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Des taureaux font bien plus que gémir, quand ils sont sous un fer sacré ou non sacré, sous le glaive du prêtre ou sous le couteau du boucher; alors, ils beuglent; et comme l'a très-bien remarqué le savant auteur d'Achille a Scyros, quand c'est dans un sacrifice que beuglent les taureaux, les cris qu'ils font entendre sont des beuglemens sacrés, et non pas des gémissemens. Le second vers est vague; ce ne sont pas les taureaux gémissans qui dévoilent l'avenir, c'est l'inspection de leurs entrailles. Jocaste n'est-elle pas un peu inconséquente quand elle accorde des regards perçans à des hommes qu'elle assure ne voir goutte dans l'avenir !

Et

que de leurs festons ces victimes ornées,

Des humains dans leurs flancs portent les destinées.

C'est la même idée retournée d'une autre manière, qui n'est guère plus heureuse: ces victimes, après avoir déjà nommé les taureaux, seroit languissant même en prose. A quoi se rapportent leurs dans leurs festons? Sont-ce les festons de ces victimes? Sont-ce les festons des prêtres? Remarquez la prodigieuse affluence du pronom leur : leur demande, leurs oiseaux, leurs regards, leurs festons, leurs flammes. Quelle profusion de ce monosyllabe peu harmonieux dans un si petit nombre de vers.

Non, non,

chercher ainsi l'obscure vérité, C'est usurper les droits de la Divinité.

Comment usurpe-t-on les droits de la Divinité en cherchant l'obscure vérité? Est-ce que par hasard ce seroit un droit de la Divinité de chercher la vérité? Ce seroit un droit bien modeste la Divinité n'a pas besoin de chercher l'obscure vérité; elle est

elle-même la source de toute vérité et de toute lumière. C'est aux mortels qu'il appartient de chercher l'obscure vérité, et de ne pas la trouver; c'est là leur droit et leur apanage. Voltaire a voulu dire sans doute que prétendre connoître l'avenir, c'étoit usurper les droits de la Divinité; mais il s'est exprimé en écolier qui veut rimer avant de penser :

Nos prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense,
Notre crédulité fait toute leur science.

Jocaste est d'autant moins fondée à faire ce reproche aux prêtres, que son aventure et celle d'Edipe sont une preuve évidente de la science des prêtres. Ce qu'ils ont prédit à l'un et à l'autre arrive en effet ; les oracles des prêtres s'accomplissent, malgré l'incrédulité d'Edipe et de Jocaste. Ces deux personnages, qui déclament en vain contre les prêtres, sont euxmêmes des ignorans, des aveugles qui courent tête. baissée à leur perte, en se débattant contre leur destinée.

Il faut convenir que chez le grave Sophocle, Jocaste n'est guère plus respectueuse envers les oracles, qu'elle ne l'est chez l'auteur français; seulement elle s'exprime avec plus de justesse et de naturel: elle ne déclame point, et ne fait point de lieux communs sur les oiseaux et les taureaux. Elle prouve avec quelque vraisemblance que les oracles sont menteurs, en citant un oracle qu'on lui a rendu, et dont elle doit regarder l'accomplissement comme impossible, quoique cet oracle soit déjà accompli sans qu'elle le sache : cette témérité est regardée par les commentateurs, comme yne des causes de la punition qu'éprouve Jocaste. Le choeur blâme sévèrement les discours sacriléges de la reine : c'est un correctif pour

ce qu'ils pourroient avoir de dangereux. On pourroit dire aussi que la Jocaste française est punie, puisqu'elle est réduite à se donner la mort; mais rien dans la pièce n'indique que son irrévérence envers les dieux et les prêtres ait contribué à son malheur.. Quant au mérite particulier de ces deux vers, il est fort médiocre; le premier vers est d'un tour prosaïque et commun: Je ne suis pas ce que vous pensez. Les prêtres ne sont pas ce qu'on pense; c'est une phrase familière. Dans le second vers, le dernier hémistiche est sec et dur :

Fait toute leur science. Il me semble qu'il faudroit du moins rendre cet honneur aux prêtres, de n'en dire du mal qu'en beaux et bons vers.

G.

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XXXIX.

ZAIRE. -Invraisemblances de cette pièce.

pu

...UNE foule d'invraisemblances choquantes justifient le mécontentement du parterre. Comment ce bijou précieux, qui fonde la reconnoissance, a-t-il échapper à l'avidité des Sarrazins lorsqu'ils ont enlevé Zaire, puisqu'un vieillard, supposé presque aveugle, l'aperçoit sur-le-champ? Comment des Musulmans ont-ils pu laisser le signe des chrétiens au bras d'une fille élevée dans la religion de Mahomet? Voilà deux suppositions également absurdes et incroyables; comment une fille qui, dans la première scène, se montre si indifférente pour toutes les religions, passet-elle tout-à-coup de cette philosophie à la préférence

exclusive pour un culte si contraire à son amour; est-ce ainsi qu'on soutient un caractère? comment la passion dont Zaïre est préoccupée, ne la rend-t-elle pas plus incrédule pour une preuve de paternité aussi équivoque que celle d'un bracelet? n'est-il pas dans la nature qu'elle exige des renseignemens plus positifs, et ne reconnoisse pas sur-le-champ, pour père, un malheureux vieillard qui lui ravit son amant et lui déchire le cœur ; la grandeur du sacrifice vaut bien la peine qu'on examine un instant si c'est au devoir qu'on le fait et non pas à une erreur.

Une reconnoissance aussi brusque, aussi mal motivée, devoit donc manquer son effet sur les spectateurs; mais ce qu'il y a peut-être de plus révoltant dans cette scène, et ce que personne n'a encore observé, c'est que Lusignan, sans donner à sa fille le temps d'écouter la nature dans des momens si doux, la persécute sur la religion avec une inhumanité et une barbarie odieuses ; il n'examine point la situation de Zaïre, sa dépendance d'Orosmane; au lieu de se concerter avec elle sur les moyens de la sauver du sérail, il lui commande des mesures impraticables et dangereuses; au lieu de la consoler, il la prêche impitoyablement; il abuse de sa simplicité pour lui faire prêter un serment indiscret : c'est un capucin fanatique et non pas un guerrier généreux, et cette innocente victime qui pourroit opposer à son zèle injuste de si bonnes raisons, se laisse accabler par son tyran; il faut pour recevoir le baptême qu'elle s'expose à la mort : le père ne songe qu'à se mettre à l'abri du danger, en exigeant le secret de sa fille, et s'embarrasse peu qu'elle périsse.

Après le succès d'Edipe, Voltaire avoit donné successivement au théâtre quatre tragédies, dont trois

sifflées (*) et l'autre froidement accueillie (**); il n'alloit pas crescendo comme Racine; les beaux esprits que rassembloit alors madame de Tencins, jugèrent qu'il n'avoit point de talent pour le théâtre, et engagèrent ceite dame à le détourner d'une carrière infructueuse. Quelqu'un demandoit à Voltaire ce qu'il avoit rẻpondu à ce beau conseil : « Rien, dit-il, mais je donnai Zaïre ». La réponse même fut assez prompte, car il fit Zaïre en vingt-deux jours, et l'on s'en aperçoit Racine n'étoit pas si expéditif, il employoit deux ans à composer une tragédie; mais aussi pour la durée et la solidité, les tragédies de Voltaire sont à celles de Racine, ce que vingt-deux jours sont à deux

ans,

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Zaïre est la pièce de la multitude, des jeunes gens, des gens du monde, surtout des femmes, qui, comme on sait, ont un goût particulier pour les romans, et Zaïre n'est qu'un roman; il y a même peu de romans plus extraordinaires et moins vraisemblables ; je serois assez porté à excuser les extravagances de la fable, qui produisent de grandes beautés : le caractère d'Orosmane, par exemple, qui réunit à la fierté sau vage d'un Scythe, la délicatesse et la galanterie d'un chevalier français; il résulte de ce mélange un portrait de fantaisie qui a, pour notre nation, une beauté locale d'un très-grand prix ; la reconnoissance, toute bizarre qu'elle est, produit au moins ce combat si tragique entre la nature, la religion et l'amour.

Mais l'incident de la lettre, et la manière dont le quatrième acte est filé, me paroît si contraire à la marche du cœur, que je ne puis absolument me prê-, ter à l'illusion : tout l'intérêt de la catatrosphe est

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(*) Artémire, Mariamne, Eriphyle. (**) Brutus.

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