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église; et il est certain que ce sont deux beaux tableaux, deux grandes machines. Je vais décrire le premier; on trouvera la description de l'autre à son rang.

A droite, c'est une fabrique d'architecture, la façade d'un temple ancien, avec sa plate-forme au devant. Au-dessus de quelques marches qui conduisent à cette plate-forme, vers l'entrée du temple, on voit l'apôtre des Gaules prêchant. Debout, derrière lui, quelques-uns de ses disciples ou prosélytes; à ses pieds, en tournant de la droite de l'apôtre vers la gauche du tableau, un peu sur le fond, quatre femmes agenouillées, assises, accroupies, dont l'une pleure, la seconde écoute, la troisième médite, la quatrième regarde avec joie : celle-ci retient devant elle son enfant qu'elle embrasse du bras droit. Derrière ces femmes, debout, tout à fait sur le fond, trois vieillards, dont deux conversent et semblent n'être pas d'accord. Continuant de tourner dans le même sens, une foule d'auditeurs, hommes, femmes, enfants, assis, debout, prosternés, accroupis, agenouillés, faisant passer la même expression par toutes ses différentes nuances, depuis l'incertitude qui hésite, jusqu'à la persuasion qui admire; depuis l'attention qui pèse, jusqu'à l'étonnement qui se trouble; depuis la componction qui s'attendrit, jusqu'au repentir qui s'afflige.

Pour vous faire une idée de cette foule qui occupe le côté gauche du tableau, imaginez, vue par le dos, accroupie sur les dernières marches, une femme en admiration, les deux bras tendus vers le saint. Derrière elle, sur une marche plus basse, et un peu plus sur le fond, un homme agenouillé, écoutant, incliné et acquiesçant de la tête, des bras, des épaules et du dos. Tout à fait à gauche, deux grandes femmes debout. Celle qui est sur le devant est attentive; l'autre est groupée avec elle par son bras droit posé sur l'épaule gauche de la première; elle regarde, elle montre du doigt un de ses frères apparemment, parmi ce groupe de disciples ou de prosélytes placés debout derrière le saint. Sur un plan, entre elles et les deux figures qui occupent le devant, et qu'on voit par le dos, la tête et les épaules d'un vieillard étonné, prosterné, admirant. Le reste du corps de ce personnage est dérobé par un enfant, vu par le dos, et appartenant à l'une des deux grandes femmes qui sont debout. Derrière ces femmes, le reste des auditeurs

dont on n'aperçoit que les têtes. Au centre du tableau, sur le fond, dans le lointain, une fabrique de pierre fort élevée, avec différents personnages, hommes et femmes, appuyés sur le parapet, et regardant ce qui se passe sur le devant. Au haut, vers le ciel, sur des nuages, la Religion assise, un voile ramené sur son visage, tenant un calice à la main. Au-dessous d'elle, les ailes déployées, un grand ange qui descend avec une couronne qu'il se propose de placer sur la tête de Denis.

Voici donc le chemin de cette composition. La Religion, l'ange, le saint, les femmes qui sont à ses pieds, les auditeurs qui sont sur le fond, les deux grandes figures de femmes qui sont debout, le vieillard incliné à leurs pieds, et les deux figures, l'une d'homme, l'autre de femme, vues par le dos et placées tout à fait sur le devant; ce chemin descendant mollement et serpentant largement depuis la Religion jusqu'au fond de la composition à gauche, où il se replie pour former circulairement et à distance, autour du saint, une espèce d'enceinte qui s'interrompt à la femme placée sur le devant, les bras dirigés vers le saint, et découvre toute l'étendue intérieure de la scène ligne de liaison allant clairement, nettement, facilement, chercher les objets principaux de la composition, dont elle ne néglige que les fabriques de la droite et du fond, et les vieillards indiscrets interrompant le saint, conversant entre eux et disputant à l'écart.

Reprenons cette composition. L'apôtre est bien posé; il a le bras droit étendu, la tête un peu portée en avant; il parle. Cette tête est ferme, tranquille, simple, noble, douce, d'un caractère un peu rustique et vraiment apostolique. Voilà pour l'expression. Quant au faire, elle est bien peinte, bien empâtée; la barbe large et touchée d'humeur. La draperie ou grande aube blanche qui tombe en plis parallèles et étroits, est trèsbelle. Si elle montre moins le nu qu'on ne désirerait, c'est qu'il y a vêtement sur vêtement. La figure entière ramasse sur elle toute la force, tout l'éclat de la lumière, et appelle la première attention. Le ton général en est peut-être un peu gris et trop égal.

Le jeune homme qui est derrière le saint, sur le devant, est bien dessiné, bien peint; c'est une figure de Raphaël pour la pureté, qui est merveilleuse pour la noblesse et pour le

caractère de tête qui est divin. Il est très-fortement colorié. On prétend que sa draperie est un peu lourde: cela se peut. Les autres acolytes se soutiennent très-bien à côté de lui, et pour la forme et pour la couleur.

Les femmes, accroupies aux pieds du saint, sont livides et découpées. L'enfant, qu'une d'elles retient en l'embrassant, est de cire.

Ces deux personnages, qui conversent sur le fond, sont d'une couleur sale, mesquins de caractère, pauvres de draperie; du reste, assez bien ensemble.

Les femmes de la gauche, qui sont debout et qui font masse, ont quelque chose de gêné dans leur tête. Leur vêtement voltige à merveille sur le nu qu'il effleure.

La femme, assise sur les marches, avec les bras tendus vers le saint, est fortement coloriée. La touche en est belle, et sa vigueur renvoie le saint à une grande distance.

La figure d'homme, agenouillée derrière cette femme, n'est ni moins belle ni moins vigoureuse; ce qui l'amène bien en devant.

On dit que ces deux dernières figures sont trop petites pour le saint, et surtout pour les figures qui sont debout à côté d'elles cela se peut.

:

On dit que la femme, aux bras tendus, a le bras droit trop court; qu'elle blute, et qu'on ne sent pas le raccourci; cela se peut encore.

Quant au fond, il est parfaitement d'accord avec le reste; ce qui n'est ni commun ni facile.

Cette composition est vraiment le contraste de celle de Doyen. Toutes les qualités qui manquent à l'un de ces artistes, l'autre les a. Il règne ici la plus belle harmonie de couleur, une paix, un silence qui charment; c'est toute la magie secrète de l'art, sans apprêt, sans recherche, sans effort; c'est un éloge qu'on ne peut refuser à Vien; mais quand on tourne les yeux sur Doyen, qu'on voit sombre, vigoureux, bouillant et chaud, il faut s'avouer que, dans la Prédication, tout ne se fait valoir que par une faiblesse supérieurement entendue; faiblesse que la force de Doyen fait sortir, mais faiblesse harmonieuse, qui fait sortir à son tour toute la discordance de son rival. Ce sont deux grands athlètes qui font un coup fourré. Les deux com

positions sont l'une à l'autre, comme les caractères des deux hommes. Vien est large, sage comme le Dominiquin; de belles têtes, un dessin correct, de beaux pieds, de belles mains, des draperies bien jetées, des expressions simples et naturelles; rien de tourmenté, rien de recherché ni dans les détails ni dans l'ordonnance; c'est le plus beau repos. Plus on le regarde, plus on se plaît à le regarder; il tient à la fois du Dominiquin et de Le Sueur. Le groupe de femmes, qui est à gauche, est très-beau. Tous les caractères de têtes paraissent avoir été étudiés d'après le premier de ces maîtres, et le groupe des jeunes hommes, qui est à droite, et de bonne couleur, est dans le goût de Le Sueur. Vien vous enchaîne et vous laisse tout le temps de l'examiner. Doyen, d'un effet plus piquant pour l'œil, semble lui dire de se dépêcher, de peur que, l'impression d'un objet venant à détruire l'impression d'un autre, avant que d'avoir embrassé le tout, le charme ne s'évanouisse. Vien a toutes les parties qui caractérisent un grand faiseur; rien n'y est négligé; un beau fond. C'est pour de jeunes gens une source de bonnes études. Si j'étais professeur, je leur dirais : « Allez à Saint-Roch, regardez la Prédication de Denis; laissezvous-en pénétrer; mais passez vite devant le tableau des Ardents; c'est un jet sublime de tête, que vous n'êtes pas encore en état d'imiter. » Vien n'a rien fait de mieux, si ce n'est peut-être son morceau de réception. Vien, comme Térence,

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Cum flueret lutulentus, erat quod tollere velles.

HORAT. Sermon. lib. I, sat. iv, v. 11.

C'est, si vous l'aimez mieux, Lucrèce et Virgile. Du reste, remarquez pourtant, malgré le prestige de cette harmonie de Vien, qu'il est gris, qu'il n'y a nulle variété dans ses carnations, et que les chairs de ses hommes et de ses femmes sont presque du même ton. Remarquez, à travers la plus grande intelligence de l'art, qu'il est sans idéal, sans verve, sans poésie, sans mouvement, sans incident, sans intérêt. Ceci n'est

point une assemblée populaire; c'est une famille, une même famille. Ce n'est point une nation à laquelle on apporte une religion nouvelle; c'est une nation toute convertie. Quoi donc ! est-ce qu'il n'y avait dans cette contrée ni magistrats, ni prètres, ni citoyens instruits? Que vois-je? des femmes et des enfants. Et quoi encore? des femmes et des enfants. C'est comme à Saint-Roch, un jour de dimanche. De graves magistrats, s'ils y avaient été, auraient écouté et pesé ce que la doctrine nouvelle avait de conforme ou de contraire à la tranquillité publique. Je les vois debout, attentifs, les sourcils baissés; leur tête et leur menton appuyés sur leurs mains. Des prètres dont les dieux auraient été menacés, s'il y en avait eu, je les aurais vus furieux et se mordant les lèvres de rage. Des citoyens instruits, tels que vous et moi, s'il y en avait eu, auraient hoché de la tête de dédain, et se seraient dit d'un bout de la scène à l'autre : « Autres platitudes, qui ne valent pas mieux que les nôtres. »>

Mais croyez-vous qu'avec du génie il n'eût pas été possible d'introduire dans cette scène le plus grand mouvement, les incidents les plus violents et les plus variés? - Dans une prédication? - Dans une prédication. - Sans choquer la vraisemblance? Sans la choquer. Changez seulement l'instant, et prenez le discours de Denis à sa péroraison, lorsqu'il a embrasé toute la populace de son fanatisme, lorsqu'il lui a inspiré le plus grand mépris pour ses dieux. Alors vous verrez le saint ardent, enflammé, transporté de zèle, encourageant ses auditeurs à briser leurs dieux et à renverser leurs autels. Vous verrez ceux-ci suivre le torrent de son éloquence et de leur persuasion, mettre la corde au cou à leurs divinités, et les tirer de dessus leurs piédestaux. Vous en verrez les débris. Au milieu de ces débris, vous verrez les magistrats s'interposant inutilement, leurs personnes insultées et leur autorité méprisée. Vous verrez toutes les fureurs de la superstition nouvelle se mêler à celles de la superstition ancienne. Vous verrez des femmes retenir leurs maris, qui s'élanceront sur l'apôtre pour l'égorger. Vous verrez des archers conduire en prison quelques néophytes tout fiers de souffrir. Vous verrez d'autres femmes embrasser les pieds du saint, l'entourer et lui faire un rempart de leurs corps; car, dans ces circonstances, les femmes ont bien une

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