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leur fortune; et l'exemple d'Algarotti devoit séduire un jeune italien qui n'avoit d'autre titre qu'un goût passionné pour la littérature. M. Collini, enthousiasmé de cette idée, mais ne sachant quels moyens employer pour la mettre à exécution, se rappela très-heureusement qu'il avoit vu à Florence une signora dont la sœur, connue sous le nom de la Barberina, étoit danseuse de l'Opéra de Berlin, et passoit pour jouir d'un grand crédit. Il écrivit à cette signora, ainsi qu'à ses parens. L'une lui envoya une lettre de recommandation pour la danseuse; les autres, approuvant son projet, lui firent passer une lettre de change pour les frais de son voyage. M. Collini alla donc chercher fortune à Berlin.

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La Barberina le reçut fort bien, et promit de s'occuper de lui il apprit d'elle les moyens qu'on avoit employés pour l'attirer en Prusse. Rien de plus singulier que ces détails: M. de Voltaire n'a fait que les indiqner dans ses Mémoires.

Mile. Barberina dansoit sur l'un des théâtres de Venise. Le roi, instruit de ses talens, chargea son ministre de l'engager pour Berlin. Elle fit une réponse verbale que le ministre regarda comme un consentement. Cependant la danseuse vivoit avec un Anglais qui s'opposa tant qu'il le put à ce projet, et qui vouloit la ramener à Londres. Elle penchoit pour ce parti, et refusoit de signer son engagement. Le ministre de Prusse la fit enlever de force, et elle fut conduite à Berlin par des soldats. Le roi, malgré cette manière un peu violente d'attirer les talens à sa cour, la reçut fort agréablement; et l'un des ministres lui présenta un engagement où ses appointemens étoient en blanc, et devoient être fixés par elle. La Barberina eut la modestie de ne demander

XI. année.

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d'abord que dix-huit mille livres, et, s'il faut en croire M. de Voltaire, elle obtint par la suite une augmentation de quatorze mille livres. Ainsi cette danseuse, suivant ce dernier, touchoit à elle seule plus que trois ministres d'État ensemble.

M. de Voltaire arriva alors à Berlin, pour y jouir d'une faveur aussi grande qu'elle fut courte. Le jeune Florentin forma aussitôt le projet de s'attacher à un homme si célèbre. Mais comment parvenir jusqu'à lui? M. Collini devoit à une danseuse l'agrément dont il jouissoit à Berlin; il espéra qu'une cantatrice pourroit lui procurer ce qu'il désiroit avec tant d'ardeur. Mlle Astraa, à laquelle il fut présenté, promit de parler de lui à M. de Voltaire : elle s'acquitta de cette commission, et parvint, au bout d'un an, à faire recevoir son protégé en qualité de secrétaire. M. Collini, au comble de ses veux, se livra au travail qui lui fut imposé. Ses principales fonctions étoient de copier des ouvrages commencés, des pièces fugitives, et d'écrire des lettres sous la dictée; dans d'autres momens, il lisoit des auteurs italiens. M. de Voltaire s'occupoit alors du poëme de la Loi Naturelle, de l'Orphelin de la Chine, du Siècle de Louis XIV, et du quatorzième chant d'un poëme qu'il n'osoit encore montrer. M. Collini ne donne aucun détail sur ces différens ouvrages. Il dit seulement qu'on les lui fit copier plusieurs fois. Il parle en même temps du Dictionnaire philosophique.

« Il faut placer à cette année, dit-il, le projet du Dictionnaire philosophique, qui ne parut que long-temps après. Le plan de cet ouvrage fut conçu à Postdam; j'étois chaque soir dans l'usage de lire à Voltaire, lorsqu'il étoit dans son lit, quelques morceaux de l'Arioste ou du Bocace. Je remplissois avec

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plaisir mes fonctions de lecteur, parce qu'elles me anettoient à même de recueillir d'excellentes observations, et me fournissoit une occasion favorable de m'entretenir avec lui sur divers sujets. Le 28. septembre, il se mit au lit fort préoccupé; il m'apprit qu'au soupé du roi, on s'étoit amusé de l'idée du Dictionnaire philosophique ; que cette idée s'étoit convertie en un projet sérieusement adopté, que les gens de lettres du roi et le roi lui-même devoient y travailler de concert, et que l'on en distribueroit les articles, tels qu'Adam, Abraham, etc. Je crus d'abord que ce projet n'étoit qu'un badinage; mais Voltaire, vif et ardent au travail, commença dès le lendemain ».

Il est évident que l'idée du Dictionnaire philosophique n'avoit été qu'une plaisanterie, car le roi de Prusse n'ordonna pas de s'en occuper. Mais M. de Voltaire, qui crut voir dans ce sujet les moyens de tourner en ridicule toutes les idées religieuses, s'empressa d'y travailler. Cela peut faire juger avec quelle maturité de réflexion il entreprenoit ses ouvrages. M. Collini ajoute gravement: « Ce fut toujours à cette activité et au libre emploi de son temps que nous devons ce nombre prodigieux d'ex. cellens ouvrages, dont une foible partie suffiroit pour établir la réputation d'un seul homme ». Il résulte de cette réflexion que M, Collini regardoit le Dictionnaire philosophique comme un excellent ouvrage : l'auteur se contredira bientôt, quand il díra que M. de Voltaire eut toujours beaucoup de respect pour les religions établies.

M. Collini ne jouit pas long-temps de la tranquillité qu'il avoit trouvée à Postdam. Cette cour de philosophes se divisa; et la haine la plus violente

anima les deux partis l'un contre l'autre. M. Collini ne rapporte que ce que tout le monde sait sur les querelles de Maupertuis et de Voltaire. Le résultat fut la disgrâce du dernier; il commença par quitter la cour, et obtint ensuite avec beaucoup de peine la liberté d'aller prendre les eaux de Plombières.

Son fidèle secrétaire le suivit; ils s'arrêtèrent à la cour de Gotha, où ils travaillèrent aux annales de l'Empire. M. Collini paroît avoir eu beaucoup de part à cet ouvrage. De Gotha, ils passèrent à Francfort, où ils furent arrêtés. Cette aventure est connue et M. Collini n'y ajoute que des détails peu intéressans. Cependant il cite deux traits de violence, échappés à M. de Voltaire, qui méritent d'être rapportés.

Après avoir obtenu sa liberté, M. de Voltaire aperçut dans un corridor voisin de sa chambre un homme qui avoit prêté main-forte pour l'arrêter : il soupçonna qu'on venoit l'espionner ; transporté de fureur, il saisit un pistolet, et se précipita vers cet homme. M. Collini, heureusement, se jeta sur M. de Voltaire, et lui retint le bras. Cet emportement manqua de faire arrêter de nouveau les voyageurs ; le secrétaire de la ville se chargea de l'affaire, qui n'eut pas de suite.

L'autre histoire est beaucoup moins tragique ; nous laisserons parler M. Collini: « Le libraire Vanduren vint un matin présenter un mémoire pour des livres qu'il avoit remis à Voltaire, treize ans auparavant. Vanduren ne put lui parler, et me laissa le compte. Voltaire le lut, et trouva que la somme demandée étoit pour des exemplaires de ses propres œuvres ; il en fut outré. Le libraire revint dans l'après-dinée; mon illustre compagnon de voyage et moi nous nous

promenions dans le jardin de l'auberge. A peine aperçoit-il Vanduren, qu'il va à lui plus rapidement que l'éclair, lui applique un soufflet et se retire. C'est la seule fois que j'aie vu Voltaire frapper quelqu'un. Que l'on juge de mon embarras. Je me trouvai tout-à-coup seul, vis-à-vis le libraire souffleté. Que lui dire? Je tâchai de le consoler de mon mieux; mais j'étois tellement surpris, que je ne sus rien trouver de plus efficace que de lui dire qu'au bout du compte, ce soufflet venoit d'un grand homme ».

Il est douteux que cette consolation ait eu beaucoup d'effet sur Vanduren. Il étoit dans la même situation que Sosie, lorsque Mercure, après l'avoir battu, lui dit :

Et les coups de bâtons d'un Dieu

Font honneur à qui les endure,

et probablement il répondit à M. de Collini, dans le même sens que le domestique d'Amphitryon :

Ma foi, monsieur le Dieu, je suis votre valet:
Je me serois passé de votre courtoisie.

M. Collini partagea encore quelque temps la vie errante de son patron: jouissant de toute sa confiance, il étoit son factotum. Après s'être arrêté alternativement dans plusieurs endroits de l'Alsace, M. de Voltaire ne pouvant obtenir la permission de reparoître à Paris, passa dans le pays de Vaux, où il se fixa. La maison de sur Saint-Jean, qu'il appela les Délices, devint célèbre sous ce nouveau nom, et les pélerinages des enthousiastes du philosophe commencèrent. Mais M. de Voltaire ne jouit pas long-temps du repos qu'il s'étoit promis; et ce nouvel orage fut causé par sa faute, ainsi que tous ceux dont il avoit souffert jusqu'alors. Le

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