT. Romans et poésies, 121.-Marguerite de Valois et ses Mémoires, 125.-G. BRUNET. Note bibliographique sur un livre de l'Arétin, 129.—V. A. MALTE-BRUN. Le Mexique et l'Amérique centrale avant Christophe Colomb, 130. Quelques autographes curieux, 133.—VALLET DE VIRIVILLE. Les Tables chronologiques du feuillant P. de SainteCatherine, 134.— TAMIZEY DE LARROQUE. Salomon de Caux était-il Allemand? 136.-G. MASSON. Nouvelles littéraires de la Grande-Bretagne, 138. Bulletin bibliographique. Les Convictions, par MAXIME DU CAMP, 139. Ce qu'on voit dans les rues de Paris, par V. FOURNEL, 140.- Comptes rendus de l'Académie des inscriptions, par E. DESJARDINS, 141.

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Nous sommes à une époque où le roman se transforme.

Les longues histoires qui prolongeaient un récit haletant durant des volumes infinis sont un peu passées de mode. Les jeunes écrivains s'appliquent aujourd'hui au développement d'une idée morale qui ne dépasse guère deux volumes. En dehors des réputations consacrées, les succès de ces dernières années ne sont pas allés aux romans interminables. Les imitateurs serviles commencent à être oubliés et une génération nouvelle travaille qui, tout en vouant une admiration sincère aux maîtres, s'attache à produire des œuvres indépendantes d'où sortiront des œuvres originales. M. Louis Ulbach est un de ceux qui s'avancent le plus résolûment dans les voies nouvelles. Il possède un style à lui, brillant dans la description, spirituel dans le dialogue, ému dans l'action. Sa plume est à la fois noble et mordante; elle sait peindre à grands traits les caractères de la vertu 1858.

et dessiner sans pitié les ridicules odieux et les vices grotesques. La phrase est vive, claire, imagée quand il le faut, pleine toujours, et se prêtant bien aux développements et aux nuances de l'observation. Peut-être l'allure est-elle trop vive et le romancier met-il trop de cruauté à disséquer les cœurs qu'il veut faire connaître ! Le lecteur aime souvent à deviner une intention, à compléter une scène, à commenter un mot. La Voix du sang (1) est un roman audacieux par la conception, moral au fond et conduit avec art. Nous exposerons l'idée de l'auteur en quelques mots. Antonine de Bruval, dernier rejeton d'une vieille famille de Champagne, épousa, sous le Consulat, le colonel Quincy, fils d'un paysan. La famille d'Antonine était ruinée; le soldat parvenu avait devant lui la fortune et la gloire. Cette union fut ce qu'elle devait être. Le colonel retourna à ses champs de bataille et Antonine vécut ennuyée, isolée, dans le luxe où son époux l'avait établie. Un jour, le colonel revint et trouva Antonine malade. Elle avoua à son mari qu'elle allait être mère. Quincy jura, puis songea à se venger. Il accorda à sa femme tous les soins les plus tendres en apparence, et se chargea des suites de cette aventure. Mme Quincy entourée de serviteurs dévoués au colonel, fut délivrée dans une campagne isolée et, quand elle sortit de l'évanouissement de la douleur, son mari lui annonça que de son côté il avait une faute à se reprocher et que, par une coïncidence étrange, les deux enfants venaient de se réunir dans le même berceau. La punition qu'il infligeait à Antonine était de ne lui révéler lequel des deux nouveau-nés lui appartenait que le jour où ces étranges jumeaux auraient atteint leur vingt et unième année. Il y avait un fils et une fille; on les appela Simon et Simone. Tout le roman

(1) La Voix du sang, par M. Louis Ulbach. Librairie nouvelle, 1858.

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bon sens, l'émotion et la poésie. Ces contes sont de précieuses miniatures empreintes de vérité et faites avec un grand art. Les cloches de Salvan

divisent deux fois à cause d'elles; après avoir
bien
sonné bien des mariages, bien des baptêmes,
des morts, elles chantent un bonheur et une paix
qui ont coûté cher. L'amour à la fin triomphe de
l'ensorcellement des cloches. La seconde histoire,
le Trient, fait suite à la première. Les amoureux
du premier récit sont vieux époux dans le second.
Il y est question des luttes, des tumultes de la

s'écoule entre la naissance et la lecture du testament. L'histoire du supplice d'Antonine est déchirante, placée entre deux êtres qui se haïssent, qu'elle aime tous deux, et cherchant une préfé-président à la destinée de deux familles qui se rence. Le colonel en mourant n'a laissé à sa femme que la petite fortune personnelle qu'elle avait apportée. Son testament contient le secret de toutes ses volontés. Suivre ce roman dans tous ses détails nous entraînerait trop loin. Les personnages épisodiques, les caractères vrais et bien disposés pour les contrastes rappellent la puissance de Balzac. « Ce roman n'est pas un blasphème, dit M. L. Ulbach aux premières pages de son livre; s'il touche à des souillures, c'est qu'il veut glorifier la sainteté. » Quand on a lu tout le volume, on comprend que cette phrase en est la véritable épigraphe. L'indignation de l'auteur n'a pas d'amertume; il châtie par le sacrifice, et s'il accorde des triomphes apparents à ceux qui méritent des peines sévères, il leur refuse la paix et le bonheur au milieu de leurs succès fugitifs. Si quelque lecteur pouvait se méprendre sur l'intention du livre de M. Louis Ulbach, il n'aurait qu'à relire la dédicace que l'auteur a placée en tête de la Voix du sang; pour protéger son œuvre, il a mis son cœur au devant de sa pensée. Ce roman est de ceux qui font réfléchir : il faut manier d'une main ferme de vigoureuses lanières quand on veut flageller l'ingratitude et l'égoïsme. M. Louis Ulbach a tracé une histoire qui fait songer ceux qui l'ont lue, et dont l'effet ne disparaît pas une fois que les pages sont fermées.

La distance est grande entre l'Estelle, de Florian, et les Nouvelles montagnardes, de M. Charles Dubois (1). La pastorale est en progrès, et le romancier dont nous nous occupons a appliqué avec succès les procédés de George Sand aux nouvelles suisses qu'il publie. Ce n'est plus Töppfer avec sa gaieté bienveillante, mais sans rire, son émotion contenue, son esprit plein de sens, sa naïveté étudiée. L'idylle est dramatique sous la plume de M. C. Dubois; il peint les mœurs ardentes des chasseurs avec une énergie sobre et une simplicité un peu affectée peut-être. Le langage du romancier est particulier; ce n'est pas un style, c'est un jargon plein de charme, d'après le système de François le Champi. L'auteur mêle très-babilement le

(1) Nouvelles montagnardes, par M. Charles Dubois. Paris et Genève, Noël Cherbuliez, 1858.

par

Vieille Suisse et de la Jeune Suisse. Un conte sombre se passe dans un milieu historique sinistre, mélodramatique par moments. Le type du vieux rôdi, le Gingolet, est puissamment tracé, et la mise en scène de ce personnage suffirait pour attirer l'attention sur le volume de M. C. Dubois et mériter le succès. La Nuit au Chapiû est une raillerie assez fine qui rentre dans le genre familier d'Henri Monnier. Le Sageroux offre le récit de la mort d'un contrebandier, brisé par une chute dans un ravin. C'est simple et émouvant, et nos plus habiles conteurs ne sauraient pas mieux condenser un drame, palpitant, coloré, sans recherche de faux effets. La Veillée des servantes est encore une histoire d'amour; des tendresses, des jalousies, des combats de femmes pendant la moisson. L'auteur a enveloppé ce conte d'un lyrisme campagnard, d'une poésie étrange qui charme la la sobriété même de cette audace. Chez M. C. Dubois, l'art veut se dissimuler; mais il apparaît et signale un écrivain très-habile dans l'agencement des situations que lui fournit la vérité. Le paysage est parfaitement dessiné, et tout lecteur y retrouvera cette Suisse où il fit son premier voyage; la description se mêle à l'action sans la gêner, et la force de l'observation se montre à chaque page. Ce livre renferme six nouvelles, et l'on ne saurait y trouver ni une longueur ni une sécheresse. Il sort de ce volume un parfum de nature sain et nourrissant; on se rappelle l'air des vallées et des montagnes que l'on connaît. Le dernier conte est intitulé la Veillée des Chaufourniers. Il contient une scène de tirage au sort pour la conscription qui dénote un rare talent; c'est exact, simple et dramatique. Ces nouvelles nous semblent appelées à un succès mérité; M. C. Dubois a découvert une veine et saura l'exploiter. Ces récits populaires serviront de commentaire indispensable au Guide

du voyageur en Suisse; ce sera la vie d'un pays à | veulent peindre? L'accusation n'a rien omis; elle côté de l'itinéraire.

Nous venons d'analyser un roman et un volume de nouvelles; voici maintenant un livre de morale inspiré par l'influence de la littérature sur les mœurs (1). Le travail de M. Eugène Poitou a été couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques l'année dernière. Ce volume, composé par un esprit patient et érudit, soulève de graves questions que nous ne pouvons aborder ici. Y a-t-il de bons et de mauvais livres, et le public, curieux souvent avec imprudence et légèreté, est-il impressionné par de fâcheuses doctrines, au point qu'il soit nécessaire de crier au matéria- | lisme? M. Eugène Poitou a lu très-consciencieusement, mais il nous semble qu'il a tort de prendre au hasard, pour les citer, des phrases qui, dans le cours d'un roman, perdent de leur valeur selon le personnage qui parle, selon l'occasion qui inspire une réflexion à l'auteur. Nous ne partageons nullement l'opinion de M. E. Poitou, et nous sommes cependant décidé à ne mettre aucune vivacité dans notre réfutation. Si l'on n'avait pas écrit des romans depuis 1830, la France serait-elle plus morale? Nous ne le pensons pas. L'Europe se serait un peu plus ennuyée, et nous aurions quelques belles pages de moins; M. Poitou, malgré sa rigueur, nous accordera bien ce dernier point. Nous n'avons pas ici à discuter la valeur des œuvres auxquelles s'adresse le critique; il s'en prend à tout le monde, à tous les romanciers, à tous les poëtes. Le livre pèche par la base; il n'a pas de raison d'être. Le prix était proposé; M. Poitou a concouru. Il a dépensé une grande patience pour relire une quantité infinie de romans, et nous semble avoir englobé dans le procès qu'il poursuit des livres qui jouissaient du bénéfice de la prescription. Nous ne pouvons croire que le Chatterton de M. de Vigny ait poussé des malheureux au suicide, et nous ne pensons pas que l'âpreté des soins qui préside aux unions qui se contractent, soit due aux mauvais conseils de la littérature. La question pourrait être retournée: les romans, certains romans (je n'entreprends pas la défense de toutes les œuvres que M. Poitou comprend dans son réquisitoire) ne sont-ils pas souvent si tristes et si décourageants qu'à cause même de la société qu'ils

(1) Du roman et du théâtre contemporain et de leur influence sur les mœurs, par M. Eugène Poitou, Paris, A. Durand.

entasse les preuves, par citations, et la conclusion fait tout au plus grâce à Jérôme Paturot. Deux ou trois romanciers obtiennent un mot indulgent, et c'est tout. Sauf quelques volumes, faudrait-il anéantir la littérature moderne? Laissons plutôt le temps emporter le souvenir des mauvaises œuvres, celles qui manquent de pensée et de style, et ne craignons point celles que le goût du public conservera. Nous avons déclaré que nous discuterions sans vivacité la doctrine désespérée de M. Poitou; nous nous contenterons, pour finir, d'ajouter une observation. Le critique impitoyable aurait bien dû établir une distinction entre les livres qu'il poursuit. Quel grave danger, par exemple, contient le beau poëme de M. Edgar Quinet, Ahasvérus? N'est-ce pas une œuvre écrite pour les imaginations d'élite, et faut-il la traîner sur le banc où sont assis pêle-mêle les romans et les drames accusés d'immoralité? Je ne veux arracher que ce poëme à la colère de M. Poitou. Il ne faudrait pas un grand effort pour sauver la plupart des prétendus coupables qui restent; mais à quoi bon se substituer d'avance à l'opinion publique ?

Nous avons devant nous un grand nombre de volumes de poésies que la critique ne doit point passer sous silence. Peut-être même devrions-nous accorder plus d'espace à ces tentatives que rien ne rebute, comme ces fleurs imprudentes qui se montrent en avril, sans craindre la gelée. A l'avenir, nous mentionnerons toutes les publications poétiques avec une conscience qui ne s'est pas démentie depuis plusieurs années, et qui nous apporte chaque jour de nouvelles joies. Les poésies nouvelles, de M. Thalès Bernard (1), sont dignes des Adorations et des Mélodies pastorales, du même auteur. Il cherche la poésie aux sources nationales, populaires; le volume qu'il publie aujourd'hui représente un bouquet cueilli dans toute l'Europe, en Allemagne, en Russie, en Écosse, en France. Les fleurs sont diverses et les parfums s'unissent pour charmer l'esprit. M. Thalès Bernard est à la fois érudit et inspiré; il peut rendre de grands services aux littératures qui se trouvent divisées par la difficulté des langages. Dans des

(1) Poésies nouvelles, par M. Thalès Bernard. Paris, Vanier.

Lettres sur la poésie, du même auteur.

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Lettres sur la poésie, publiées récemment, l'au- et nous sommes tout disposé à lui faire bon acteur annonce un projet de fondation d'une acadé-cueil. La Jeune négresse nous rappelle la Fille mie de littérature étrangère. A l'appui de son idée, d'O-Taïti, et nous lisons avec émotion tous ces le jeune savant indique très-ingénieusement les poëmes dramatiques où a passé l'âme des ballarapports qui existent entre nos poëtes modernes et des. Le moyen âge paraissait oublié, il avait disles écrivains étrangers. Les poésies populaires paru; le voilà qui nous revient d'Amérique avec sont des nourrices, et on peut les imiter sans dan- le Chevalier Ralph, le Page Ivain et l'Esprit ger; ce qui devient fatal, c'est l'imitation des de la tour. L'Homme au doigt sanglant est un poëtes de civilisation chez lesquels l'art a corrigé bon poëme, franchement et naïvement écrit. Le le naturel. Les Feuilles d'avril (1), de M. Pierre volume est terminé par des romances assez exacBarbier, portent le cachet de l'imitation. Si l'au- tement traduites du portugais et de l'anglais. teur n'a pas puisé aux sources primitives où Les Éphémères (1), de M. Joséphin Soulary, repréM. Thalès Bernard voudrait nous ramener, il n'a sentent une série de sonnets bien pensés et sculppas choisi toutefois de mauvais modèles; il chante tés très-habilement. Le vers est ferme, la phrase d'après Horace, Martial et la Fontaine; la mélan- claire, la rime riche, l'idée originale. La couleur colie, l'amour et la raillerie sont les muses fami- qui anime ces petits tableaux révèle une grande lières de M. P. Barbier. Nous avons remarqué vigueur chez l'auteur, auquel on ne peut reprocher dans ce volume quelques fautes de détails et cer- que l'emploi forcé de quelques mots. M. Frantaines plaisanteries que la dignité de la poésie çois Rouget, tailleur à Nevers, devait placer ses réprouve.-M. Paul Ristelhuber a traduit en vers poésies (2) sous l'invocation de maître Adam, son l'Intermezzo (2), de Henri Heine. L'entreprise aïeul et son compatriote. Le premier livre est conétait dangereuse. La mélancolie railleuse du poëte sacré aux épîtres; ces poésies familières se disallemand nous paraît insaisissable, et Gérard de tinguent par le bon sens et la clarté; l'auteur est Nerval, dont le plume était si habile, ne touchait aussi rigoriste que M. Eugène Poitou; il attaqu'en tremblant à ces merveilles d'ironie émue. que vigoureusement le drame et le roman moderM. Paul Ristelhuber a fait un grand effort, et nes. Le second livre comprend des satires; la quelques-uns des petits bijoux qu'il nous présente raillerie est honnête et douce. La troisième partie sont exactement imités; le travail est digne d'élo- est consacrée aux odes et chansons. Les refrains ges, mais nous n'encouragerons pas l'auteur à sont joyeux, d'une gaieté sage. Au nombre des pousser plus loin le tour de force.- Sous ce titre, odes, nous citerons pour les signaler, la Jeune L'Inde et le droit (3), M. C. Bertholon, ancien organiste et la Pauvre fille : la poésie de ces représentant, publie une brochure en vers qui est deux morceaux est simple et émue. Le volume se un hymne à la justice. Le noble sentiment qui a termine par des poésies diverses. Ces poésies sont. inspiré l'auteur a porté bonheur à son petit poëme l'œuvre d'un sage qui a réfléchi. M. François Rouplein d'ardeur, vaillant, ferme, bien rimé, armé de get a laissé échapper quelques fautes de détail pied en cap.- Les Bluettes (4), de M. Edouard du qu'un peu d'attention lui fera découvrir.-Le livre Rozay, sont des contes et légendes en vers qui nous arrivent de Rio-Janeiro. La poésie pittoresque a fui la France depuis longtemps déjà pour céder la place à la rêverie personnelle et à l'inspiration intime. La voilà qui revient, cette forme oubliée,

(1) Feuilles d'avril, par M. Pierre Barbier. Paris, Lebigre-Duquesne, 1857.

(2) Intermezzo, par H. Heine, traduit en vers français par M. Paul Ristelhuber. Paris, Malassis et de Broisse. 1858.

(1) Les Éphémères, sonnets par M. Joséphin Soulary. Lyon, Aimé Vingtrinier, 1857. La première série de ce recueil, dont nous avons parlé précédemment, a valu à leur auteur une critique fort amère qu'il ne méritait point. Quelques vers de l'un de ses sonnets se retrouvaient dans une petite pièce de vers que Lamartine avait jadis écrite sur un album et publiée. Nous avons eu entre les mains des pièces qui prouvent à ce sujet l'entière bonne foi de M. Soulary, dont l'honorabilité ne peut être suspectée par personne. Aussitôt que le fait lui a été signalé, il s'est

(3) L'Inde et le droit, par C. Bertholon, ex-représentant. empressé de faire disparaîte de son volume la pièce incriParis, Ledoyen, 1858.

(4) Bluettes, par M. Édouard du Rozay. Rio-de-Janeiro.

1857.

minée.

(Note du Directeur.) (2) Poésies de M. François Rouget, tailleur à Nevers. Paris, A. de Vresse, 1857.

de Mile Lucie Nairière (1) est rempli d'étrangetés. I
Tout y est confondu : ici, une idée profonde; plus
loin, une raillerie. Les Métamorphoses d'Égérie
ne laissent pas le lecteur en repos. L'imagination
de l'auteur ne s'arrête pas; le moule du vers ne
peut pas même résister aux bouillantes émotions
qu'on y verse. Égérie est une vraie sibylle.
Me Lucie Nairière a tout lu; elle cite tous les
philosophes, tous les penseurs; elle va de l'anti-
quité à l'avenir; elle adresse des vers à Voltaire,
et se plonge dans les rêveries d'Obermann; c'est
la vraie folie du trépied. M. Berlot-Chapuit a
voulu entourer ses Fables-Proverbes (2) de toutes
les chances de succès. Il y a une lettre de Lamar-
tine, bonne feuille de route qui aura besoin d'être
visée par la critique; il s'y trouve des illustrations
de MM. Bertall, Daubigny, J. David, Gavarni, Th.
Rousseau et Rosa Bonheur: c'est mieux qu'un
livre, c'est un album. M. Berlot-Chapuit s'est atta-
ché à rajeunir un genre usé, et, sans faire oublier
les maîtres de cet art modeste, il a su trouver une
place qui n'est à personne, et s'il veut travailler et
craindre l'esprit facile et le vers trop vite venu, il
pourra la garder.-Nos modes traversent les mers,
et avec elles les railleries et les malédictions
qu'elles entraînent. Nous venons de lire la traduc-
tion d'un poëme américain que son titre pourrait
faire sembler futile, mais qui nous a paru d'une
éloquence vigoureuse et pleine d'humeur. Rien à
mettre, ou Crinoline et Misère (3), commence par
une moquerie et se termine par un sanglot; c'est
un vaudeville qui finit en prêche de puritain. Cette
brochure nous a paru originale, et le traducteur,
à notre sens, bien inspiré en découvrant cette sa-
tire d'un poëte de New-York.

L. LAURENT-PICHAT.

MARGUERITE DE VALOIS ET SES MÉMOIRES (4).

Si nous n'avions, pour apprécier Marguerite, que les mémoires qu'elle nous a laissés sur la première moitié de sa vie, ou les pages enthousiastes

que lui ont consacrées ses deux panégyristes Brantôme et le minime Hilarion de Coste, nous ne nous étonnerions pas que le premier ait pu lui dire : « Vous êtes immortelle en la terre comme au ciel, où vos belles vertus vous porteront sur leurs têtes. » Malheureusement pour elle et heureusement pour la vérité d'autres ont parlé, et nous savons parfaitement à quoi nous en tenir sur « les belles vertus » de cette princesse, fille, sœur et femme de roi, bien digne de figurer au premier rang dans les Dames galantes, où son souvenir, du reste, se retrouve plus d'une fois.

Beauté, grâces, esprit, voilà ce qu'amis et ennemis accordent à Marguerite; mais, élevée dans la cour la plus dépravée qu'il y eut au monde, elle mit de bonne heure à profit les tristes leçons qu'elle avait sous les yeux.-S'il faut en croire le Divorce satyrique, à onze ans elle aurait déjà eu un amant, auquel d'autres succédèrent bien vite. Le Divorce est, il est vrai, un pamphlet; mais les galanteries de Marguerite ne finirent qu'à sa mort, et sans trop la calomnier il est permis de supposer qu'elles commencèrent de bonne heure.

Sa vie avait donc été fort peu exemplaire, quand, pour attirer à la cour le prince appelé par sa naissance à devenir le chef du parti huguenot, on songea à la marier à Henri de Navarre, qui avait dix-neuf mois de moins qu'elle. Suivant un contemporain (Claude Haton), écho assez fidèle des bruits populaires, cette union où la politique entrait seule aurait été mise en avant dès 1570 par le maréchal de Montmorency, à la sollicitation de Coligny, et ce projet aurait été la principale cause du traité conclu à Saint-Germain, le 8 août de la même année.

Indépendamment de l'opposition fort vive du duc d'Anjou, il y eut des difficultés assez grandes à vaincre pour la conclusion de l'affaire. Elles n'étaient pourtant suscitées ni par la future belle-mère de Marguerite, ni par le futur époux, que ne paraissent point avoir effrayés les galanteries de la princesse. « Elle est belle et bien avisée et de bonne grâce (écrivait, le 8 mars 1572, Jeanne d'Albret à son fils, qui peut-être ne connaissait pas encore Marguerite), mais nourrie en la (2) Fables-Proverbes, par M. Berlot-Chapuit. Paris, plus maudite et corrompue compagnie qui fut ja

(1) Les Métamorphoses d'Égérie, par Mile Lucie Nairière. Paris, Michel Lévy, 1857.

Garnier frères, 1858.

(3) Rien à mettre, ou Crinoline et Misère, poëme par Williams Allen Butler, traduit par M. Albert le Roy. Paris, Fowler, 1858.

(4) Mémoires de Marguerite de Valois, suivis d'Anecdotes

inédites de l'histoire de France pendant les XVI® et XVII• siècles, tirés de la bouche de M. le garde des sceaux du Vair et autres. Paris, P. Jannet, Bibliothèque elzevirienne.

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