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et l'aigreur des traits de son devancier, il assaisonna la satire d'un sel moins âcre, et mêlant à la critique des mœurs une philosophie douce, il fixa la nature et le caractère de ce genre de poésie.

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Dans la décadence du goût, le rhéteur Juvénal nourri d'hyperboles et de figures outrées, accoutumé à l'enflure des déclamations de l'école, substitua à la politesse et à l'urbanité du favori d'Auguste, un ton dur et chagrin, une emphase pédantesque, et la satire née de la Comédie, ne conserva plus dans ses vers aucune trace de son ancienne origine. Le satirique ne doit pas être un misanthrope. La plaisanterie d'Horace est beaucoup plus propre à corriger les hommes, beaucoup plus convenable à un vrai philosophe, que les cris et les invectives de Juvénal. Peut-être qu'au sein d'une république austère, sous le règne des mœurs et de la vertu, quand le vice tremble et se cache, une accusation rigoureuse qui dénonce le coupable à ses concitoyens, le cri de l'indignation, alors secondé par la voix publique, produira plus d'effet que la raillerie ; mais quand la corruption est générale, quand le luxe et la débauche sont en honneur, quand les coupables, fortifiés par le nombre, marchent le front levé, on rit des boutades du satirique atrabilaire, on a pitié de son mauvais ton, on s'offense de sa hardiesse; ses injures, ses reproches sanglans irritent ceux qui en sont l'objet, sans les réformer; l'arme du ridicule est la seule que craignent encore ceux qui ne craignent plus rien, et qui n'ont plus ni pudeur, ni remords.

Mais un ami de la vertu peut-il être tranquille, peut-il se défendre de l'indignation la plus vive, à la vue des crimes affreux qui déshonorent l'humanité?

Oui, disoient les Stoïciens, s'il est vraiment philosophe. Démocrite, qui rioit sans cesse, n'étoit pas moins vertueux qu'Héraclite qui pleuroit toujours mais il étoit plus sage; les scélérats, les méchans, les débauchés sont des foux, suivant la doctrine du Portique, et l'on ne se fâche point contre les foux'; tout homme veut être heureux. La raison nous montre le bonheur dans la vertu; les passions nous le font chercher dans le crime: satirique, qu'un véritable zèle enflamme, ne vous emportez point contre des insensés et des aveugles qu'il faut éclairer et instruire: les leçons d'un maître toujours en colère, rebutent le disciple remettez dans la route du bonheur les

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hommes égarés; apprenez-leur que le vice ne fait que des malheureux; qu'ils trouvent en vous un ami, et que leur intérêt même les force à vous écouter: c'est par-là sur-tout qu'Horace est infiniment supérieur à Juvénal; quelle différence prodigieuse entre le philosophe et le rhéteur, entre l'homme du monde et le pédant! avec quelle douce éloquence ne nous montre-t-il pas le danger des passions, les dégoûts, les chagrins qui suivent le vice; quelles peintures admirables des avantages de la tempérance et de la médiocrité, du repos d'une bonne conscience, du bonheur que procurent la sagesse et la vertu! que l'aveu qu'il fait de ses propres foiblesses est touchant! comme il sait persuader! comme ses leçons s'insinuent agréablement dans notre ame!

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Et admissus circum præcordia ludit.

Juvénal, au contraire, toujours triste et farouche, satisfait le besoin d'évaporer sa bile, et non pas le désir d'être utile à son siècle c'est parce que de mauvais poètes l'ont fatigué par des ouvrages insi

pides, qu'il veut faire des vers à son tour et user de représailles : le beau motif! On diroit que la haine et l'envie conduisent sa plume. S'il déclame contre le luxe, je m'imagine qu'il écrit dans un galetas; s'il s'emporte contre la gourmandise et l'intempérance, je me figure qu'il meurt de faim; s'il invective contre la débauche, il semble qu'il se désole d'être privé des mêmes plaisirs; ses hyperboles extravagantes décréditent les plaintes les plus justes ; dans ses traits les plus sublimes, dans ses tirades vigoureuses, dans ses peintures énergiques des mœurs, on aperçoit l'ostentation et l'envie de briller, beaucoup plus que l'amour de la vertu ; par-tout il se montre plus jaloux de décrire les vices que de les corriger. Ce n'est pas un véritable zèle, c'est la fougue d'un tempérament irascible qui l'entraîne; il songe plus à gronder les hommes qu'à les réformer, et l'on trouve dans ses écrits des déclamations éloquentes, plutôt que des instructions solides. Malgré toutes ses violentes diatribes sur la corruption des mœurs, on sera toujours en droit de suspecter les mœurs d'un homme qui, pour détourner son ami du mariage, lui conseille un vice infâme; et le conseil n'est point ironique, comme on l'a dit pour l'excuser: tout annonce que le poète y parle très-sérieusement.

Quelques rigoristes font un grand crime à Horace, de chercher à plaire; si ses écrits n'offroient que des agrémens frivoles, le reproche seroit peut-être fondé. Mais si ces agrémens ne servent qu'à parer la plus saine morale et les conseils les plus utiles pour notre bonheur, remercions Horace du soin qu'il a pris de nous plaire, pour nous rendre plus heureux et meilleurs; ne peut-on être vertueux sans être grondeur et maussade? Mais Horace, dit-on, a flatté

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bassement Auguste, tyran de sa patrie; je trouve dans ses éloges plus de justice et de prudence que de bassesse. Quand il a loué Auguste, Auguste en étoit digne; il réparoit, autant qu'il étoit en lui, par un sage gouvernement, la honte de ses cruautés politiques: il étoit équitable, humain et généreux depuis qu'il étoit assez puissant pour n'avoir plus besoin de la violence et de l'injustice. Si l'on s'obstine à le nommer un tyran, c'étoit du moins un tyran nécessaire ; tous ces démagogues fanatiques ne veulent pas comprendre que dans l'état où Rome étoit réduite, elle ne pouvoit se passer d'un maître; et pouvoit-elle en trouver un plus digne de lui commander? Falloit-il, pour leur plaire, qu'Horace soufflêt dans le coeur de ses citoyens les fureurs de la guerre civile ? N'étoit-il pas plus raisonnable de faire aimer aux Romains, un joug devenu nécessaire, un chef qui leur assuroit le repos, qui rendoit Rome florissante au-dedans et redoutable au-dehors? Quant à Mécène, il avoit, malgré sa mollesse, bien des qualités estimables. Les éloges qu'Horace lui prodigue, justifiés par la reconnoissance, ne blessent point la vérité, et ne sentent point la flatterie..

Juvénal, comme écrivain, ne peut pas même entrer en parallèle avec Horace; l'un est ampoulé et déclamateur, l'autre est toujours simple et naturel :. le premier abonde en exagération et en hyperboles scolastiques; le second, toujours vrai, n'offre que des tableaux fidèles de la société. Juvénal est dur et grossier, Horace est plein de grâces et connoît toutes les finesses de l'art: Juvénal, toujours roide, toujours guindé, n'a qu'une manière, et assomme par une monotonie fatigante; Horace a tous les tons, il prévient la satiété par des charmes tou

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jours nouveaux et fixe l'attention par une variété piquante.

Voyons maintenant avec quelles armes M. Daru a lutté contre un pareil adversaire, et applaudissons du moins à ses efforts, si nous n'avons pas souvent à le féliciter du succès: je choisis pour cet examen une des plus agréables Satires d'Horace, dont Boileau a imité plusieurs traits, celle ou le poète latin peint avec tant de grâces les charmes de la campagne, les embarras de la ville et les douceurs de l'obscurité. Je citerai d'abord le texte original, afin que l'on puisse mieux saisir les beautés et les défauts de la copie :

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« Hoc erat in votis: modus agri non ita magnus,
Hortus ubi, et tecto vicinus jugis aquæ fons,
Et paulum sylvæ super his foret, Auctius, atque
Di melius fecêre. Benè est, nihil amplius oro,

Maiâ nate: nisi ut propria hæc mihi munera faxis:

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1977 44

Si neque majorem feci ratione mâla rem,
Nec sum facturus vitio, culpâve minorem.
Si veneror stultus nihil horum: ô si angulus ille
Proximus accedat, qui nunc denormat agellum!
O si urnam argenti Fors quâ mihi monstret! ut illi,
Thesauro invento qui mercenarius agrum
Illum ipsum mercatus aravit, dives amico
Hercule: si quid adest, gratum juvat: hâc
prece te
Pingue pecus domino facias, et cætera, præter
1 Ingenium: utque soles, custos mihi maximus, adsis.
Ergo ubi me in montes et in arcem ex urbe removi,
Quid prius illustrem Satyris Musâque pedestri?
Nec mala me ambitio perdit, nec plumbeus Auster,
Autumnusque gravis, libitinæ quæstus acerbæ ».
Voici maintenant la traduction de M. Daru

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« C'étoient-là tous mes vœux; un modique domaine, Un jardin arrosé d'une pure fontaine,

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