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actions; ce qui ne m'empêche pas de croire en Dieu et d'être aussi ami de la liberté qu'aucun philosophe.

Ce M. Malouet, avec ses injures, a rembruni mes idées; je me hâte de passer à un coopérateur plus aimable et plus gai: le voyage à Ferney, › par madame S*., est ce qu'il y a de plus amusant dans ces Mélanges: Voltaire et son amante forment la plus jolie comédie du monde : madame S*, arrive au sanctuaire de Ferney: à l'aspect de Voltaire, elle croit voir un dieu; elle éprouve les extases de Sainte-Thérèse. Cette vieille figure de singe lui paroît ravissante il n'y a pas une ride qui ne forme une grâce, son sourire est enchanteur. Il y avoit dans le salon une douzaine de personnes aussi curieuses, mais non pas aussi amoureuses que la nouvelle Sainte-Thérèse dès quelle voit une place vacante auprès du dieu, elle s'en empare prestement, et commence à lui parler d'une passion qu'elle renfer moit dans son coeur depuis quinze ans après avoir épuisé le sentiment, elle parle de M. Turgot et de M. Necker; ce qui termineroit ce premier acte un peu froidement, si madame S*., en se retirant, n'eût baisé les mains de son idole. Il semble qu'il y a un peu d'indiscrétion à vous apprendre que le dieu affectoit d'être fort souffrant, pour faire pitié au parlement dont il avoit grand peur : c'est là qu'on aperçoit l'homine.

Il ne faut pas demander si, après cette entrevue, l'héroïne a éprouvé une insomnie; le lendemain, elle şe présente chez Voltaire qui avoit une indigestion de fraises: Eh bien! vous n'en mangerez plus, n'est-ce pas? dit-elle en lui baisant la main cette caresse est répétée fréquemment et jusqu'à la satiété dans tous

les actes. Madame S*. ne fait que baiser, rebaiser, dé vorer cette main sèche, et le papa s'écrie: Voyez donc comme je me laisse faire, c'est que cela est si doux! Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce second acte, c'est que madame S*. demande à Voltaire sa bénédiction, qu'elle estime autant, dit-elle, que celle du pape; et Voltaire, au lieu de la bénir, l'embrasse.

Au troisième acte, nouvelles adorations, nouveaux baisemens de main : Voltaire veut faire le galant et baiser le pied de la dévote qui s'y oppose en l'embrassant elle obtient cette fois la faveur de coucher dans le temple: le lendemain, elle a le bonheur tant désiré de voir Voltaire après son café à la crême, le moment, dit-on, où il étoit le plus aimable; pour comble de faveur, elle est admise auprès de son lit; elle entend le bon-homme s'égayer sur Jésus-Christ et ses miracles, et prend la liberté de défendre JésusChrist, qui est, dit-elle, un philosophe selon son sœur. Vous autres femmes, répond Voltaire, vous devez prendre sa défense, il vous a si bien traitées!

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Le quatrième acte n'offre rien de nouveau qu'une promenade en carrosse, où madame S*. est assise à côté de Voltaire ce jour-là, il s'étoit fait beau; il avoit mis sa perruque et sa belle robe-de-chambre; il caressoit madame S*. de sa jolie main; c'étoit un petit maître, un adonis.

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Nous voici aux adieux et au dénonement à la tristesse d'un pareil moment se joint encore une confidence très-lugubre de Voltaire, qui dit à madame S*.:

Madame, M. Séguier est venu me voir il y a quelque temps, et à la place où vous voilà, il m'a menace de me dénoncer à son corps, qui me feroit brûler s'il me tenoit ». Madame S*. s'est écriée : « Tous les honnêtes gens formeroient une croisade pour vous

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défendre. Ah! madame, on viendroit me voir brûler, et on diroit le soir : C'est bien dommage. Excellente réponse d'un sage qui connoît les hommes!

Que madame S*. ait été amoureuse de Voltaire, c'est un exemple curieux de ce que peut l'imagination. dans les femmes. Mais M. Suard, homme d'esprit et de sens, auroit dû supprimer ces petites folies, qui ne peuvent être aujourd'hui qu'un objet de dérision pour les profanes Non erat his locus.

Il ly a un autre voyage à Ferney, d'un poète italien qui n'est pas si enthousiaste de Voltaire, et qui le juge beaucoup mieux. Les morceaux de M. Suard sont en général ceux où il y a le plus de finesse, de jugement et d'instruction j'ai remarqué dans ses Lettres du solitaire des Pyrénées, un passage trèssingulier de Saint Augustin, sur cette espèce de libéralité, qui consiste à faire de riches présens aux comédiens et comédiennes : donare res suas, histrionibus vitium est immane, non virtus; donner son bien aux histrions, c'est un vice énorme, et non une vertu. Quel barbare que ce Saint Augustin! Que ses idées sont peut libérales! Qui jamais auroit pensé que M. Suard sût si bien son Saint Augustin, et le citât si à propos?

G.

XXXI.

Esprit de madame Necker, extrait des cinq volumes de Mélanges, tirés de ses manuscrits, et publiés en 1798 et 1801; par M. B. D. V.

UN bon ouvrage suppose un bon esprit, et voilà

pourquoi les bons ouvrages sont si rares; un bon

XI. année.

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recueil des pensées d'autrui, ce qu'on appelle en un mot l'esprit d'un auteur, suppose deux bons esprits : et celui qui a produit les pensées, fait les réflexions fourni enfin les matériaux, et celui qui les a choisis, classés, distribués; cela augmente, comme on voit, beaucoup la difficulté, et voilà pourquoi il est bien plus rare encore que ces sortes d'ouvrages aient quelqu'intérêt, que ces recueils, ces esprits renferment quelqu'agrément et soient dignes de quelqu'estime. Je ne sais ici à qui nous devons nous en prendre ou de madame Necker, ou de son compilateur, je ne connoissois point les cinq énormes volumes d'où l'on a extrait celui-ci ; j'ignore donc și c'est l'un qui a miş trop peu de bon esprit dans ses compositions, ou l'autre qui en a mis trop peu dans son choix ; j'oserois croire qu'en bonne justice, il faudroit s'en prendre à l'un et à l'autre, et les condamner tous deux; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne peut guères s'empêcher de condamner l'ouvrage que nous devons aujourd'hui à tous les deux.

Madame Necker pense et nous transmet sa pensée indistinctement sur tout, sur les hommes, sur les femmes, sur les anciens, sur les modernes, sur les écrivains, et particulièrement sur ceux qui composoient sa société, sur la littérature, l'administration, la politique, sur les affections, lès sentimens, les caractères, etc. : mais elle parle des anciens sans les connoître, et elle n'étoit point obligée de les connoître,' seulement il ne falloit pas en parler; elle parle des modernes lorsqu'ils sont ses amis, avec une telle exagération d'admiration, et un enthousiasme si violent, que l'amitié même ne sauroit l'excuser, et ce qu'elle en dit lorsqu'ils ne sont pas ses amis, est en général si peu juste ou si peu piquant, qu'on nẹ

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Sauroit y trouver ni instruction ni intérêt; elle a dés,
idées subtiles, systématiques ou fausses sur la littéra-
ture, des idées le plus souvent inintelligibles sur la
'plupart des autres objets dont elle s'occupe leur
obscurité vient, tantôt du fond même de la pensée,
tantôt de la recherche et de la prétention avec laquelle
elle est exprimée. A l'exemple de son ami, M. Tho-
mas, elle veut tout peindre, rendre tout plus sen-
sible au moyen des figures et des images: mais ayant
encore moins de goût que Thomas, et surtout infini-
ment moins de talent, exagérant encore la manière
et les défauts de son modèle, elle prodigue si hors de
propos des allusions mythologiques; elle entasse, avec
si peu de choix, des métaphores extraordinaires, des
figures bizarres, et des images incohérentes, que
l'idée la plus simple paroît étrange, et la pensée la
plus claire devient obscure. Cependant, au milieu de
ces réflexions ou communes, ou fausses, ou exagé-
rées, ou tellement inintelligibles, qu'on peut à bon
droit les appeler du galimatias, on rencontre en petit
nombre des aperçus ingénieux, des sentimens vrais
des pensées justes et relevées par une heureuse ex-
pression. Il semble que de pareils fragmens qu'on
trouve ainsi jetés de loin à loin dans cet ouvrage
soient là pour attester une chose d'ailleurs incontes-
table, que madame Necker étoit une femme d'un
esprit très-distingué, tandis que tant d'autres mor-
ceaux, en bien plus grand nombre, attestent qu'il
ne suffit pas d'avoir de l'esprit pour faire un bon
livre, et intéresser les lecteurs à une longue suite de
réflexions; il faut encore premièrement ne parler que
de choses que l'on sait, et, en second lieu, avoir
beaucoup de jugement, de goût, et le talent d'écrire.
Il est bien difficile de mettre quelqu'ordre dans

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