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l'espoir d'approcher de leurs modèles, quoiqu'en effet ils n'en approchent jamais.

Les traductions en prose, des poètes grecs et latins," lorsqu'elles sont exactes et purement écrites, peuvent être d'un grand secours pour les jeunes gens qui apprennent les langues anciennes, et même pour les maîtres chargés de leur expliquer les auteurs du reste, elles ennuient les gens du monde; elles ennuient encore plus les gens de lettres qui savent le grec et le latin. Une femme d'esprit et de goût en lisant Horace, même dans la traduction de M. Binet, ne pourra jamais se former une juste idée du mérite de ce grand poète, et soupçonnera d'exagération les éloges que les savans lui prodiguent.

M. Binet, qui a traduit en prose, se déclare les traductions en prose, pour contre les traductions en vers ceux au contraire qui traduisent en vers, prétendent qu'il est monstrueux de traduire un poète en prose. Cette petite dispute qui s'est élevée depuis quelque temps dans la république des lettres, n'est qu'une pure question de nom, comme la plupart des querelles littéraires et politiques. Quand on peut parvenir à s'entendre, tout le monde se trouve être du même avis. Si une traduction doit être une copie exacte qui conserve les tours, les idées, les figures, et l'ordre même dans lequel elles sont placées dans l'original, il est démontré impossible de traduire en vers; mais si l'on veut donner le nom de traduction à une imitation libre, où le traducteur arrange à sa manière les principales pensées de l'original, et brode son texte comme un canevas, non-seulement on peut très-bien traduire en vers, mais lorsque l'on a du talent, c'est la meilleure manière de mettre en œuvre les beautés des

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anciens. L'imitation libre des Géorgiques, par l'abbé Delille, se lira toujours avec plus de plaisir que toutes les traductions en prose qui existent, et peut être même qui existeront jamais. M. Binet prouve parfaitement bien que la tyrannie de la rime, et la gêne de la versification, s'opposent à une traduction exacte en vers : mais il ne prouve pas aussi bien qu'une traduction exacte en prose, même la meilleure possible, puisse avoir l'agrément de l'original.

Il me reste à donner une idée de la manière dont le nouveau traducteur a rendu Horace. Je choisirai quelque Odes courtes, dans les différens genres. En voici une d'abord, dans le style fort et sublime : c'est celle qu'Horace composa au sujet du voyage de Virgile à Athènes.

Pour bien juger la traduction, il est indispensable d'avoir sous les yeux le texte latin :

Sie te diva potens Cypri,

Sic fratres Helena, lucida sidera,
Ventorumque regat pater

Obstrictis aliis, præter lapyga,
Navis, quæ tibi creditum
Debes Virgilium: finibus Atticis

Reddas incolumem, precor,
Et serves animæ dimidium meæ.

Illi robur et æs triplex

Circa pectus erat, qui fragilem truci
Commisit pelago ratem

Primus, nec timuit præcipitem Africum
Decertantem Aquilonibus,

Nec tristes Hyadas, nec rabiem Noti,
Quo non arbiter adriæ

Major, tollere, seu ponere vult freta.

Quem mortis timuit gradum,

Qui siccis oculis monstra natantia,

Qui vidit mare turgidum, et
Infames scopulos Acroceraunia?
Nequicquam Deus abscidit.

Prudens Oceano dissociabili

Terras; si tamen impiæ.

Non tangenda rates transiliunt vada.
Audax omnia perpeti

Gens humana ruit per vetitum nefas
Audax lapeti genus

Ignem fraude malá gentibus intulit.
Post ignem ætheriâ domo
Subductum, macies, et nova febrium
Terris incubuit colors:
Semotique priùs tarda necessitas
Lethi corripuit gradum.
Expertus vacuum Dædalus aëra,

Pennis non homini datis.
Perrupit Acheronta Herculens labor.
Nil mortalibus arduum est;
Column ipsum petimus stultitiâ; neque
Per nostrum patimur scelus
Iracunda Jovem ponere fulmina ».

Voici maintenant la traduction :

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Qu'ainsi te conduisent, et la Déesse que Chypre adore, et les frères d'Hélène, astres brillans des cieux qu'ainsi le père des vents enchaînant tous les autres, ne laisse souffler pour toi que l'Iapix: Vaisseau, dépositaire d'un trésor si précieux, rends Virgile sain et sauf aux bords athéniens, et conservemoi la moitié de moi-même.

» Il fallut un cœur du chêne le plus dur, fortifié d'un triple bronze, au mortel qui le premier osa confier une barque fragile à la mer en courroux; qui ne craignit ni les vents impétueux de l'Afrique luttant contre les aquilons, ni les tristes hyades, ni la rage

du vent du midi, arbitre souverain des flots adriatiques; soit qu'il veuille les soulever ou les calmer. Quelle mort a pu faire trembler celui qui vit d'un œil serein des monstres nageans dans lès abîmes, la mer enflée par la tempête, et les rochers acrocérauniens, fameux par tant de naufrages?

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une

» En vain la Divinité sage a séparé par un vaste océan, les parties du monde, si malgré sa prudence nos vaisseaux impies franchissent encore cette barrière sacrée. L'audace humaine bravant tous les maux court avec fureur à travers les forfaits. L'audace du fils de Japet osa, par un crime, livrer aux hommes le feu du ciel. A la suite de ce don funeste dérobé dans le palais des dieux, la maigreur, la fièvre, légion de maux jusqu'alors inconnus, vinrent fondre sur la terre ; et l'inévitable mort, auparavant tardive, précipita ses pas. Dédale s'élança dans le vide de l'air, sur des ailes que l'homme ne reçut point de la nature. Les travaux d'Hercule forcèrent les remparts de l'Achéron. Rien ne paroît impossible aux mortels. Notre folie attaque le ciel même, et nos forfaits ne permettent point à Jupiter de quitter un instant la foudre vengeresse ».

Cette traduction offre une foule d'endroits trèsheureusement rendus ; on y trouve de l'élégance et de l'harmonie ; mais, qu'ainsi te conduise, etc., est dur; sain et sauf est plat; soit qu'il veuille les soulever ou les calmer, est en français une périphrase froide qui tue la poésie : par un crime, est foible; la répétition du mot de forfaits est vicieuse dans une ode aussi courte. Il fallut un cœur du chêne le plus dur, fortifié d'un triple bronze, au mortel qui, etc.: le tour est peu poétique, et il fallut, est beaucoup trop éloigné de au mortel, auquel il se rapporte, ce

qui rend toute la phrase extrêmement lourde. Il me semble qu'on pourroit donner à la traduction de cette ode une marche plus rapide, un style plus leste et plus vigoureux, et s'approcher davantage de l'esprit et du ton d'Horace; voici un essai que le lecteur pourra comparer avec l'original:

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<< Ainsi puisse la déesse de Chypre, puissent les frères d'Hélène, astres brillans de la voûte azurée, guider ta course sur les eaux! qu'Eole pour toi enchaîne tous les vents et ne laisse souffler que l'heureux Iapix. O vaisseau! à qui j'ai confié mon ami et ma vie, porte, je t'en coujure, ce précieux dépôt sur les bords de l'Attique ; rends-moi mon cher Virgile, sauve la moitié de moi-même.

» Le chêne le plus dur, un triple airain environnoit le cœur du mortel intrépide qui livra le premier une barque fragile à la mer en courroux : il ne redouta ni l'impétueux vent d'Afrique, luttant contre les aquilons, ni les hiades orageuses, ni la rage du Notus, ce tyran qui soulève et calme à son gré les flots adriatiques. La plus horrible mort pouvoit-elle épouvanter celui qui, d'un œil tranquille, contempla les monstrueux habitans de l'empire de Neptune, les vagues amoncelées et ces fameux rochers qui semblent défier le tonnerre? C'est donc en vain qu'une divinité prévoyante avoit rompu toute société entre la terre et l'océan des vaisseaux impies franchissent cette barrière sacrée; l'audace effrénée des humains ne connoit point les dangers et brave les ordres du ciel. Par une ruse coupable, le téméraire fils de Japet apporte aux mortels le feu dérobé dans le palais des dieux, larcin funeste, signal de tous nos désastres: bientôt une légion de maux inconnus vient fondre sur la terrė. L'inévitable mort, auparavant tardive, précipite ses

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