Billeder på siden
PDF
ePub

confiance le génie, à ne lui demander compte de rien, à tout recevoir de lui sur parole; et puis on a bien plus tôt fait de tout admirer chez un grand homme que d'examiner si tout est admirable.

Ce sentiment généreux a peut-être ôté quelque chose à la sûreté de jugement, à la justesse de coup d'œil de l'auteur; ébloui de cette gloire dont l'éclat a traversé plus de deux siècles, il s'est trouvé trop enclin peut-être à prendre les effets de l'action personnelle du grand homme pour le résultat de sa législation.

Ce que nous croyons, nous, c'est que ce puissant génie qui a su organiser l'Europe dans sa forme politique (car c'est bien lui qui a fait le traité de Westphalie, œuvre posthume de toute sa vie), n'a pas su, avec le même succès, organiser en France les institutions administratives.

Mais si, à cet égard, nous différons d'opinion avec M. Caillet, ce dissentiment ne nous empêche pas de considérer ce livre comme un ouvrage remarquable par la richesse et la sûreté des recherches, par la fécondité des sources imprimées et manuscrites où l'auteur a puisé, par les études sérieuses et variées dont son livre est le témoignage. Ce travail que recommandent d'ailleurs des aperçus ingénieux et des vues qui ne manquent pas d'élévation, offre le répertoire le plus complet des actes administratifs d'une grande époque, et ceux qui la connaissent le mieux y trouveront encore à s'instruire. M. AVENEL.

UNE NOUVELLE ÉDITION DE VAUVENARGUES.

En 1746 Vauvenargues publia un volume de 400 pages, et il mourut en 1747. La seconde édition de son livre parut aussitôt après sa mort, d'après un travail fait par l'auteur lui-même, et pendant cinquante ans on ne parla plus de Vauvenargues dans la république des lettres. A partir de 1797, trois éditions furent successivement publiées la première, par le marquis de Fortiad'Urban; la seconde, par Suard, en 1806; la troisième, par Brière, en 1821. Fortia tenait de la famille quelques morceaux posthumes. Suard ajoutait un grand nombre de pièces inédites, et dans❘ l'édition Brière, un volume entier, sur trois, se composait d'œuvres nouvelles. Enfin en 1855, l'Académie française mit au concours l'éloge de Vauvenargues. M. Gilbert fut couronné. Il ne s'endormit pas sur ce premier succès, et après de pa

[ocr errors]

tientes recherches, il nous donne une nouvelle édition de Vauvenargues (1), contenant, outre le texte mieux ordonné de l'édition Brière, cent quinze lettres échangées avec Mirabeau, l'ami des hommes, ou adressées au président Saint-Vincens et à d'autres; vingt-trois Caractères; vingttrois Réflexions sur divers sujets; des Fragments sur " Descartes, les mauvais écrivains, les talents de son état, l'éloquence, le luxe, la conversation du monde, le plan d'un livre de philosophie; » la Critique de quelques Maximes du duc de la Rochefoucauld; des notes de la Harpe et de Voltaire. Les notes de Voltaire sont inédites, et M. Gilbert les a recueillies sur un exemplaire de la première édition de Vauvenargues, conservé à la bibliothèque d'Aix. Enfin les manuscrits de la bibliothèque du Louvre ont fourni à M. Gilbert la Critique de quelques Maximes..., les quarante-deux lettres à Saint-Vincens et huit autres adressées au roi, au ministre Amelot et au duc de Biron.

C'est de cette édition si complète que nous allons entretenir nos lecteurs.

Aujourd'hui surtout, n'est-il pas bon de reporter sa pensée vers ce jeune officier mourant à trentedeux ans, fier de sa vie, après avoir échoué dans tous ses projets? Vauvenargues ne croyait pas que l'on fût obligé de réussir; il pensait que nous sommes nés pour la lutte; quant au succès, il savait s'en passer. Le grand homme, tel qu'il le conçoit, agite dans son esprit de profonds desseins, combat sans relâche pour les accomplir, se résigne lorsqu'il tombe, et déçu dans ses espérances, se retire en lui-même, plein du sentiment de son héroïsme.

Ce portrait est celui de Vauvenargues. Il vient au monde l'année de la mort de Louis XIV, et semble un homme du XVIIe siècle, égaré dans le xvIII. D'une âme triste et religieuse, il a pour maîtres Pascal, Fénelon, la Bruyère, qui lui inspirent un respect sincère pour le christianisme. Mais il ne faut pas craindre de le dire, Vauvenargues n'est pas chrétien; il ne croit pas au dogme. Sa correspondance avec Saint-Vincens ne laisse aucun doute à cet égard. Sympathique à la religion du XVII siècle, il s'isole au XVIII dans un stoïcisme altier,

(1) OEuvres de Vauvenargues, édition nouvelle, précédée de l'Éloge de Vauvenargues couronné par l'Académie française, et accompagnée de notes et commentaires par M. Gilbert. 2 vol. in-8. Furne.

et paraît n'avoir qu'un culte, celui de la gloire. Grande âme dans un corps chétif, il se sent né pour l'action, et pose en principe que l'action est la loi de l'homme. Aussi pardonne-t-il beaucoup aux héros, dont il parle naturellement le langage, dans ses Dialogues imités de Fénelon.

Vivant de la vie de deux siècles, Vauvenargues aspire à concilier les tendances les plus opposées. Dans son Introduction à la connaissance de l'esprit humain, il rejette les vues sublimes de Pascal sur la nature, et s'épuise en vains efforts pour prouver que dans l'homme tout est harmonie. Cet optimisme, né de l'enthousiasme naïf des premières années du XVIIIe siècle, a trouvé, en 1819, dans une académie de province, un défenseur ferme et brillant. Nos lecteurs le savent sans doute: avant d'être historien, orateur parlementaire, ministre; avant de fonder le National; avant de publier le Salon de 1822, entre un vigoureux article contre M. de Montlosier et une relation de voyage, M. Thiers plaidait à Aix. A peine âgé de vingt-trois ans, l'académie de cette ville le couronnait pour un Éloge de Vauvenargues. Nous retrouvons dans un livre de M. A. Laya sur M. Thiers (1), un extrait de cet écrit. Voici quelques lignes qui nous ont frappé :

Montaigne est un aimable rêveur; la Rochefoucauld, un philosophe chagrin; la Bruyère, un peintre admirable; Vauvenargues seul me semble avoir donné une doctrine complète sur l'homme, sa nature et sa destination.......On le nomme un génie aimable, un philosophe consolant; il n'y a qu'un mot à dire : il avait compris l'univers, et l'univers bien compris n'est point désespérant, mais offre au contraire de sublimes perspectives. "Veut-on savoir quel est son style? Il est simple, vrai, modelé sur les choses; c'est l'univers réfléchi dans une eau limpide. Il ne fait rien contraster d'un manière frappante; il voit harmonie partout, et rend avec simplicité et justesse ce qu'il a trouvé simple et juste. Il est pourtant éloquent, parce qu'il a une âme sensible et forte; il peint, mais avec vérité et sans saillie; il satisfait et n'étonne jamais.

"Dans l'opinion des hommes, Pascal est supérieur à Vauvenargues, et a dû le paraître : mais il a moins découvert; car les découvertes n'ont pas lieu en raison de la force d'intelligence. Con

(1) Études historiques sur la vie de M. Thiers, 1846.

sumé par son génie, Pascal, dégoûté de la terre, cherche la vérité; mais ce qu'il est donné à l'homme de connaître ne lui suffit pas...... Ne cherchant point à franchir ses limites, Vauvenargues se résigne aux lois de son être, et apprend tout ce qu'il faut savoir. C'est le génie, payé de sa soumission par la découverte de vérités utiles....... Tel est le moraliste auquel il faut rendre une justice entière, sans le faire au détriment des autres; car tous les mérites vont ensemble, comme toutes les vérités. » Il y a longtemps, M. Villemain devinait Vauvenargues dans la triste et belle figure de Clasomènes (1). La publication de la correspondance inédite montre combien est profonde cette vue de l'illustre critique. Dans les lettres à son ami SaintVincens, Vauvenargues nous dévoile sa pauvreté, et les souffrances qu'éprouve son grand cœur, quand la misère l'arrête dans l'exécution de ses desseins. «Dieu m'a donné pour mon supplice une vanité sans bornes et une hauteur ridicule par rapport à ma fortune. »

Les lettres à Mirabeau ne sont qu'une longue dissertation sur l'ambition. Nous l'avouons, Vauvenargues cherche trop l'amplification oratoire; il veut amplifier absolument. Même il en sourit dans une lettre à Saint-Vincens : « J'aurais pu dire tout cela dans quatre lignes et peut-être plus clairement, mais j'aime quelquefois à joindre de grands grands mots et à me perdre dans une période. Cela me paraît plaisant. » Et pourtant on rencontre (entre les tirades) de bien belles pages pleines de passion et d'éloquence, par exemple cette lettre si émue, si ardente, où il peint en traits de feu ses émotions de dix-huit ans, quand il lisait Plutarque: " Je pleurais de joie; je ne passais point de nuit sans parler à Alcibiade, Agésilas et autres; j'allais dans la place de Rome pour haranguer les Gracques et pour défendre Caton, quand en lui jetait des pierres. Vous souvenez-vous que César, voulant faire passer une loi trop à l'avantage du peuple, le même Caton voulut l'empêcher de la proposer, et lui mit la main sur la bouche pour l'empêcher de parler? Ces manières d'agir, si contraires à nos mœurs, faisaient grande impression sur moi. Il me tomba en même temps un Sénèque dans les mains, je ne sais par quel hasard; puis des lettres de Brutus à Cicéron, dans

.....

(1) Essai sur quelques caractères. 1. Clasomènes, ou la vertu malheureuse, édition Gilbert, p. 288.

Vauvenargues est donc, après la publication de sa correspondance comme avant, un moraliste généreux, indulgent, tirant de son âme fière et douce des pensées fortes, capables de pousser les hommes aux grandes actions.

suivante de MM. Moland et d'Héricault. Nous comptons y revenir prochainement.

[ocr errors]

Permettez-nous, monsieur, de vous adresser quelques observations à propos de l'article relatif à l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ, que vous avez inséré dans le dernier numéro de la Correspondance littéraire. En exprimant, dans l'introduction au Livre de l'Internelle consola

le temps qu'il était en Grèce, après la mort de César ces lettres sont si remplies de hauteur, d'élévation, de passion et de courage, qu'il m'était bien impossible de les lire de sang-froid; je mêlais ces trois lectures, et j'en étais si ému, que je ne contenais plus ce qu'elles mettaient en moi; j'étouffais, je quittais mes livres, et je sortais comme un homme en fureur...., en courant de toute ma force, jusqu'à ce que la lassitude mît fintion, notre opinion sur l'origine du texte De imitaà la convulsion..... Je devins stoïcien de la meil- tione Christi, nous nous sommes abstenus d'enleure foi du monde, mais stoïcien à lier : j'aurais trer dans la discussion des prétentions rivales de voulu qu'il m'arrivât quelque infortune remar- Gerson, de Thomas de Kempen et de l'apocryphe quable pour déchirer mes entrailles, comme ce Gersen de Verceil. Nous ne voulons pas davantage fou de Caton. " entamer aujourd'hui cette controverse, car nous serions obligés de réclamer dans vos colonnes une place qui est toujours beaucoup mieux employée. » Croyez-vous, cependant, que les témoignages produits en faveur de Thomas à Kempis soient tout à fait décisifs? Le manuscrit d'Anvers, fait en 1441 per manus fratris Thomæ à Kempis, et qui est manifestement une copie, ne suffit-il pas à les expliquer? Ne s'élève-t-il point, d'autre part, d'assez nombreuses et d'assez puissantes objections pour qu'il soit permis de mettre en doute l'autorité de ces textes, qui contiennent tous les titres du pieux chanoine du mont Sainte-Agnès? Depuis que ces témoignages ont été invoqués, et cela remonte loin (celui de Jean Bush, le seul important comme date et le seul dont l'expression ne soit pas ambiguë, l'a été dès l'origine du débat), depuis lors ils n'ont pas désarmé les adversaires de Thomas à Kempis, et tout nous porte à croire qu'ils n'auront |· pas encore ce succès.

Grâce à M. Gilbert, les œuvres de Vauvenargues ont perdu le caractère abstrait qui les rendait un peu froides. Elles vivent maintenant, parce qu'elles nous paraissent, ce qu'elles sont, écrites sous la dictée de passions ardentes. L'ambition, l'amour de la gloire, la pauvreté, la douleur et la résignation, voilà les muses de Vauvenargues.

Chacun souhaiterait à son écrivain favori un éditeur comme M. Gilbert, qui n'a reculé devant | aucune peine, devant aucun travail. Après avoir fouillé les bibliothèques d'Aix et du Louvre, il a consulté les collections particulières. MM. Cousin, Chambry et Dentu lui ont fourni des lettres importantes, et une précieuse bonne fortune l'a récompensé de ses recherches. M. Lucas-Montigny lui a cédé la correspondance avec Mirabeau.

N'oublions pas de dire que le second volume se termine par un index alphabétique de 60 pages, qui résume le livre. Ce genre de travail est toujours fort ingrat, et son auteur, aussi modeste que dévoué à Vauvenargues, a voulu garder l'anonyme.

En un mot, cette édition est excellente de tout point; elle est, nous le croyons, définitive. Désormais, le nom de M. Gilbert est inséparable du nom de Vauvenargues. CONSTANT THÉRION.

SUR LES ORIGINES DE L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST. Nous avons reçu, à propos de l'article que nous avons inséré dans notre dernier numéro, la lettre

Mais, la preuve fût-elle plus concluante, la théorie que nous avons exposée n'en serait nullement ébranlée. Nous pouvons admettre à la lettre le témoignage de Jean Bush, et continuer à défendre une opinion qu'il n'atteint pas. Il y a eu certainement, soit à la fin du xiv siècle, soit au commencement du xv, plutôt, selon nous, à la fin du XIVe siècle, une rédaction définitive du traité De imitatione Christi; Thomas de Kempen aurait-il été, en cette circonstance, plus qu'un copiste, et aurait-il mis la dernière main à l'œuvre! Nous ne repoussons pas systématiquement les preuves qu'on pourrait nous donner. Ce que nous nions, c'est qu'il soit l'auteur du livre, qu'il l'ait conçu et créé. La question ainsi posée, on comprend que le débat n'offre plus pour nous un fort grand intérêt, puisqu'il a uniquement pour objet

un détail qui est à nos yeux de valeur secondaire. Nous avons cherché une solution qui éclaire l'œuvre, qui explique ses contrastes, son caractère complexe, la différence de ses diverses parties, tous les problèmes enfin qu'elle soulève en grand nombre. Qu'aurait pu nous apprendre sur tout cela le nom de Thomas à Kempis? On nous démontrerait mathématiquement que l'auteur du Soliloquium animæ est aussi l'auteur de l'Imitation, nous n'en serions pas plus avancés. Bien au contraire, en présence d'une telle inégalité de génie, notre embarras ne ferait que croître. Ce serait un problème ajouté à tous les autres, et de tous peutêtre le plus incompréhensible.

[ocr errors]
[ocr errors]
[merged small][ocr errors][merged small]

66

LIVRES NOUVEAUX.

Un jour le vieux duc de Gesvres, à Versailles, en pleine cour, voyant arriver le maréchal de Villeroy « avec ce bruit et ces airs qu'il avoit pris de tout temps, et que sa faveur et ses emplois rendoient plus superbes, » se prit à lui dire : « Monsieur le maréchal, il faut avouer que vous et moi nous sommes bien heureux. » Là-dessus il lui détaille leurs prospérités sans nombre que ne devaient

D'où vient que l'Imitation est à la fois la compilation la plus positive et le livre le plus original? Comment concevoir une telle unité et une telle diversité? Comment a-t-on pu prouver tour à tour qu'elle a été écrite par un Allemand, par un Italien, par un Français, par un régulier, par un séculier, au XIIIe siècle et au XVe siècle? Comment n'offre-telle cependant aucune disparate, mais présentet-elle au contraire un caractère frappant d'harmo-point espérer les descendants de secrétaires d'État, nie? D'où vient ce plan général qu'on devine et qui s'ignore, cet ordre logique des quatre livres qui est bien suivi par le plus grand nombre des leçons, mais qui, variable et incertain dans les premières copies, semble indiquer qu'en ceci comme en beaucoup de choses, le moyen âge expirant ne se comprenait plus bien lui-même? La théorie que nous défendons subsistera, malgré toutes les découvertes qu'on pourra faire dans l'avenir, parce qu'un nom trouvé sur un manuscrit ou dans une chronique ne donnera point de réponse à ces questions, et qu'elle seule réussit à tout expliquer et tout concilier.

» Elle a, de plus, l'avantage de ne repousser aucun des renseignements acquis dans une longue recherche; nous ne rejetons aucun témoignage, ni celui du chanoine Bush ni celui du prieur des Célestins de Lyon; nous croyons volontiers que Thomas de Kempen et J. Gerson ont touché en quelque manière au traité De imitatione Christi, et que ce n'est pas sans cause que leur nom s'est attaché à cet ouvrage avec une telle persistance. L'ont-ils découvert, remanié, copié, | recommandé, vulgarisé? On ne sait la part qui leur revient; mais il y a sans doute une part à leur faire, et c'est à cette justice distributive que pour ront aboutir les découvertes. Nous n'excluons pas

dont les pères étaient de petits commis; « et ces pères de qui venoient-ils? Le vôtre d'un vendeur de marée aux halles et le mien d'un porte-balle et peut-être de pis... N'est-il pas vrai que nous sommes bien heureux? » Saint-Simon, qui nous a raconté cette piquante anecdote avec sa verve et sa malignité habituelles, prétend, et je le crois sans peine, que le maréchal eût voulu être mort, et encore mieux étrangler son interlocuteur; « tout le monde se tut et baissa la vue. » Il aurait pu ajouter que dans la foule de ces brillants courtisans, il y en avait bon nombre dont le duc de Gesvres venait de retracer la généalogie en même temps que la sienne.

S'il fallait en croire un mémoire présenté au Régent, en faveur du parlement contre les prétentions des ducs et pairs, les plus puissants seigneurs de la cour n'avaient guère d'origine plus noble que celle des Villeroy et des Gesvres; et bien peu pouvaient à juste titre se vanter de n'avoir que des gentilshommes dans leur ascendance. Suivant ce factum, c'était d'un apothicaire de Viviers, au XIVe siècle, que descendaient les ducs d'Uzès. Un apothicaire était l'aïeul du maréchal de la Meilleraye; un boucher-étalier avait formé la souche des la Rochefoucauld. "Les Noailles viennent d'un domestique de Pierre Roger, comte de Beaufort,

[merged small][ocr errors]

Quoi qu'il en soit, je ne sais pas s'il existe en Europe un pays où la noblesse ait été plus souvent renouvelée que dans le nôtre, un pays où soient actuellement plus rares les gens de qualité. C'est qu'aussi nulle part peut-être la noblesse n'a eu à subir de pareilles vicissitudes, et que la France est une des contrées où l'on s'est débarrassé le plus tôt de la féodalité. Il y a eu bien des causes pour produire de pareils effets; il faut mettre en première ligne, chronologiquement parlant, la guerre des Albigeois, qui amena la destruction d'une grande partie de la noblesse du Midi. Puis vint, au XIVe siècle et au xve, cette terrible lutte de cent ans où périt la fleur de la noblesse française, que remplaça une nouvelle noblesse enfantée par les chances des combats et enrichie la plupart du temps par la rapine et le pillage, comme ces fameux aventuriers dont Froissart nous a retracé l'histoire. Les expéditions d'Italie où s'engloutirent en vain tant de belles armées, les guerres de religion au XVIe siècle eurent le même résultat, et à ces sanglantes conséquences des guerres civiles et étrangères, il faut joindre la fureur des duels qui, sous Henri III et sous Henri IV, fit disparaître tant d'anciennes familles. Sur les cadavres des gentilshommes s'éleva une autre noblesse d'épée, une noblesse de cour, créée uniquement par la faveur royale, et dont auparavant, suivant l'expression de d'Aubigné,

Le nom était sans nom par les historiens.

Déjà, depuis le XVe siècle, étaient apparues deux autres noblesses, celles de la robe et de la finance, avec lesquelles les gens de qualité formèrent bien vite de nombreuses alliances, pour fumer leurs terres, ainsi que le disait Mme de Grignan, en parlant du mariage de son fils. Peu importait aux nobles ruinés la source des écus qui remplissaient leurs coffres vides. Au XVIIIe comme au XVIe siè

cle avait cours le dicton : Bienheureux le fils dont le père est damné! et l'on se faisait sans scrupule recéleur de richesses mal acquises (1).

Telle est en peu de mots l'histoire des vicissitudes de la noblesse avant la révolution, vicissitudes que nous a spirituellement racontées, et sous une forme originale, M. Chassant, auteur d'un livre intitulé: les Nobles et les Vilains du temps passé (2), dont nous avons déjà dit quelques mots dans notre dernier numéro. L'auteur y a réuni les passages en vers et en prose les plus curieux et les plus piquants sur les anoblissements, les usurpations de titres, d'armoiries, de noms, etc. C'est en cette matière l'un des livres les plus instructifs ct les plus divertissants que je connaisse.

Cette question de la noblesse est, du reste, à l'ordre du jour, et parmi les brochures qu'a fait naître l'annonce d'un projet de loi sur les titres nobiliaires, nous en devons signaler deux qui s'en sont occupés à un point de vue qui doit nous rester étranger. Nous nous bornerons donc à les citer. Elles sont intitulées, la première : De la noblesse au XIXe siècle et du rétablissement des dispositions pénales applicables à l'usurpation des titres, par Éd. de Barthélemy (3), et la seconde : De la noblesse dans ses rapports avec nos mœurs et nos institutions, par Ch. de Tourtoulon (4).

[blocks in formation]

(1) On connaît l'épigramme composée au sujet du mariage des filles du fameux Samuel Bernard :

O temps, ô mœurs, ô siècle déréglé, Où l'on voit déroger les plus nobles familles ! Lamoignon, Mirepoix, Molé, De Bernard épousent les filles, Et sont les recéleurs du bien qu'il a volé. (2) Paris, Aubry, in-12. (3) Paris, Dentu, in-18. (4) Paris, Aubry, in 18. (5) Paris, Hachette, 100 p. in-8.

« ForrigeFortsæt »