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culation des cuisses ou des bras, où le poco più et le poco menò sont sentis par un si petit nombre d'artistes, ne tiennent pas le nom de belles de l'opinion populaire, que l'artiste trouve établie en naissant, et qui décide son jugement. Entre la beauté d'une forme et sa difformité, il n'y a que l'épaisseur d'un cheveu; comment avaient-ils acquis ce tact qu'il faut avoir, avant que de rechercher les formes les plus belles éparses, pour en composer un tout? Voilà ce dont il s'agit. Et quand ils eurent rencontré ces formes, par quel moyen incompréhensible les réunirent-ils? Qu'est-ce qui leur inspira la véritable échelle à laquelle il fallait les réduire? Avancer un pareil paradoxe, n'est-ce pas prétendre que ces artistes avaient la connaissance la plus profonde de la beauté, étaient remontés à son vrai modèle idéal, à la ligne de foi, avant que d'avoir fait une seule belle chose? Je vous déclare donc que cette marche est impossible, absurde. Je vous déclare que, s'ils avaient possédé le modèle idéal, la ligne vraie, dans leur imagination, ils n'auraient trouvé aucune partie qui les eût contentés à la rigueur. Je vous déclare qu'ils n'auraient été que portraitistes de celle qu'ils auraient servilement copiée. Je vous déclare que ce n'est point à l'aide d'une infinité de petits portraits isolés, qu'on s'élève au modèle original et premier ni de la partie, ni de l'ensemble et du tout; qu'ils ont suivi une autre voie, et que celle que je viens de prescrire est celle de l'esprit humain dans toutes ses recherches.

Je ne dis pas qu'une nature grossièrement viciée ne leur ait inspiré la première pensée de réforme, et qu'ils n'aient longtemps pris pour parfaites des natures dont ils n'étaient pas en état de sentir le vice léger, à moins qu'un génie rare et violent ne se soit élancé tout à coup du troisième rang, où il tâtonnait avec la foule, au second. Mais je prétends que ce génie s'est fait attendre, et qu'il n'a pu faire lui seul ce qui est l'ouvrage du temps et d'une nation entière. Je prétends que c'est dans cet intervalle du troisième rang, du rang de portraitiste de la plus belle nature subsistante, soit en tout, soit en partie, que sont renfermées toutes les manières possibles de faire avec éloge et succès, toutes les nuances imperceptibles du bien, du mieux et de l'excellent. Je prétends que tout ce qui est au-dessus est chimérique, et que tout ce qui est audessous est pauvre, mesquin, vicieux. Je prétends que, sans

recourir aux notions que je viens d'établir, on prononcera éternellement les mots d'exagération, de pauvre nature, de nature mesquine, sans en avoir d'idées nettes. Je prétends que la raison principale pour laquelle les arts n'ont pu, dans aucun siècle, chez aucune nation, atteindre au degré de perfection qu'ils ont eu chez les Grecs, c'est que c'est le seul endroit connu de la terre où ils ont été soumis au tâtonnement; c'est que, grâce aux modèles qu'ils nous ont laissés, nous n'avons jamais pu, comme eux, arriver successivement et lentement à la beauté de ces modèles; c'est que nous nous en sommes rendus plus ou moins servilement imitateurs, portraitistes, et que nous n'avons jamais eu que d'emprunt, sourdement, obscurément le modèle idéal, la ligne vraie; c'est que, si ces modèles avaient été anéantis, il y a tout à présumer qu'obligés comme eux à nous traîner d'après une nature difforme, imparfaite, viciée, nous serions arrivés comme eux à un modèle original et premier, à une ligne vraie qui aurait été bien plus nôtre qu'elle ne l'est et ne peut l'être; et, pour trancher le mot, c'est que les chefs-d'œuvre des Anciens me semblent faits pour attester à jamais la sublimité des artistes passés, et perpétuer à toute éternité la médiocrité des artistes à venir. J'en suis fâché; mais il faut que les lois inviolables de Nature s'exécutent; c'est que Nature ne fait rien par saut, et que cela n'est pas moins vrai dans les arts que dans l'univers.

Quelques conséquences que vous tirerez bien de là sans que je m'en mêle, c'est l'impossibilité confirmée par l'expérience de tous les temps et de tous les peuples, que les beaux-arts aient chez un même peuple, plusieurs beaux siècles; c'est que ces principes s'étendent également à l'éloquence, à la poésie, et peut-être aux langues. Le célèbre Garrick disait au chevalier de Chastellux : « Quelque sensible que Nature ait pu vous former, si vous ne jouez que d'après vous-même, ou la nature subsistante la plus parfaite que vous connaissiez, vous ne serez que médiocre.

- Médiocre! et pourquoi cela?

- C'est qu'il y a pour vous, pour moi, pour le spectateur, tel homme idéal possible qui, dans la position donnée, serait bien autrement affecté que vous. Voilà l'être imaginaire que vous devez prendre pour modèle. Plus fortement vous l'aurez

conçu, plus vous serez grand, rare, merveilleux et sublime.

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- Je m'en garde bien. Ni moi, monsieur le chevalier, ni rien que je connaisse précisément autour de moi. Lorsque je m'arrache les entrailles, lorsque je pousse des cris inhumains, ce ne sont pas mes entrailles, ce ne sont pas mes cris, ce sont les entrailles, ce sont les cris d'un autre que j'ai conçu, et qui n'existe pas. »

Or, il n'y a, mon ami, aucune espèce de poëte à qui la leçon de Garrick ne convienne. Son propos bien réfléchi, bien approfondi, contient le secundus a natura et le tertius ab idea de Platon, le germe et la preuve de tout ce que j'ai dit. C'est que les modèles, les grands modèles, si utiles aux hommes médiocres, nuisent beaucoup aux hommes de génie.

Après cette excursion, à laquelle, vraie ou fausse, peu d'autres que vous seront tentés de donner toute l'attention qu'elle mérite, parce que peu saisiront la différence d'une nation qu'on fait ou qui se fait d'elle-même, je passe au Salon ou aux différentes productions que nos artistes y ont exposées cette année. Je vous ai prévenu sur ma stérilité, ou plutôt sur l'état d'épuisement où les Salons précédents m'ont réduit; mais ce que vous perdrez du côté des écarts, des vues, des principes, des réflexions, je tâcherai de vous le rendre par l'exactitude des descriptions, et l'équité des jugements. Entrons donc dans ce sanctuaire. Regardons, regardons longtemps; sentons et jugeons. Surtout, mon ami, comme il faut que je me taise ou que je parle selon la franchise de mon caractère, monsieur le maître de la boutique du Houx toujours vert, obtenez de vos pratiques le serment solennel de la réticence. Je ne veux contrister personne ni l'être à mon tour. Je ne veux pas ajouter à la nuée de mes ennemis une nuée de surnuméraires. Dites que les artistes s'irritent facilement,

Genus irritabile vatum.

HORAT. Epistol., lib. II, epist. II.

Dites que, dans leur colère, ils sont plus violents et plus dangereux que les guêpes. Dites que je ne veux pas être exposé aux guêpes. Dites que je manquerais à l'amitié et à la con

fiance de la plupart d'entre eux. Dites que ces papiers me donneraient un air de méchanceté, de fausseté, de noirceur et d'ingratitude. Dites que les préjugés nationaux n'étant pas plus respectés dans mes lignes, que les mauvaises manières de peindre; les vices des grands, que les défauts des artistes; les extravagances de la société, que celles de l'Académie, il y a de quoi perdre cent hommes mieux étayés que moi. Dites que, s'il arrivait qu'un petit service, qui vous est rendu par l'amitié, devînt pour moi la source de quelque grand chagrin, vous ne vous en consoleriez jamais. Dites que, tout inconvénient à part, il faut être fidèle au pacte qu'on a consenti. Présentez mon très-humble respect à Mme la princesse de Nassau-Saarbruck, et envoyez-lui toujours des papiers qui l'amusent. La première fois, mon ami, nous époussetterons Michel Van Loo.

Sine ira et studio quorum caussas procul habeo.
TACIT. Annal. lib. I, cap. I.

Voici mes critiques et mes éloges. Je loue, je blâme, d'après ma sensation particulière, qui ne fait pas loi. Dieu ne demanderait de nous que la sincérité avec nous-mêmes. Les artistes voudront bien n'être pas plus exigeants. On a bientôt dit : « Cela est beau; cela est mauvais; » mais la raison du plaisir ou du dégoût se fait quelquefois attendre; et je suis commandé par un diable d'homme, qui ne lui donne pas le temps de venir. Priez Dieu pour la conversion de cet homme-là; et, le front incliné devant la porte du Salon, faites amende honorable à l'Académie des jugements inconsidérés que je vais porter.

MICHEL VAN LOO.

1. LA PEINTURE ET LA SCULPTURE'.

Ce n'est pas Carle, c'est Michel. Carle est mort. Il y a de Michel deux ovales représentant, l'un la Peinture, l'autre la Sculpture.

1. Deux tableaux ovales de 3 pieds 8 pouces de large sur 3 pieds 1 pouce de haut.

La Sculpture est assise. On la voit de face, la tête coiffée à la romaine, le regard assuré, le bras droit retourné, et le dos de la main appuyé sur la hanche; l'autre bras posé sur la selle à modeler, l'ébauchoir à la main. Il y a sur la selle un buste commencé.

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Pourquoi ce caractère de majesté? Pourquoi ce bras sur la hanche? Cette attitude d'atelier cadre-t-elle bien avec l'air de noblesse? Supprimez la selle, l'ébauchoir et le buste; et vous prendrez la figure symbolique d'un art pour une impératrice. Mais elle impose. D'accord. Mais ce bras retourné et ce poignet appuyé sur la hanche donne de la noblesse, et marque le repos. Donne de la noblesse, si vous voulez. Marque le repos, certainement. Mais, cent fois le jour, l'artiste prend cette position, soit que la lassitude suspende son travail, soit qu'il s'en éloigne pour en juger l'effet. - Ce que vous dites, je l'ai vu. Que s'ensuit-il? en est-il moins vrai que tout symbole doit avoir un caractère propre et distinctif? que si vous approuvez cette Sculpture impératrice, vous blâmerez du moins cette Peinture bourgeoise, qui lui fait pendant? Cette première est de bonne couleur. Peut-être un peu sale. Très-bien drapée, d'une grande correction de dessin, d'un assez bon effet. Passons, passons; mais n'oublions pas que l'artiste qui traite ces sortes de sujets s'en tient à l'imitation de Nature ou se jette dans l'emblème, et que ce dernier parti lui impose la nécessité de trouver une expression de génie, une physionomie unique, originale et d'état, l'image énergique et forte d'une qualité individuelle. Voyez cette foule d'esprits incoercibles et véloces sortis de la tête de Bouchardon et accourant à la voix d'Ulysse qui évoque l'ombre de Tirésias 1; voyez ces Naiades abandonnées, molles et fluantes de Jean Goujon. Les eaux de la fontaine des Innocents ne coulent pas mieux. Les symboles serpentent comme elles. Voyez un certain amour de Van Dyck. C'est un enfant; mais quel enfant! c'est le maître des hommes; c'est le maître des dieux. On dirait qu'il brave le ciel et qu'il menace la terre. C'est le quos ego du poëte, rendu pour la première fois.

Et puis, je vous le demande, n'aimeriez-vous pas mieux

1. Cet exemple, que Diderot a déjà cité et qu'il citera encore, est un dessin.

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