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XLI.

ZAIRE. - Noeud de cette pièce, compare à celui

de BAJAZET.

DANS Bajazet et dans Zaïre c'est une lettre surprise

qui forme le noeud. L'auteur du Cours de littérature en a pris occasion de comparer ensemble les scènes où le soudan et la sultane reçoivent le billet fatal. Il y a beaucoup de différence dans le caractère les personnages; il y en a peu dans la situation, car Orosmane a déjà des soupçons :

Si c'étoit ce français.... quel soupçon, quelle horreur,
Quelle lumière affreuse a passé dans mon cœur!

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Il est vrai qu'il les rejette, parce qu'il est plus tendre

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et plus délicat que Roxane. La fière sultane dit, quand on lui présente le billet:

Donne: pourquoi frémir, et quel trouble soudain

Me glace à cet objet et fait trembler ma main?

Il

peut l'avoir écrit sans m'avoir offensée;

Il peut même.... Lisons et voyons sa pensée.

Voltaire n'a fait que déchiqueter et morceler ces vers, couper la phrase par des points, pour donner à son héros un plus haut degré d'agitation :

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Je frémis.

Ah! lisons; ma main tremble, et mon ame étonnée

Prévoit que ce billet contient ma destinée.

Il faut remarquer que cette question qui la portoit?

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:

est fort naturelle. Roxane n'a pas besoin de la faire; elle sait déjà d'où vient la lettre mais ce qui est tout-à-fait incompréhensible, c'est qu'Orosmane ņe fait seulement pas attention à la réponse de l'esclave, qui lui apprend que le porteur est un des chrétiens nouvellement délivrés, et qu'on l'a mis dans les fers. Il ne peut y avoir qu'un soudan de comédie qui ne se fasse pas amener à l'instant le commissionnaire pour l'interroger: il est impossible qu'un amant jaloux néglige ce moyen de s'éclaircir; mais si Orosmane agissoit comme il est dans la nature qu'il agisse, la pièce finiroit là. Voltaire a été obligé de plier le personnage à son plan, ce qui l'a jeté dans des embarras cruels. S'il avoit employé à imaginer une fable raisonnable, l'art et le talent dont il a eu besoin pour en masquer les vices, la pièce en vaudroit beaucoup mieux. M. de La Harpe ne dissimule pas l'objection; il convient même qu'elle est embarrassante quel aveu mais à force de commentaires de suppositions et d'interprétations finit par la faire évanouir, et il conclut hardiment que ce n'est pas même une invraisemblance, mais une simple difficulte que le poète a sentie, et qu'il a éludée avec une adresse qu'il faut encore admirer. C'est ainsi que M. de La Harpe juge Voltaire.

A

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1

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Le premier mouvement de Roxane, après avoir lu la lettre, est une sorte de joie d'être instruite et de n'avoir plus qu'à se venger; bientôt cette fausse tranquillité disparoît, sa fureur s'allume :

F

Qu'il meure? vengeons-nous; courez : qu'on le saisisse ;
Que la main des muets s'arme pour son supplice.

il

Cours, Fatime; sois prompte à servir ma colère.

Le reste de la scène est d'une énergie, d'une chaleur

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et d'une éloquence vraiment tragique. Roxane est sûre de la trahison, le billet est formel; Orosmane, au contraire, ne tient qu'une lettre anonyme qui ne prouve rien il ne peut recevoir de véritables lumières que du chrétien qui a fait le message; mais Voltaire lui défend de l'interroger, parce qu'il veut filer sa tragédie. Tous les discours du soudan se ressentent de cette situation fausse et forcée d'un personnage hors de la nature il ne dit pas ce qu'il devroit dire, parce qu'il n'a pas fait ce qu'il devoit faire. Après la nature, il se retourne, plus mort que vif, vers son confident, et lui dit, d'un ton presque comique et qui peut paroître niais :

Eh bien! cher Corasmin, que dis-tu ?

Il s'agit bien ici de ce que dit l'esclave Corasmin : Roxane ne s'embarrasse guère de ce que dit et pense Fatime. Corasmin étonné de se voir interpellé par son maître, répond avec une flatterie servile, et un tour plus plaisant que tragique :

Moi! seigneur,
Je suis épouvanté de cet excès d'horreur.

il

quoiqu'au fond cela ne le touche guère. En effet, n'y a pas de quoi se désespérer, même pour Orosmane; son malheur est très-douteux, et cet excès d'horreur ne seroit rien, si le pauvre soudan étoit un. homme, et s'il avoit une étincelle de bon sens. Il dit encore à son confident, de l'air le plus piteux :

Tu vois comme on me traite.

Tout ce dialogue est de la comédie, et rappetisse sin"gulièrement Orosmane. Corasmin le trouve anéantì, et

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lui en marque son étonnement, lorsque tout-à-coup le soudan, frappant du pied, sort de sa létargie par ne boutade si brusque e si violente, qu'elle en est risible; car on diroit qu'Orosmane se pique de faire voir à son confident qu'il lui reste encore de la vigueur :

Cours chez elle à l'instant; va, vole, Corasmin;
Montre-lui cet écrit; qu'elle tremble, et soudain
De cent coups de poignard que l'infidèle meure.
Mais avant de frapper... ah! cher ami, demeure;
Demeure, il n'est pas temps: je veux que ce chrétien,
Devant-elle amené... Non; je ne veux plus rien.
Je me meurs; je succombe à l'excès de ma rage.

Cet accès de frénésie est outré, et surtout déplacé, lorsqu'il n'y a point encore d'autre preuve de l'infidélité de Zaire, qu'un billet anonyme dont le soudan s'embarrasse peu de connoître l'auteur. Cependant il vaudroit beaucoup mieux savoir de qui est la lettre, et si Zaïre en est complice, que de lui faire donner cent coups de poignard à la première vue. C'est trop tôt, et il a raison de dire un moment après qu'il n'est pas temps.

Je veux que ce chrétien

Devant elle amené.

C'est un éclair de raison dans ce chaos de folies. Voilà ce qu'il doit vouloir. Lorsqu'il ajoute qu'il ne veut plus rien, son délire est complet; mais c'est un délire factice que le poète lui prête pour occuper du moins son théâtre par des extravagances, puisque la marche de l'action est interrompue.

G.

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XLII.

ZAIRE. -Examen de quelques passages de l'Auteur.

CETTE

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IETTE tragédie ne fut qu'un jeu d'esprit et même qu'une combinaison, un calcul: Voltaire venoit de faire siffler Eriphyle, pièce à fracas, qu'il ressuscita depuis sous le nom de Semiramis : ce mauvais succès lui fit juger qu'il falloit abandonner l'étonnant, le terrible, pour se jeter dans le tendre; il fit comme ces médecins, qui risquent la casse quand le séné ne leur réussit pas. La gaîté avec laquelle il parle de son plan, fait voir que dans ses romans pathétiques il. se moquoit franchement des spectateurs, et de luimême tout le premier: « Celle-ci (dit-il, à l'occasion du sujet de Zaïre, qu'il commençoit à traiter), celle-ci sera faite pour le cœur autant qu'Eriphyle étoit faite pour l'imagination. La scène sera dans un lieu bien singulier; l'action se passera entre des turcs et des chrétiens : je peindrai leurs mœurs autant qu'il me sera possible, et je tâcherai de jeter dans cet ouvrage tout ce que la religion chrétienne ́ semble avoir de plus pathétique et de plus intěressant, et tout ce que l'amour a de plus tendre et de plus cruel. Le sérail n'étoit pas au théâtre un lieu bien singulier, surtout depuis Bajazet : Voltaire a mis dans le sérail des scènes qui n'ont jamais dû ni pu s'y passer c'est en cela seul que consiste la singularité du lieu : si l'auteur de Zaïre a peint autant qu'il lui étoit possible les mœurs des turcs et des chrétiens, son pouvoir est bien borné car la

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