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l'égard de Mlle. Clairon, douairière de la philosophie, trompette de la renommée de Voltaire, et qui, à ce titre, prétendoit bien, malgré sa profession de comédienne, être la plus haute et la plus puissante dame qu'il y eût à Paris: Richelieu, en l'envoyant au Fort-l'Évêque, avoit rabattu ses prétentions; il ne croyoit pas probablement que les comédiens fussent les officiers de la morale, et les organes de l'instruction publique: il n'avoit qu'une foi très-chancelante pour le progrès des lumières et tous les prétendus miracles de la secte; les philosophes, s'ils eussent été les maîtres, auroient fait de cet incrédule, le héros d'un bel auto-da-fé: malheureusement ils en étoient réduits à des malédictions secrètes : d'Alembert se consoloit de son impuissance par des injures diaboliques qu'il écrivoit à ses amis, contre le vainqueur de Mahon. Ce triste géomètre, long-temps le Trissotin de l'académie, étoit bien le plus haineux et le plus vindicatif des hommes : il étoit aussi supérieur à Voltaire en intrigue et en méchanceté, qu'il lui étoit inférieur en talent: c'est le virus même du fanatisme qui coule de sa plume dans ces lignes atroces : « Bertrand plaint très-sincèrement Raton de se croire obligé de se taire au sujet de RossinanteChildebrand. Pour Bertrand, qui n'a jamais vu Childebrand Adonis, qui ne l'a jamais cru Mars, mais au plus Mercure, il ne peut que se réjouir avec tous les honnêtes Bertrands, de voir Childebrand dans l'opprobre qu'il mérite ». L'honnête Bertrand écrivoit cela dans les premières années du règne de Louis XVI, qui commençoit dès-lors à écarter de lui ses amis, pour se livrer entre les mains des sophistes et des traîtres. Voltaire pouvoit avoir quelques sujets de plaintes contre le Maréchal; il en avoit un entr'autres,

auquel il n'étoit pas indifférent; Richelieu lui devoit de l'argent, et le payoit comme un grand seigneur de ce temps-là payoit ses dettes.

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Voltaire disoit lui-même de son héros: Il a passe sa vie à me faire des plaisirs et des niches, à me caresser d'une main et à me dévisager de l'autre ; c'est sa façon avec les deux sexes. Cependant, ni les torts du Maréchal, ni les instigations et la rage de d'Alembert, n'ont jamais pu détruire dans le cœur de Voltaire un attachement de cinquante ans : il a respecté constamment cette vieille amitié, et c'est peut-être l'un des traits les plus estimables de son caractère.

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L'Orphelin de la Chine est dédié au maréchal de Richelieu le début de l'épître dédicatoire est aimable et gracieux: voici un endroit qui me paroît touchant; le fonds de l'idée est emprunté d'Horace et de Boileau; mais le tour appartient à Voltaire. « On dira peutêtre qu'au pied des Alpes, et vis-à-vis des neiges éternelles, où je me suis retiré, et où je devois n'être que philosophe, j'ai succombé à la vanité d'exprimer que ce qu'il y a de plus brillant sur les bords de la Seine ne m'a jamais oublié. Cependant, je n'ai consulté que mon cœur ; il me conduit seul: il a toujours inspiré mes actions et mes paroles: il se trompe quelquefois, vous le savez; mais ce n'est pas après des épreuves si longues. Permettez donc que si cette foible tragédie peut durer quelque temps après moi, on sache que l'auteur ne vous a pas été indifférent; permettez qu'on apprenne que si votre oncle fonda des beaux arts en France yous les avez soutenus dans leur décadence ».

Le style de ce morceau est négligé, même un peu lourd; il n'en a qu'un plus grand air de vérité: ce n'est pas là le brillant, la légèreté ordinaire de l'auXIe. année.

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teur; c'est quelque chose de mieux, c'est de la douceur et du sentiment: il retombe ensuite dans ses préjugés et son charlatanisme; ce n'est plus l'ami de Richelieu qui parle, c'est l'orfèvre, M. Josse, 'c'est un poète tragique qui trouve qu'il n'y a rien au monde d'aussi important que des tragédies, qui soutient que le théâtre est une école de morale où l'on enseigne la vertu en action et en dialogue. Cicéron ne pensoit pas ainsi : il regardoit, au contraire, les tragédies comme ce qu'il y a de plus propre à énerver les ames: voyez ses Tusculanes il y parle en philosophe, et non pas en homme qui fait métier d'exciter les passions du peuple, sur des tréteaux.

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L'aveugle tendresse de Voltaire pour les Chinois, a deux grands motifs. Les lettres chinois n'ont point de religion, et ils ont inventé l'art dramatique : deux titres incontestables qui leur assurent le premier rang parmi tous les peuples du monde : l'auteur de l'Orphelin de la Chine est si prévenu en faveur de son art, que si on veut l'en croire rien ne rend les hommes plus sociables, n'adoucit plus leurs moeurs, ne perfectionne plus leur raison, que de les rassembler pour leur faire goûter ensemble les plaisirs purs de l'esprit. Ces plaisirs ne sont pas tout-à-fait aussi purs que Voltaire veut bien se le persuader: les sens y ont encore plus de part que l'esprit : l'histoire atteste d'ailleurs que les spectacles augmentent la férocité d'un peuple, en le familiarisant avec les horreurs et les crimes: qu'ils le disposent à transporter la tragédie, du théâtre dans la société : la scène grecque étoit au comble de sa gloire, lorsque trente tyrans donnèrent dans la ville d'Athènes la première représentation de la terreur, pièce que nos décemvirs ont remise à Paris avec tant de succès: on

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vit dans le siècle même des Sophocle et des Euripide, de beaux esprits et des philosophes se baigner dans le sang des citoyens, au nom de la patrie et du bien public: et nous venons de voir chez nous le même résultat des tragédies de Voltaire jamais le théâtre Français n'avoit été plus brillant et plus fréquenté, qu'au moment même de la révolution : l'impression produite sur les esprits par ces tragédies révolutionnaires, a été si forte, que toutes les fictions des poètes tragiques d'aujourd'hui nous paroissent fades en comparaison de ces terribles réalités qu'on juge, d'après cette expérience, à quel point le théâtre rend les hommes, sociables, adoucit les mœurs, perfectionne la raison. Le spectacle continuel des atrocités, des folies, des passions humaines parées de tout l'éclat de la pantomime et des vers, doit nécessairement produire l'effet contraire.

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G.

LXI.

Opinion de M. de Laharpe sur l'ORPHELIN DE LA CHINE.

M. DE LA HARPE regarde comme unique dans les

annales du monde l'exemple d'une nation conquérante qui se soumet aux lois de la nation conquise. Il avoit donc oublié son Horace, qui dit :

Græcia capta ferum victorem cepit.

«La Grèce vaincue triompha de son féroce vainqueur ». Rome conquérante prit les arts, la philosophie, les mœurs et les vices de la Grèce conquise. Mais cette victoire des Tartares sur les Chinois, et des

Chinois sur les Tartares, n'a aucun effet dramatique : le sort des nations n'intéresse point au théâtre; on ne s'y occupe que des individus. Cette époque de la conquête de la Chine a seulement fourni à Voltaire beaucoup de lieux communset de déclamations en vers faciles et lâches, où l'on prétend qu'il y a de l'esprit philosophique, quoiqu'on n'y trouve jamais que de l'esprit. Un auteur ne peut mettre dans ses ouvrages que l'esprit qu'il a ; et qui jamais eut l'esprit moins philosophique que Voltaire? Son principal défaut est d'être partout, et jusque dans les ouvrages du genre le plus solide et le plus sérieux, léger, superficiel, frivole et brillant partout flatteur des opinions et des folies à la mode, il séduit, il éblouit, il corrompt; et je ne sache pas que ce soit là le caractère du philosophe. Toutes les fois qu'il veut l'être, ou plutôt le paroître, ce n'est qu'un agréable déclamateur qui n'approfondit rien, qui compte pour rien la raison, la justice et la vérité, pourvu qu'il plaise aux gens du monde, et qu'il ait pour lui les passions.

Malgré son fanatisme pour Voltaire, M. de La Harpe est forcé de convenir que les amours de Gengis et d'Idamé n'ont rien d'intéressant, et que le plan de cette tragédie est mal conçu; mais il se dédommage de cette critique du plan par des éloges très-exagérés des détails et du style. Cependant le style est diffus, et les vers coulent avec une facilité assez naturelle après un exercice de plus de quarante ans; mais cette facilité de faire des vers médiocres ne fut jamais un mérite dans un poète; et quand M. de La Harpe nous assure que la verve dramatique de l'auteur de l'Orphelin, loin de paroître appauvrie ni refroidie, n'a jamais été plus vive ni plus féconde, il n'a pas sans doute espéré qu'on le croiroit peut-être ne le croyoit-il

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