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diges les plus extraordinaires, parce que ces prodiges étoient conformes à la croyance publique, et fondés sur la mythologie, espèce d'histoire poétique et religieuse qui formoit alors une autorité : Racine a tirẻ deux de ses tragédies de nos annales sacrées : il n'y mêle aucun miracle; il les traite comme des sujets purement historiques.

Depuis que les histoires de spectres et de revenaus sont reléguées parmi les contes des vieilles, de tels moyens sont absolument interdits aux poètes tragiques un esprit fort tel que Voltaire, un ennemi déclaré des superstitions, un champion toujours armé contre les préjugés populaires, donnoit un cruel soufflet à la philosophie, lorsque dans le grand siècle des lumières et de la raison, il essayoit avec un fantôme d'inspirer de la terreur à la bonne compagnie de Paris: ses livres philosophiques ont cabalé contre ses tragédies: aujourd'hui son Lusignan, son Nérestan, grâces aux clartés sublimes qu'il a répandues sur la nation, ne sont plus que des capucins, des énergumènes et des fanatiques sa Zaïre n'est qu'une sotte, une dévote embéguinée, qui, dans un galimatias moitié chrétien, moitié passionné, met ensemble Dieu et le diable, l'amour et la religion: Voltaire a été puni de sa philosophie par l'affoiblissement de l'intérêt de ses tragédies; tant il est difficile d'être à-la-fois poète et philosophe, égoïste et sensible, calculateur et pathétique : l'auteur, qui prétend accorder ainsi la folie avec la raison, le sentiment et l'enthousiasme avec lat métaphysique et la controverse ; qui, le matin, est incrédule et débauché, le soir, moraliste et superstitieux, a l'air d'un charlatan qui se moque de tout le monde, et tout le monde finit par se moquer de lui.

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Du temps de Shakespeare, tout le peuple anglais

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croyoit aux sorciers et aux revenans. L'ombre du père d'Hamlet est un des meilleurs personnages de la pièce: elle produit un effet vraiment terrible; elle vient pendant la nuit révéler à son fils des crimes cachés, son intervention est absolument nécessaire à la pièce : mais le spectre de Ninus est d'une inutilité parfaite ; il se montre en plein jour, dans une assemblée d'étatsgénéraux, contre l'usage et les mœurs des revenans qui choisissent toujours, et pour cause, la nuit et la solitude. Shakespeare a traité cette apparition en grand maître, qui connoissoit le cœur humain ; Voltaire, en écolier qui ne sait faire que du fracas : aussi l'ombre d'Hamlet est-elle encore aujourd'hui en Angleterre un spectacle qui fait frissonner même les philosophes, tandis que l'ombre de Ninus fait rire même le vulgaire. Quelle leçon pour les présomptueux! ce Voltaire si vain, si enflé de son génie, se trouve avoir moins d'art et de vrai talent qu'un poète barbare, né dans un siècle d'ignorance, et qui, sans guide et sans modèle, se livroit à une imagination déréglée.

N'est-il pas d'ailleurs très-singulier que Voltaire, si hardi dans la tragédie, ait été si timide dans l'épopée, où l'art permet et commande la hardiesse ! Comment l'auteur de la Henriade a-t-il borné l'essor de son invention à des rêves, à des allégories, tandis qu'il prodigue le merveilleux dans Semiramis? Il ne craignoit pas de se faire siffler au théâtre avec son revenant, et il appréhendoit que des fictions ne fussent ridicules dans un poëme épique, qui, selon Boileau,

Se soutient par la fable, et vit de fictions.

Le Tasse et l'Arioste ont embelli leurs poëmes du merveilleux de la chevalerie et de la magie, et leurs fables sont encore pleines de charmes pour un siècle

pro

aussi poli que le nôtre. Voltaire n'a pas osé être autre chose que raisonnable et froid dans l'épopée, et semble avoir voulu réserver pour la tragédie l'hommage de ses extravagances. Concluons qu'en général les grès d'une fausse philosophie nuisent essentiellement à la véritable poésie; l'immoralité, l'excès du luxe, les tristes calculs de l'égoïsme, les spéculations de l'agiotage, et cette religion de ceux qui n'en ont point, qui ne reconnoît d'autre Dieu que l'or, rapetissent l'esprit, dégradent l'ame, glacent l'imagination et tuent les arts du génie. C'est en vain qu'on affecte de chérir et de protéger les arts, quand on adopte les principes philosophiques qui les étouffent.

G.

LVI.

SEMIRAMIS. Détails historiques sur cette pièce.

LA tragédie de Sémiramis a subi de grandes mé

tamorphoses avant d'arriver à l'état où elle est actuellement. Il paroît que les anges de Voltaire, c'est-à-dire, M. le comte d'Argental, et surtout madame la comtesse qui avoit beaucoup d'esprit, avoient trouvé mauvais qu'Assur, entrât dans le tombeau, et que Ninias, trompé par l'obscurité, tuât sa mère à la place d'Assur : c'étoit, à leur avis, établir dans ce tombeau une espèce de colin-maillard de trois personnes qui courent l'une après l'autre sans y voir goutte. Ils proposèrent un autre dénouement que l'auteur rejeta avec la vivacité d'un poète entêté de ses idées, « O anges! s'écrioit-il, j'aimerois mieux me

jeter dans ce tombeau, que de faire tournoyer Assur à l'entour, que de faire donner de faux avis, que de replâtrer une conspiration et de la manquer, que de faire venir Assur enchaîné, que de prévenir la catastrophe et de la noyer dans un détail de faits, la plupart forcés, nullement intéressans, et dont l'exposé seroit le comble de l'ennui ».

Se peut-il que Voltaire ait ensuite adopté ce même plan dont il fait ici une critique si juste et si forte? Le mauvais succès des premières représentations de Sémiramis, le rendit sans doute plus accommodant et plus traitable, et l'amena jusqu'à faire le sacrifice du colin-maillard. « Un vraisemblable froid et glaçant, dit-il, ne vaut pas un colin-maillard vif et terrible : j'ai fait humainement tout ce que j'ai pu, et quand on est arrivé aux bornes de son talent, il faut s'en tenir là. Le public s'accoutumera bien vîte au colinmaillard du tombeau, quand il sera touché du reste ».

On voit que Voltaire aimoit beaucoup à jouer à colin-maillard avec le public, pourvu que ce fût le public qui eût les yeux bandés ; mais n'est-il pas déplorable qu'un colin-maillard soit le non plus ultrà du premier génie de l'univers, et qu'il ait trouvé dans ce jeu puéril les bornes d'un esprit divin, fait, comme chacun sait, pour régénérer le siècle? Il est vrai que le bon public s'accoutume à tout, même aux colinmaillards, quand il est circonvenu par des intrigans intéressés à le duper. On l'a long-temps laissé marcher à tâtons; mais il commence à soulever un coin du bandeau ; il aperçoit quelque chose, et cessera bientôt d'être colin-maillard.

Il est évident que Voltaire se maquoit de la postérité, si l'on en juge par la précipitation et la négligence qu'il mettoit dans ses ouvrages, et surtout par

sou extrême activité à saisir tous les petits moyens qui pouvoient en imposer au public: il visoit à l'effet du moment; il vouloit jouir de sa gloire, et attendoit tout de son siècle; sans cela il ne se seroit pas donné la peine de le flatter et de le tromper: il ne faut donc prendre que pour une mauvaise plaisanterie et une turlupinade grossière, cette phrase où il dit : « Pour mon siècle, je n'en attends que des vessies de cochon par le nez ». Il en attendoit tout autre chose; et au lieu de pessies de cochon par le nez, il s'est fait donner force coups d'encensoir......

Mais à cette époque critique des représentations de Semiramis, ce qui mit Voltaire à la torture, ce fut la menace d'une parodie sanglante qu'on devoit, dit-on, représenter à la cour. Voltaire, alors gentilhomme ordinaire du roi, se crut déshonoré ; il bouJeversa la cour et la ville, importuna tous les grands seigneurs, jeta les hauts cris: c'étoit un scandale, un opprobre. Cette parodie étoit, dans ce moment - là, Tinfâme qu'il vouloit écraser. Un homme étoit pendable pour avoir osé paródier une tragédie du sieur Arouet de Voltaire, gentilhomme ordinaire du roi. L'illustre personnage étoit à Commerci, en Lorraine, et tout malingre, lorsqu'il reçut la nouvelle de cet horrible attentat. Aussitôt il mande le roi Stanislas qui a la bonté de monter à sa chambre; il lui expose le danger auquel il est exposé le bon roi en frémit, et lui permet d'écrire à sa fille la reine de France promettant d'appuyer la lettre. Voltaire écrit ; mais n'ayant pas sous les yeux de copie authentique de cette épître, je ne puis adopter celle qu'on fit alors courir dans le public. On y prête à Voltaire un lạngage bas et rampant; on lui fait dire: Daignez considérer, madame, que je suis domestique du roi, et

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