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ses coutumes, son esprit et son caractère. J'ai ma raison, dit le comte: mais cette raison est-elle bien saine? n'est-elle point obscurcie par des passions? L'entêtement, l'orgueil, la bizarrerie, la manie de la singularité ne s'honorent-elles pas trop souvent du nom de la raison? J'ai ma raison, dit le comte, pour colorer mes folies, pour sanctionner mes travers pour autoriser mes fantaisies; mais la véritable raison, celle qui est l'attribut distinctif de l'homme, s'unit avec l'expérience pour apprendre au sage à se conformer à l'ordre, à suivre l'usage établi, à respecter les institutions et les mœurs de son pays. Souvent le novateur, le fanatique, sous prétexte d'être lui, fronde et bouleverse tout, pense à part, ne suit que ses goûts, et prétend avoir l'ame sensée. Voltaire, qui méprise tant les singes, n'est-il pas lui-même ici le singe des Anglais, peuple d'originaux, où les auteurs érigent en systèmes politiques les rêves d'une imagination déréglée; et que sont tous ces écrivains qui, sous pré texte de liberté et de philosophie, n'ont affecté de ne prendre pour guide qu'une raison égarée; que sont-ils, sinon des singes de Voltaire? J'ai cru devoir insister un peu sur cette doctrine qui me paroît propre à infecter la société d'hommes singuliers, inquiets et turbulens.

Il y a dans Nanine des choses bien écrites et des scènes touchantes; mais peu de naturel dans le dialogue, une action lente et froide, du bas comique dans le rôle de la marquise, de la plaisanterie forcée dans celui du jardinier. Le comte Olban est un personnage lourd et guindé; Nanine est langoureuse et d'une perfection fade. La baronne, femme hautaine, vio lente, emportée et qui n'a pas l'ombre de philosophie est peut-être le personnage le plus raisonnable de la pièce.

LXIX.

L'ENFANT PRODIGUE.- Préface de la Pièce.

...ON sait que les préfaces des auteurs ne sont que

des apologies de leurs défauts, et des poétiques arrangées exprès pour leurs pièces : telle est celle de l'Enfant prodigue, où l'on n'a pas épargné les exemples et les sophismes les plus spécieux pour prouver que le mélange du sérieux et du comique est tout-à-fait dans la nature. Rien, dit-on, de plus commun qu'une maison où le père gronde; la fille, occupée de sa passion, pleure ; le fils se moque des deux, et quelques parens prennent diversement part à la scène.

Il y a beaucoup d'autres choses qui se passent communément dans une maison et qui n'en sont pas moins indignes de la scène. Quoi donc, l'art dramatique consiste-t-il à transporter au thêâtre ce qu'il est commun de voir dans une maison ? la comédie ne doit-elle pas faire un choix de mœurs et d'objets dignes de son pinceau ? Le théâtre n'est-il pas asservi à une foule de convenances? c'est d'après ce malheureux sophisme de Voltaire, que des novateurs sans génie se sont flattés d'avoir reculé les bornes de l'art, en exposant aux yeux du public les plus plattes niaiseries de la vie commune; ils ont occupé le théâtre d'un valet en papillottes qui range des meubles, d'un vieux intendant qui éteint avec précaution des bougies, et qui avertit le spectateur qu'il va se coucher, et de mille autres fadaises

fort naturelles, mais encore plus insipides et plus ridicules.

On raille très - souvent dans une chambre de ce qui attendrit dans la chambre voisine. Doit-on en conclure qu'il faut rire et pleurer de la même chose au théâtre, et détruire un sentiment par un autre ? Le théâtre n'offre qu'une chambre; et c'est ce qui se passe dans cette chambre, appelée la scène, que le spectateur s'occupe ce qui se dit, ce qui se fait dans la chambre voisine lui importe peu; et il se révolteroit avec raison contre le poète qui gâteroit une situation touchante en mettant à côté la parodie: c'est une licence qu'il faut laisser aux auteurs qui s'exercent dans des genres où tout est permis. Sedaine a bien pu, dans son opéra du Déserteur, égayer par des farces les horreurs du dernier supplice; mais il ne convenoit pas à Voltaire d'ériger en loi le caprice de Sedaine. Quelquefois la même personne a ri et pleuré de la même chose dans le même quart-d'heure. Mettez cette personne-là sur la scène, elle ne fera ni pleurer ni rire ; elle se fera siffler; et si l'on rit, ce sera du poète.

Voltaire a jugé avec raison qu'une pareille doctrine avoit besoin d'être appuyée d'un petit conte pour rire, de quelque bon mot bien plaisant: rien n'est plus important que de faire rire ceux qu'on veut persuader., Ún conte pour rire est un excellent argument: cela lève toutes les difficultés, répond à toutes les obligations; un bon mot vaut mieux qu'une règle d'Aristote. Qui connoissoit mieux que Voltaire toute la puissance d'un conte pour rire, et qui savoit mieux que lui faire un conte! N'est-ce pas sur des contes qu'il a établi les preuves les plus solides de sa religion nouvelle et de ses hérésies littéraires ;. il falloit donc un petit

conte pour prouver qu'il est bon de mêler au théâtre la farce avec le pathétique.

Madame la maréchale de Noailles étoit tout en pleurs au chevet de madame de Gondrin, l'une de ses filles, très-dangereusement malade; et, dans le transport de sa douleur, il lui arriva de s'écrier: Mon Dieu, ren dez-la moi, et prenéz tous mes autres enfans! Le duć de la Vallière, qui avoit épousé une autre fille de la maréchale, étoit présent, et ne perdit pas un mot de cette exclamation ; il s'approcha avec beaucoup d'inquiétude de sa belle-mère, et la tirant par la manche: Madame, dit-il, les gendres en sont-ils ? Il avoit grand tort d'être alarmé ; il étoit évident que les gendres de la maréchale de Noailles n'étoient point compris dans cette prière, puisqu'elle n'avoit parlé que de ses enfans. On voit que le conte est fait à plaisir et n'a aucune vraisemblance': il n'en produisit que plus d'effet, si l'on en croit Voltaire. Le désespoir de la maréchale ne tint pas contre cette facétie : cette mère si désolée ne répondit à cette question si naïve de son gendre que par un grand éclat de rire: toute la famille sortit de la chambre avec elle, en riant à gorge déployée; et, ce qui tient du prodige, la malade ellemême, oubliant qu'elle étoit à l'agonie, se mit à rire plus fort que tous les autres, ce qui probablement la sauva. Qu'allons-nous conclure de cette bouffée dé gaîté, de ce rire inextinguible auprès du lit d'une mourante? Sur l'autorité d'un pareil conte, permettrons-nous aux auteurs de mêler sur la scène la bouffonnerie à la douleur la plus légitime? Je crois que la seule conclusion que l'on puisse tirer de cette farce, c'est que la douleur de la maréchale étoit fausse, que le duc de la Vallière étoit un mauvais cœur et uu

mauvais plaisant, et que la maladie de madame dé Gondrin étoit une maladie pour rire.

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Quant à Voltaire, il prend ce lazzi au sérieux, comme un des grands principes de l'art, qui veut qu'on ne donne l'exclusion à aucun genre. Si on me demandoit, dit-il, quel est le meilleur genre, je répondrois: C'est celui qui est le mieux traité. Excellente décision pour établir l'anarchie dans la république des lettres: parce qu'un auteur aura mieux fait un conte, une fable, qu'un autre une tragédie ou une comédie, il en résultera donc que le meilleur genre est le conte ou la fable? Ce sont ces traits légers et hasardés d'un bel-esprit indiscret et inconséquent, qui ont bouleversé toute notre littérature.

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Tel est l'entêtement de Voltaire pour son hérésie, qu'il la répète avec une singulière complaisance, et finit par prononcer, comme un corollaire général, ce grand axiome que j'ai déjà réfuté: Et encore une fois, s'écrie-t-il, tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux. Il y a quelque chose d'inexact dans l'énoncé de cette fameuse proposition; car, à la rigueur, il n'y a point de genre ennuyeux par lui-même ; c'est toujours la faute de l'auteur ou du lecteur, s'il est ennuyeux. Cette maxime est si destructive de toute espèce de goût et de principes, que je ne puis trop insister sur ce qui peut en démontrer la fausseté. J'observe donc encore sans craindre de me répéter, que le commun des hommes s'amuse malheureusement beaucoup trop d'impiétés, d'ordures, de calomnies, de satires personnelles et de bouffonneries; et cependant tous ces genres si amusans n'en sont pas pour cela meilleurs : tout ce qui flatte des cœurs corromputs et des esprits mal faits, ne peut être reçu et admis

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