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poëme auquel il avoit travaillé à Berlin alloit paroître ; et tout annonçoit une persécution d'autant plus redoutable qu'elle étoit juste.

Le Conseil des Délices décida qu'on enverroit à Paris M. Collini, pour tâcher de conjurer l'orage dont on étoit menacé. Il reçut de pleins-pouvoirs, et se mit en route avec une jeune dame de Florence, très-jolie, et séparée de son mari. L'auteur passa quelques jours fort agréables; mais la dame quitta bientôt son compagnon de voyage pour se jeter dans le grand monde; et M. Collini s'occupa librement de la négociation dont il étoit chargé. Il n'eut pas beaucoup de peine à réussir plusieurs hommes puissans protégeoient M. de Voltaire, et cet orage ne fut que passager.

Peu de temps après son retour aux Délices, M. Collini tomba dans la disgrâce de M. de Voltaire. Trois causes décidèrent son éloignement. Madame Denis faisoit une tragédie à l'insu de son oracle; M. Collini étoit son confident; et les confidences secrètes que co travail exigeoit donnèrent de l'humeur à M. de Voltaire. Cette circonstance, dit l'auteur, ne l'auroit pas obligé de quitter les Délices, si son étourderie n'y en eût ajouté d'autres plus graves. Comme on l'a vu, M. Collini avoit un goût particulier pour les femmes séparées de leurs maris. Une dame qui avoit ce malheur, s'étoit retirée à Genève; M. de Voltaire, protecteur des belles opprimées, la recueillit chez lui. Le jeune Florentin en devint amoureux, elle répondit à cette passion; et leur liaison ayant été découverte, elle fut obligée de retourner à Genève. Tout cela n'auroit point encore enlevé à M. Collini la confiance de M. de Voltaire; mais un dernier tort décida sa disgrâce. Madame Denis surprit une lettre que le secrétaire écrivoit à une demoiselle d'une ville voisine; elle y étoit nommée, et l'on se

permettoit des plaisanteries sur elle. Irritée de cet outrage, elle demanda à son oncle le sacrifice de son indiscret secrétaire : vainement celui-ci chercha-t-il à obtenir sa grâce; madame Denis demeura inflexible, et M. Collini fut obligé de quitter les Délices, sans perdre cependant l'amitié de M. de Voltaire, qui le récompensa avec générosité.

La disgrâce de M. Collini lui fut avantageuse. Après avoir été quelque temps chargé de l'éducation d'un jeune seigneur autrichien, il eut le bonheur, sur la recommandation de son ancien patron, d'être placé à une cour d'Allemagne, comme secrétaire et historiographe ; ce qui lui procura enfin un état fixe, et lui facilita les moyens de se livrer à son goût pour les lettres. Les ouvrages qu'il composa alors sont peu connus; nous n'en avons appris les titres que par la notice qui précède les Mémoires de M. Collini.

On voit que l'auteur ne donne qu'un petit nombre de détails intéressans. Il parle trop de lui, et pas assez de l'homme célèbre qu'il paroît avoir voulu peindre. Il est plus heureux dans quelques descriptions qui caractérisent fort bien l'économie fastueuse de M. de Voltaire. Un des tableaux les plus curieux est celui qu'il fait du théâtre où le poète essayoit ses pièces. On sait que M. de Voltaire ne cessoit de s'extasier sur ce théâtre, qu'il en parloit dans presque toutes ses lettres, et qu'il s'élevoit continuellement contre la mesquinerie des décorations du Théâtre Français. La description de M. Collini donnera une idée de la magnificence de ce spectacle:

« Voltaire étoit loin, dit-il, d'apporter aux représentations qu'il donnoit lui-même de ses pièces, la pompe qu'il exigeoit des comédiens. Il déclamoit sans cesse contre la mesquinerie de nos théâtres, et les sien

étoient même au-dessous de la simplicité. Voici la description sommaire de ce qu'il fit arranger à Tourney: Les châssis des coulisses étoient couverts d'oripeau en clinquant et de fleurs de papier; le fond représentoit des arcades percées dans le mur. Au lieu de frises, on voyoit un drap sur lequel étoit peint en couleur cannelle un immense soleil ». Joignez à cela les talens des acteurs, dont quelques-uns suisses, et vous aurez une idée de ces spectacles si vantés dans les lettres de M. de Voltaire.

Le volume de M. Collini est grossi d'un grand nombre de lettres inédites. Presque toutes manquent d'intérêt on ne pourroit excepter qu'une correspondance très-courte, relative à un point de l'Histoire de Louis XIV, sur lequel M. Collini ne s'accordoit point avec M. de Voltaire. Les autres lettres ne roulent que sur des affaires de ménage, et ne devoient être considérées que comme des billets auxquels on n'attache aucune importance. Il est possible d'en juger par cette instruction que M. de Voltaire donnoit à son secrétaire:

« Il faut que Loup fasse venir du gros gravier, qu'on en répande, et qu'on l'affermisse depuis le pavé de la cour jusqu'à la grille qui mène aux allées des vignes. Ce gravier ne doit être répandu que dans un espace de la largeur de la grille. Les jardiniers devroient avoir déjà fait deux boulingrins carrés à droite et à gauche de cette allée de sable, en laissant trois pieds à sabler aux deux extrémités de ce gazon, comme je l'avois ordonné........ Je prie M. Collini de renvoyer les maçons au reçu de ma lettre, ils n'ont plus rien à faire; mais je voudrois que les charpentiers pussent se mettre tout de suite après le berceau du côté de la brundée. Il faut que les domestiques aient grand soin de remuer les

marronniers, d'en faire tomber les hannetons, et de les donner à manger aux poules

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Voilà certainement des détails bien peu dignes de la postérité. Si M. de Voltaire se fût douté que plusieurs années après sa mort on auroit imprimé de pareilles lettres, il est probable qu'il auroit moins pardonné cette indiscrétion, que quelques torts envers madame Denis.

Nous avons dit que M. Collini faisoit toujours l'apologie de M. de Voltaire, et qu'il cherchoit à le justifier sur tous les points. Il est curieux d'examiner comment il s'y prend, lorsqu'il parle de l'impiété du philosophe:

Il parloit avec liberté, dit M. Collini, de la religion dont les ministres l'avoient persécuté; mais il pensoit que l'on doit du respect à toutes celles qui sont autorisées par les lois. Il n'aimoit point l'intolérance religieuse, politique et littéraire. Sa correspondance avec le cardinal de Bernis, l'abbé Moussinot, l'abbé Prevost, le P. Menou, prouve qu'il respectoit les ministres des autels lorsqu'ils n'étoient pas des instru mens de persécution. S'il passa quelquefois les bornes de la prudence, c'est qu'il y fut forcé par de misérables, querelles, dont il n'étoit jamais le provocateur; si on l'avoit laissé vivre tranquille, il n'auroit jamais écrit cet amas de pièces peu édifiantes ».

Sans nous arrêter à la contradiction qui exista si constamment entre les écrits de M. de Voltaire, et les principes que lui suppose ici M. Collini, faisons quelques observations sur ces ministres des autels pour lesquels il avoit tant de respect: il n'eut avec le cardinal de Bernis que des liaisons de société, et dans sa vieillesse il rejeta les salutaires conseils de ce prélat. On peut voir par leurs lettres imprimées, que le philosophe respectoit l'homme en place, et non le

prêtre. L'abbé Moussinot étoit chargé d'affaires de M. de Voltaire à Paris ; et ce dernier, loin de le respecter, lui donnoit ses ordres très-lestement. L'abbé Prevost n'avoit d'un prêtre que le nom : il voulut pour de l'argent faire l'apologie de M. de Voltaire; mais le philosophe, sans l'estimer beaucoup, refusa ses services intéressés. Le P. Menou n'eut de relations avec lui que pour éprouver ses sarcasmes et ses calomnies. Voilà donc ces ministres des autels pour lesquels on nous disoit que M. de Voltaire avoit tant de respect! Il faut, après cet examen, laisser M. Collini assurer qu'on suscita à son patron de misérables querelles, parce qu'on voulut réprimer sa licence et son impiété; il faut lui laisser dire que les ouvrages anti-religieux de l'auteur du Dictionnaire philosophique ne sont que peu édifians: on sait à quoi s'en tenir sur tout

cela.

Ces Mémoires sont écrits avec une certaine naïveté d'expression et de sentiment, qui les fait lire sans fatigue. Le style n'en est pas très-correct; mais on doit excuser un Italien qui a passé une grande partie de sa vie en Allemagne, s'il ne parle point la langue française avec pureté. Le titre de ce livre le fera rechercher; et il sera mis au rang de ces brochures qui amusent un moment, mais qu'on ne lit pas deux fois.

P.

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