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disoit-il, doit être fait pour le peuple, et rien par le peuple, parce que son premier besoin est d'être gouverné, et que le plus heureux emploi qu'il puisse faire de sa force, c'est de s'en dessaisir : principe lumineux et fécond en administration comme en morale, et qui lui seul vaut plus que toutes les brillantes chimères et les billevesées romanesques du Contrat social!

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Cependant les philosophes qui avoient sur le cœur les Cacouacs, ne le calomnièrent pas moins, et suivant leur style d'alors, ils dénoncèrent comme un fauteur du despotisme, le défenseur de l'autorité établie. En vain, leur disoit-il: Lisez mes livres, et vous y verrez à chaque page que les souverains ne peuvent régner que par les lois; que gouverner les hommes, ce n'est pas les asservir; que commander, ce n'est pas jouir, mais faire jouir les autres; que les souverains sont donnés aux peuples, et non les peuples aux souverains, et que si l'autorité suprêmé est le plus grand de tous les pouvoirs, c'est la plus petite de toutes les propriétés ». Les philosophes lisoient; mais rebelles à leurs yeux comme à leur conscience, ils n'en crioient que plus fort à l'esclave et au fauteur du despotisme. Ils eurent même l'audace de se servir ouvertement de ce prétexte pour lui fermer les portes de l'académie, que ses titres littéraires leur commandoient de lui ouvrir. Ainsi l'on vit un écrivain des plus distingués et des plus utiles à sa patrie, un historiographie de France, honoré de la confiance des plus augustes personnages, et à l'éducation desquels il avoit concouru par ses écrits, refusé par une compagnie dont le monarque étoit le protecteur, pour le punir de défendre la monarchie sous laquelle il étoit né. Ainsi, suivant

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ces philosophes, on étoit esclave et coupable de lèzehumanité, quand on défendoit le gouvernement de son pays. Ainsi les seuls bons citoyens, les seuls véritables français, dignes de porter ce nom, étoient ces ennemis de toutes nos institutions, qui ne trouvoient pas de plus beau gouvernement que celui de l'Angleterre, ni de plus belle morale que celle de la Chine; ces bas valets de tous les souverains de l'Europe, qu'ils flagornoient honteusement, aux dépens de l'honneur national, pour en avoir des pensions; ces éternels panégyristes de la constitution anglaise, auxquels nous devons ce démon de l'anglomanie qui nous a si long-temps possédé, et qui a tout perdu parmi nous. Ainsi les vrais amis de l'état étoient ces conspirateurs sourds qui formoient dans l'ombre le complot de le renverser, et qui reconnoissoient de cette manière tous les bienfaits dont il ne cessoit de les combler. Mais que faut-il ici admirer le plus, ou de ces orgueilleux dominateurs qui, au nom de la tolérance, exerçoient, au sein de la république des lettres, un empire aussi tyrannique, ou de ce gouvernement imbécille qui engraissoit encore ces coupables ingrats, dont la perversité égaloit l'insolence?

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M. Moreau se consola de cette injustice en poursuivant le cours de ses travaux, en continuant de servir sa patrie par des écrits propres à maintenir les principes conservateurs de l'ordre et de la tranquillité. publique, et à la préserver de cet esprit d'inquiétude et d'innovation qui dès-lors la menaçoit de sa ruine entière. Attaché au contrôle général en qualité d'avocat. des finances, il fut chargé, sous ce rapport, de former une collection complète de tous les édits, arrets et déclarations qui avoient formé la législation française

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depuis l'origine de la monarchie jusqu'à nos jours. Plusieurs années après, son goût pour la recherche des monumens antiques le fit choisir pour former une seconde collection, celle des monumens historiques qui avoient échappés à la connoissance des plus savans compilateurs. Ces deux collections, réunies sous le nom de Dépôt des chartes et de législation, furent confiées à sa garde, sous la surveillance du ministrė Bertin, et il en parut en 1789 un premier volume in-folio, enrichi de notes historiques et critiques, dont M. Moreau fut un des coopérateurs. La révolution arrêta ce travail, mais n'arrêta pas le zèle de l'infatigable écrivain, qui fit paroître, la même année, l'Expose historique des administrations populaires, tristes avant-coureurs de nos désastres. Choisi par le gouvernement, lorsque le projet de convoquer les états généraux fut conçu, pour lui présenter le tableau de tous ceux qui avoient eu lieu dans les différentes époques de la monarchie, il s'occupa de ce soin en remettant, chaque semaine, au garde des sceaux Lamoignon, le résultat de son travail, qui, préparé dans le principe pour le conseil d'état, devint bientôt un ouvrage volumineux qu'on jugea digne de livrer au public, en lui donnant une nouvelle forme; et il parut sous le titre d'Exposition et défense de notre constitution monarchique française. L'auteur y développe les moyens de rendre utiles ces assemblées, et d'éviter les maux qu'elles avoient trop souvent produits; et, suivant son usage, il y mêle des leçons non moins utiles à ceux qui commandent qu'à ceux qui obéissent. Il y nomme le despotisme « le pouvoir qui réunit la force et l'autorité, soit sur une seule tête, soit sur plusieurs. Autorité sans force, voilà le roi; force sans autorité, voilà le peuple ». Enfin,

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il y prouve par-tout que le premier ne peut être véritablement puissant, et le second véritablement libre, que par l'amour des lois.

Nous passerons sous silence une foule d'opuscules sortis de sa plume, tantôt profonde, tantôt ingénieuse ; car tel est le mérite de M. Moreau, que l'on peut oublier, sans nuire à sa réputation, beaucoup de ses écrits qui feroient la réputation d'un autre. Souvent il se délassoit de ses pénibles occupations et de ses laborieuses recherches par des pièces de poésie, où brilloit autant de grâce et de gaîté qu'il mettoit dans ses autres ouvrages de gravité et de raisonnement, et par des chansons très-agréables qui n'ont point été oubliées, et qui prouvent qu'un homme aussi instruit, étoit encore un homme très-aimable.

M. Moreau ne fut pas moins recommandable par ses qualités personnelles que par sa plume et son savoir. Sa moralité répondit toujours à celle de ses ouvrages, et il eût rougi de démentir par sa conduite, ces principes d'ordre et d'équité qu'il défendoit par ses écrits. Ami de la paix domestique comme il l'étoit de la paix politique, sa vie privée étoit douce et facile; bon père et bon époux, il fut encore bon ami, et il oublioit les injustices qu'il éprouvoit quelquefois, par les services qu'il aimoit à rendre. Son amour pour la religion répondit à celui qu'il avoit pour l'état : elle fit surtout la consolation de sa longue retraite, et ses dernières paroles ont été les expressions de sa piété et de sa foi enfin, mort plein de jours et de travaux, il laisse un nom qui, cher à ses contemporains, doit encore passer avec honneur à la postérité.

M. Moreau, né à Saint.- Florentin, le 20 décembre 1717, est mort à Chambourci, près Saint

Germain-en-Laye, le 29 juin 1803. Il ne laisse aucune postérité mâle, et il se survit seulement dans une fille unique qu'il aimoit tendrement; double modèle de piété filiale et d'amour conjugal, et héritière d'une partie, sinon de ses connoissances, dù moins de son esprit.

XXXIV.

Sur CREVIER.

CREVIER est un des auteurs dont la renommée a eu le plus à souffrir des injustices littéraires du dix-hui tième siècle, si fécond en injustices de tout genre. Ses ouvrages parurent à une époque où le premier corps enseignant commençoit à être en butte aux sarcasmes des novateurs. L'Université de Paris étoit une de ces institutions fondamentales sur lesquelles nos penseurs dirigeoient tous les traits de leur sublime philosophie : à leurs yeux, cette école célèbre, mère de tous les génies qui avoient illustré notre littérature, n'étoit qu'un établissement gothique, reste grossier de la barbarie de nos pères. Quand on songe que c'étoit ainsi qu'ils traitoient, au mépris du bons sens, tout ce que l'autorité du temps et l'expérience des siècles avoient sanctionné pour le bien de la société française, et même de la civilisation européenne ; et quand on rẻfléchit sur ce mieux imaginaire, véritable ennemi du bien, fruit de leurs rêves et de leur extravagance, aussi chimérique que les visions d'un malade en délire, on ne sauroit éprouver qu'un sentiment profond de pitié pour toutes leurs conceptions, quelqu'éclat qu'aient

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