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Voltaire et de quelques autres, en les donnant comme des signes de leur génie ; non, les caprices, les bizarreries, les défauts de caractère, n'annoncent point les dons brillans de l'intelligence et de l'imagination, ils ne les supposent point; c'est beaucoup qu'ils ne les excluent pas.

Mais disons un mot des fruits de cette imagination et de ce génie qu'on ne sauroit contester à Alfieri, et remarquons d'abord les singularités qui, toujours inséparables de sa personne, ne s'attachent pas moins aux simples opérations de son esprit qu'aux effets de son caractère. << J'ai éprouvé, dit-il, que mes facultés intellectuelles ressembloient à un baromètre.... J'étois › presqu'entièrement stupide pendant les grands vents du solstice et de l'équinoxe ; j'ai eu toujours infiniment moins de pénétration le soir que le matin ; l'imagination, l'enthousiasme et l'aptitude à inventer, ont toujours eu plus de force en moi au milieu de l'hiver, ou au milieu de l'été, que dans les saisons intermédiaires ». On conciliera comme on pourra cet enthousiasme et cette aptitude à inventer au milieu de l'été, ou de l'hiver, avec cette stupidité pendant les solstices. Les transports frénétiques qui avoient marqué plusieurs de ses actions, ne l'abandonnent point dans ses compositions; il avoit mis à la marge du premier acte de son Alceste: écrit avec une fureur maniaque et en versant des larmes, et il nous apprend qu'il composa avec la même fureur les quatre actes suivans, et même le morceau de prose qui sert d'éclaircissement. Je crois que s'il avoit fait l'affiche, il l'auroit faite avec fureur. Ses préventions et ses jugemens littéraires ne sont pas moins injustes et moins passionnés que ses jugemens et ses préventions sur tous les autres objets. Il avoue qu'il ne sait pas notre

langue, et il lui prodigue toutes sortes d'injures; it appelle la langue de Corneille, de Racine, de Voltaire, de Bossuet, de Massillon, mesquine, désagréable nasale et même anti-toscane : reproche vraiment singulier! Il dit qu'il n'entend rien à notre littérature, et il ajoute avec un mépris bien ridicule qu'il ne veut rien y entendre; et il oublie que ce sont cependant nos bonnes tragédies qui lui donnèrent le goût des compositions dramatiques; il oublie qu'ailleurs il les juge très bonnes quant aux passions, à la conduite, aux pensées; enfin, il oublie qu'il est tout-àfait injuste de juger, comme indigne de son attention, ce qu'on avoue ne pas entendre.

Je ne l'imiterai point dans cette injustice: je ne jugerai point ses ouvrages, que je ne connois pas assez; je présumerai volontiers leur mérite d'après la haute réputation qu'ils lui ont acquise; et pour faire encore plus ressortir ce mérite, je dirai un mot des grands obstacles qu'Alfieri a eu à surmonter, et du prodigieux travail auquel il a dû se soumettre pour acquérir cette réputation, et composer ce nombre étonnant d'ouvrages qui la lui ont faite. Cet homme, que nous avons vu courant de ville en ville, san's réflexion, sans utilité, sans profit, et avec le seul but de se fuir lui-même, et d'échapper à cette humeur impétueuse et sauvage qu'on appellera, si l'on veut, de la mélancolie, mais qui est bien certainement une fâcheuse maladie et un malheureux défaut d'organisation; cet Alfieri, errant et vagabond dans sa jeunesse, au sortir des études à peu près nulles qu'il avoit faites dans son enfance, étoit par conséquent le plus ignorant des hommes. A vingt-six ans, il ne connoissoit pas sa propre langue; il ne savoit pas assez de latin pour expliquer les fables de Phèdre; il ne savoit pas

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même lire le grec; il ignoroit les langues modernes, et étoit par conséquent étranger à toutes les littératures. C'est à cet âge, et avec ce caractère qu'il entreprend de recommencer son éducation il assujettit cet esprit dissipé et indomptable, aux travaux les plus longs, les plus pénibles, les plus fastidieux; il fit sur sa propre langue des études immenses, et que ne concevront pas ceux qui s'imaginent que la routine seule et l'usage suffisent à chacun pour apprendre sa langue maternelle : et moins encore ceux qui, étrangers à l'idiome italien, ne connoissent ni sa richesse, ni sa variété, ni l'altération que le langage primitif, tel qu'il avoit été adopté et fixé par les premiers grands écrivains, a reçu et reçoit chaque jour des différens dialectes, et des auteurs sans nombre et sans goût qui le corrompent de plus en plus, Ce fut dans les premiers écrivains, et surtout dans le Dante, son poète favori et son modèle, qu'Alfieri étudia la langue italienne: il porta dans l'étude de la langue latine la même ardeur, la même constance, la même opiniâtreté; il lut jusqu'à deux ou trois fois tous les auteurs latins les plus célèbres, poètes, orateurs, historieng; il en traduisit plusieurs, soit en prose, soit en vers; entr'autres, Salluste, Térence, Virgile. A l'âge de quarante-neuf ans, il entreprit l'étude du grec, et s'y adonna avec cette extrême vivacité que son caractère portoit partout; il lut et il traduisit les écrivains grecs, et surtout les poètes dramatiques, comme il avoit lu et traduit les auteurs latins, et se passionna tellement pour le premier des poètes grecs et de tous les poètes, qu'il institua un ordre en son honneur, et se créa lui-même chevalier d'Homère. Je ne parle point de ses études sur l'hébreu.

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A ces travaux de patience et d'érudition, Alfieri oignoit ceux de la pensée et du génie; et se livrant à tous avec une excessive ardeur, il fut dans ceux-ci, comme dans les autres, d'une grande fécondité ; il fit des sonnets, des épigrammes, des canzoni, des odes, des satires, des poëmes; enfin, ce qu'il appelle lui-même un déluge de poésies. Il n'écrivoit guère moins en prose. Mais de tous ses ouvrages, ceux à qui il doit principalement sa renommée, ce sont ses poëmes dramatiques. Il a fait dix-neuf tragédies et six comédies. Les Italiens eux-mêmes ne sont pas d'accord sur le mérite de ces ouvrages; il est probable que là, comme ailleurs, les admirateurs l'exagèrent, et les détracteurs le diminuent. On sait qu'Alfieri a fait quel ques innovations dans l'art dra matique, et qu'il a prétendu à la gloire de fonder parmi les modernes une nouvelle école. Il a voulu ramener la tragédie à la simplicité grecque. Une de ces innovations est d'avoir supprimé les confidens, personnages froids, et qui rendent souvent l'action languissante, et de leur avoir substitué des monologues; moyen qui, lorsqu'il est employé trop fréquemment, a bien ses inconvéniens aussi, entr'autres, celui de n'être pas très-conforme à la vraisemblance. « A des confidens froids, » dit M. Geoffroi, Commentaires sur Racine, jugement sur la Thébaide, tome I, page 179; à des confidens froids, il substitua des déclamations encore plus froides et bien moins naturelles; car les princes ont toujours des favoris qui les gouvernent, et rarement ils ont le ridicule de parler seuls. Du reste, ajoute le même critique, Alfieri a donné à sa langue un caractère de vigueur qui sembloit lui être étranger; il l'a vengée du reproche d'être molle et lâche. Imitateur du Dante, il

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affecte la précision, l'énergie; son dialogue est serré et nerveux ; il a de grandes et fortes idées, des tirades pleines de verve et de chaleur ; et ce qui marque surtout le talent, il a presque toujours créé des situations, inventé de nouveaux motifs dans les sujets anciens qu'il a traités; il a refait à sa manière la plupart des tragédies grecques, et dans toutes on' reconnoît des beautés qui n'appartiennent qu'à lui. Nos auteurs qui n'ont pas une tête pensante, et dont l'imagination est stérile, ont trouvé dans Alfieri un homme très-commode qui les dispensoit du tra-' vail de l'invention ». On peut encore voir dans le même ouvrage, jugement sur Bérénice, pag. 671,' les réflexions judicieuses du commentateur sur l'Octavie d'Alfieri.

Je terminerai cet extrait en répondant à une objection qu'on pourroit me faire. Est-il permis, me dirat-on, de juger aussi sévèrement la mémoire d'Alfieri, d'après un écrit qu'il n'a pas publié lui-même : et doit-on se servir contre lui des armes fournies par lui et à son insu? Sans doute, si son intention étoit que ces armes nous fussent livrées, que cet écrit fût publié. Or, la contexture entière de ses Mémoires prouve que tel étoit son dessein. C'est ainsi, quoi qu'on en ait dit dans un journal, que , que d'Alembert doit être impitoyablement jugé d'après sa correspon→ · dance avec Voltaire, et que son caractère est responsable de tout ce qu'elle offre de cynique, d'odieux, de révoltant. En vain son apologiste veut confondrecette correspondance avec des lettres confidentielles surprises à celui qui les avoit écrites dans l'épanche- ́ ment de l'amitié. Ignore-t-il donc toutes les précautions que d'Alembert a prises pour conserver ce bel ouvrage au public? Eh quoi! il aura multiplié les

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