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cette tête coiffée d'humeur, sa draperie lâche et moins arrangée, et son regard attaché sur le buste?

La Peinture de Michel est assise devant son chevalet; on la voit de profil. Elle a la palette et le pinceau à la main. Elle travaille; elle est commune d'expression. Rien de cette chaleur du génie qui crée. Elle est grise; elle est fade; la touche en est molle, molle, molle.

Après ces deux morceaux viennent des portraits sans nombre, à les compter tous; quelques portraits, à ne compter que les bons.

Celui du Cardinal de Choiseul est sage, ressemblant, bien assis, bien de chair; on ne saurait mieux posé ni mieux habillé ; c'est la nature et la vérité même. Ce sont ces vêtements-là qui n'ont pas été mannequinés. Plus on a de goût et de vrai goût, plus on regarde ce cardinal. Il rappelle ces cardinaux et ces papes de Jules Romain, de Raphaël et de Van Dyck, qu'on voit dans les premières pièces du Palais-Royal 2. Sa fourrure n'est pas autrement chez le fourreur.

3. L'ABBÉ DE BRETEUIL.

L'Abbé de Breteuil tout aussi ressemblant, plus éclatant de couleur mais moins vigoureux, moins sage, moins harmonieux. Du reste, l'air facile et dégagé d'un abbé grand seigneur et paillard.

8. M. DIDEROT 3.

Moi. J'aime Michel; mais j'aime encore mieux la vérité. Assez ressemblant; il peut dire à ceux qui ne le reconnaissent pas, comme le jardinier de l'opéra-comique : « C'est qu'il ne m'a jamais vu sans perruque. » Très-vivant; c'est sa douceur, avec sa vivacité; mais trop jeune, tête trop petite, joli comme une femme, lorgnant, souriant, mignard, faisant le petit bec, la bouche en cœur; rien de la sagesse de couleur du Cardinal de Choiseul; et puis un luxe de vêtement à ruiner le pauvre litté

1. N° 2.

2. Se voient aujourd'hui au Musée. (BR.)

3. Gravé in-folio par Henriquez et reproduit en couleur par Alix. Ce tableau est conservé dans la famille de Vandeul.

rateur, si le receveur de la capitation vient à l'imposer sur sa robe de chambre 1. L'écritoire, les livres, les accessoires aussi bien qu'il est possible, quand on a voulu la couleur brillante et qu'on veut être harmonieux. Pétillant de près, vigoureux de loin, surtout les chairs. Du reste, de belles mains bien modelées, excepté la gauche qui n'est pas dessinée. On le voit de face; il a la tête nue; son toupet gris, avec sa mignardise, lui donne l'air d'une vieille coquette qui fait encore l'aimable; la position d'un secrétaire d'État et non d'un philosophe. La fausseté du premier moment a influé sur tout le reste. C'est cette folle de madame Van Loo qui venait jaser avec lui, tandis qu'on le peignait, qui lui a donné cet air-là, et qui a tout gâté. Si elle s'était mise à son clavecin, et qu'elle eût préludé ou chanté,

Non ha ragione, ingrato,
Un core abbandonato,

ou quelque autre morceau du même genre, le philosophe sensible eût pris un tout autre caractère; et le portrait s'en serait ressenti. Ou mieux encore, il fallait le laisser seul, et l'abandonner à sa rêverie. Alors sa bouche se serait entr'ouverte, ses regards distraits se seraient portés au loin, le travail de sa tête, fortement occupée, se serait peint sur son visage; et Michel eût fait une belle chose. Mon joli philosophe, vous me serez à jamais un témoignage précieux de l'amitié d'un artiste, excellent artiste, plus excellent homme. Mais que diront mes petitsenfants, lorsqu'ils viendront à comparer mes tristes ouvrages avec ce riant, mignon, efféminé, vieux coquet-là? Mes enfants, je vous préviens que ce n'est pas moi. J'avais en une journée cent physionomies diverses, selon la chose dont j'étais affecté. J'étais serein, triste, rêveur, tendre, violent, passionné, enthousiaste; mais je ne fus jamais tel que vous me voyez là. J'avais un grand front, des yeux très-vifs, d'assez grands traits, la tête tout à fait du caractère d'un ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise, à la rusticité des anciens temps. Sans l'exagération de tous les traits dans la gravure

1. Sans doute celle dont il est question dans les Regrets sur ma vieille robe de chambre, t. IV. La date paraît concorder avec celle du don fait par Mme Geoffrin au philosophe.

qu'on a faite d'après le crayon de Greuze 1, je serais infiniment mieux. J'ai un masque qui trompe l'artiste; soit qu'il y ait trop de choses fondues ensemble; soit que, les impressions de mon âme se succédant très-rapidement et se peignant toutes sur mon visage, l'œil du peintre ne me retrouvant pas le même d'un instant à l'autre, sa tâche devienne beaucoup plus difficile qu'il ne la croyait. Je n'ai jamais été bien fait que par un pauvre diable appelé Garand, qui m'attrapa, comme il arrive à un sot qui dit un bon mot. Celui qui voit mon portrait par Garand, ⚫ me voit. Ecco il vero Pulcinella 3. M. Grimm l'a fait graver; mais il ne le communique pas. Il attend toujours une inscription qu'il n'aura que quand j'aurai produit quelque chose qui m'immortalise. Et quand l'aura-t-il? - Quand? demain peut-être; et qui sait ce que je puis? Je n'ai pas la conscience d'avoir encore employé la moitié de mes forces. Jusqu'à présent je n'ai que baguenaudé. J'oubliais parmi les bons portraits de moi, le buste de mademoiselle Collot, surtout le dernier 3, qui

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1. Ce profil de Greuze au pastel, qui appartient aujourd'hui à M. Walferdin, a été fort souvent gravé. Diderot veut parler ici de la gravure qu'en a faite SaintAubin en 1766.

2. Garand était membre de l'Académie de Saint-Luc. Le portrait qu'il a fait de Diderot a été gravé par Chenu. C'est celui qui est reproduit dans notre édition. Peut-être faut-il souscrire au jugement que porte Diderot sur son talent comme peintre, mais il y a de lui quelques eaux-fortes, entre autres les portraits de l'abbé de Lattaignant, de Marivaux, etc., qui prouvent qu'il n'était point maladroit dans ce genre. Quand il ne gravait pas lui-même, c'était Chenu qui gravait d'après lui. 3. Allusion à une anecdote souvent citée depuis que Diderot l'a rapportée dans ses Lettres à Mile Voland: anecdote où un moine vénitien, pour détourner les badauds amassés autour d'un polichinelle, leur crie en leur montrant le crucifix : « Le polichinelle qui vous rassemble n'est qu'un sot, le seul, le vrai polichinelle, le voilà! » 4. Il n'y eut jamais d'inscription ajoutée à ce portrait. L'exemplaire qu'en possède M. Walferdin en porte cependant une, mais manuscrite, ainsi conçue :

Il eut de grands amis et quelques bas jaloux.

Le soleil plaît à l'aigle et blesse les hiboux.

Par le La Fontaine du xvIIe siècle.

Cette signature énigmatique peut désigner l'abbé Le Monnier; mais on ne saurait l'affirmer. Entre autres inscriptions proposées, en voici une tirée de la Décade philosophique, et signée Boulard :

Romancier, philosophe, enthousiaste et fin,

Diderot égala Bacon et l'Arétin.

5. Le premier est à l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg. Nous renvoyons, pour les autres portraits de Diderot, à la notice iconographique qui accompagnera notre édition.

appartient à M. Grimm, mon ami. Il est bien, il est très-bien; il a pris chez lui la place d'un autre, que son maître M. Falconet avait fait, et qui n'était pas bien. Lorsque Falconet eut vu le buste de son élève, il prit un marteau, et cassa le sien devant elle. Cela est franc et courageux. Ce buste en tombant en morceaux sous le coup de l'artiste, mit à découvert deux belles oreilles qui s'étaient conservées entières sous une indigne perruque dont madame Geoffrin m'avait fait affubler après coup. M. Grimm n'avait jamais pu pardonner cette perruque à madame Geoffrin. Dieu merci, les voilà réconciliés; et ce Falconet, cet artiste si peu jaloux de la réputation dans l'avenir, ce contempteur si déterminé de l'immortalité, cet homme si disrespectueux de la postérité, délivré du souci de lui transmettre un mauvais buste. Je dirai cependant de ce mauvais buste, qu'on y voyait les traces d'une peine d'âme secrète dont j'étais dévoré, lorsque l'artiste le fit. Comment se fait-il que l'artiste manque les traits grossiers d'une physionomie qu'il a sous les yeux, et fasse passer sur sa toile ou sur sa terre glaise les sentiments secrets, les impressions cachées au fond d'une âme qu'il ignore? La Tour avait fait le portrait d'un ami. On dit à cet ami qu'on lui avait donné un teint brun qu'il n'avait pas. L'ouvrage est rapporté dans l'atelier de l'artiste, et le jour pris pour le retoucher. L'ami arrive à l'heure marquée. L'artiste prend ses crayons. Il travaille, il gâte tout; il s'écrie: « J'ai tout gâté. Vous avez l'air d'un homme qui lutte contre le sommeil; » et c'était en effet l'action de son modèle, qui avait passé la nuit à côté d'un parente indisposée.

4. MADAME LA PRINCESSE DE CHIMAY.

5. M. LE CHEVALIER DE FITZ-JAMES, SON FRÈRE.

Vous êtes mauvais, parfaitement mauvais ; vous êtes plats, mais parfaitement plats; au garde-meuble! Point de nuances, point de passages, nulles teintes dans les chairs. Princesse, dites-moi, ne sentez-vous pas combien ce rideau que vous tirez est lourd? Il est difficile de dire lequel du frère et de la sœur est le plus raide et le plus froid.

10. NOTRE AMI COCHIN.

Il est vu de profil. Si la figure était achevée, les jambes s'en iraient sur le fond. Il a le bras passé sur le dos d'une chaise de paille; l'attitude est bien pittoresque; il est ressemblant; il est fin; il va dire une ordure ou une malice. Si l'on compare ce portrait de Van Loo, avec les portraits que Cochin a faits de luimême, on connaîtra la physionomie qu'on a, et celle qu'on voudrait avoir. Du reste, celui-ci est assez bien peint, mais il n'approche de près ni de loin du Cardinal de Choiseul.

Les autres portraits de Michel sont si médiocres, qu'on ne les croirait pas du même maître. D'où vient cette inégalité qui, dans un intervalle de temps assez court, touche les deux extrêmes du bon et du mauvais? Le talent serait-il si journalier? 'y aurait-il des figures ingrates? Je l'ignore. Ce que je sais, ce que je vois, c'est qu'il n'y a guère de physionomies plus déplaisantes, plus hideuses que celle de l'oculiste Demours, et que La Tour n'a pas fait un plus beau portrait; c'est à faire détourner la tête à une femme grosse, et à faire dire à une élégante : « Ah l'horreur!» Je crois que la santé y entre pour beaucoup.

Le Petit jeune homme en pied, habillé à l'ancienne mode d'Angleterre, est très-beau de draperie, de position naturelle et aisée; charmant par sa simplicité, son ingénuité; d'une belle palette; satin et bottes à ravir; étoffes qui ne sont pas plus vraies dans le magasin de soieries. Très-beau morceau; tout à fait à la manière de Van Dyck. Il est de quatre pieds sept pouces de haut, sur deux pieds trois pouces de large.

Michel Van Loo est vraiment un artiste; il entend la grande machine; témoin quelques tableaux de famille, où les figures sont grandes comme nature, et louables par toutes les parties de la peinture. Celui-ci est bien l'inverse de La Grenée. Son talent s'étend en raison de la grandeur de son cadre. Convenons toutefois qu'il ne sait pas rendre la finesse de la peau des femmes; que pour toute cette variété de teintes que nous y voyons, il n'a que du blanc, du rouge et du gris, et qu'il réussit mieux aux portraits d'hommes. Je l'aime, parce qu'il est simple et honnête, parce que c'est la douceur et la bienfaisance personnifiées. Personne n'a plus que lui la physionomie de son âme. Il avait un ami en Espagne. Il prit envie à cet ami d'équi

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