Billeder på siden
PDF
ePub
[ocr errors]

à combien plus forte raison ne devra-t-on pas se tenir en garde contre les récits d'un personnage qui raconte des événemens dans lesquels il a joué un rôle, qui peint des passions auxquelles les siennes se sont mêlées? N'est-il pas probable qu'un tel hommẹ présentera toujours comme le plus juste, comme le plus utile le parti qu'il aura embrassé; comme les plus vertueux et les mieux avisés les gens avec lesquels il aura été lié? Trompé par ses préventions, s'il est honnête; trompant pour l'intérêt de son amourpropre, s'il manque de moralité; habile à exagérer les fautes de ses adversaires, adroit à pallier les siennes, il est difficile que, même avec l'intention d'être vrai, il ne sente pas sa plume s'arrêter presque malgré lui, lorsqu'il s'agira de faire connoître la véritable cause d'un événement, en dévoilant ou ses foiblesses ou ses turpitudes: il faut alors ou garder le silence, ou mentir, et c'est ce dernier parti qu'on prend presque toujours. Quel homme est jamais convenu, dans des mémoires, d'être parvenu à ce qu'il désiroit obtenir, par des méchancetés et des bassesses dont il est cependant hautement accusé ? Quelle femme jetée dans le vaste champ de l'intrigue, ne repousse pas avec indignation l'idée qu'elle ait pu venir à bout de ses desseins par des galanteries qui sont cependant connues de tout le monde? Le mot fameux de Mlle. Delaunay: « Je ne me suis peinte qu'en buste, » peut être appliqué à tous ceux qui écrivent des mémoires.

рц

Cependant on ne peut disconvenir que de semblables ouvrages, lorsqu'ils ont pour objet de grandes époques et des personnages célèbres, ne soient souvent fort intéressans, et n'aident à démêler une foule de causes secrètes, et souvent bien misérables, des

événemens les plus importans. Un esprit judicieux sait se dégager facilement des petites passions qui ont dirigé l'écrivain, et s'emparant du fait qu'il raconte, juge à-la-fois l'auteur et ses personnages, et parvient à travers la mauvaise foi ou les préventions, à éclaircir beaucoup de points historiques dont les causes avoient été jusques-là douteuses et même inexplicables. C'est surtout dans les mémoires que l'on peut apprendre à connoître les misères et les profondeurs du cœur humain; et souvent l'auteur luimême, qui prétend dévoiler les passions et les foiblesses des autres, devient l'exemple le plus frappant de ce que peuvent produire les foiblesses et les passions.

Il n'est pas nécessaire de dire que ces réflexions ne doivent s'appliquer qu'aux mémoires historiques. Eux seuls peuvent faire naître cet intérêt puissant: et tout homme qui s'avisera de raconter des aventures étrangères aux événemens publics, ne peut espérer de produire d'autre impression que celle qui résulte d'un roman bien ou mal fait, moral ou licencieux, avec cette différence que le romancier plat ou libertin n'inspire que du mépris et du dégoût, tandis que l'auteur de mémoires, qui ose publier des actions qui devoient rester secrètes, diffamer des particuliers pour des fautes qu'il n'appartient point au public de juger, et que la probité défend de lui faire connoître, en se rendant aussi méprisable que le romancier, excite de plus la haine et l'indignation.

[ocr errors]

Si ce que nous venons d'avancer est fondé; s'il est vrai que l'honneur et la probité défendent de révéler au public des actions particulières, quelque coupables qu'elles soient, du moment qu'elles ne troublent point l'ordre et qu'elles sont indépendantes de l'action des Iois; si les femmes dont les vertus sont, par leur

nature, obscures et sans récompense publique, ont surtout le droit d'exiger que leurs foiblesses, leurs vices même soient enveloppés d'une égale obscurité, quel cri ne doit pas s'élever contre un homme qui a conçu et exécuté le projet de tirer de l'oubli auquel elles étoient à jamais condamnées, une foule d'anecdotes scandaleuses qui compromettent et les hommes et les femmes dont il faisoit sa société la plus intime, qui diffament les noms les plus respectables, qui outragent la mémoire des maîtres qu'il servit et qui le comblèrent de bienfaits, et tout cela, sans intérêt, sans but, sans pouvoir alléguer le moindre motif raisonnable?

Tel est le caractère du misérable recueil qui vient d'être imprimé sous le titte de Mémoires de M. le baron de Besenval, et c'est avec un vif plaisir que nous avons vu l'opinion publique, qui l'eut accueilli avec avidité il y a quinze ans, le repousser aujourd'hui avec indignation. La manière dont elle s'est prononcée à ce sujet nous dispense entièrement de prouver que cet ouvrage est indécent, scandaleux; peutêtre même nous serions-nous abstenus d'en parler, s'il ne nous avoit fait naître quelques réflexions qu'il n'est malheureusement que trop facile de généraliser et d'appliquer à tant d'autres livres qu'ont produits le même siècle et les mêmes erreurs.

Ces mémoires offrent, autant qu'aucun autre ouvrage enfanté par le philosophisme moderne, des exemples bien frappans du malheureux état auquel est réduit un esprit qui juge des choses de la terre en rejetant toute croyance de celles du ciel, et qui se composent une prétendue morale circonscrite dans une vie qu'il regarde comme l'unique fin de l'homme. M. de Besenval, qui ne croit à rien, qui se rit de

[ocr errors]

»

tout, qui se moque, chaque fois que l'occasion s'en présente, des préjugés, du fanatisme, de la superstition, etc.; qui appelle le temps de la Régence un temps charmant, où « régnoit, à la vérité, le libertinage le plus effrené; où les hommes n'étoient occupés qu'à augmenter authentiquement la liste de leurs maîtresses; les femmes qu'à s'enlever leurs amans avec publicité; où les maris étoient forcés de tout souffrir, sous peine de se couvrir du plus grand ridicule; mais pendant lequel la société gagnoit en gaîté ce qu'elle perdoit du côté des mœurs, ce qui, selon lui, étoit bien préférable. Ce même M. de Besenval, par une contradiction qui semble d'abord inexplicable, fait des mœurs et du caractère de madame de Luxembourg le tableau le plus affreux, le plus révoltant; entre même dans des détails qu'une plume décente se refuse à transcrire, et semble alors oublier que ce qu'il blâme en elle est justement ce qui lui paroissoit si gai, si séduisant lorsqu'il examinoit les mœurs en général. Pour rendre cette inconséquence encore plus frappante, il raconte, quelques pages plus bas, avec complaisance, avec approbation, une anecdote plus scandaleuse, plus révolante mille fois que toutes les turpitudes dont il accuse madame de Luxembourg. Il s'agit d'un infâme traité conclu entre une jeune personne et ses deux amans, pour qui elle éprouvoit le même penchant, et qu'il étoit cependant impossible qu'elle épousât tous les deux : il fut convenu, pour en finir, que les deux prétendans tireroient au sort, et que celui qu'il auroit favorisé, devenu l'époux, s'engageroit à supporter l'autre auprès de sa femme en qualité d'amant. « Le traité fut exécuté, dit M. de Besenval, avec une fidélité et un bonheur pour tous

trois, que rien ne put troubler. Quelques années après, le mari étant mort, celui qui étoit resté amant épousa la veuve; ils vécurent fort long-temps ensemble, et n'éprouvèrent d'amertume que celle de

la

perte d'un ami dont ils ne se consolèrent jamais ». Il ajoute ensuite : « Ce qui me feroit douter de la vérité de cette histoire, c'est qu'il est difficile de croire que le hasard ait rassemblé trois personnes d'un sens aussi droit, aussi profondes dans la connoissance de la juste valeur des choses, et si fort dégagées des préjugés

».

Sans doute il est permis de s'étonner qu'un homme qui affiche de semblables principes, et qui applaudit de telles infamies, ose trouver la conduite de madame de Luxembourg répréhensible; mais, en y réfléchissant, il n'est pas très-difficile de se rendre compte de cette apparente contrariété. Ce n'étoient pas ses mœurs qui lui sembloient mauvaises, mais le trop grand éclat qu'elle leur donnoit. Tel étoit l'esprit de ce siècle dépravé, parvenu à un tel degré d'abrutissement moral, que toutes les actions y étoient indifférentes, et que le blâme ne tomboit que sur le plus ou le moins de publicité des déréglemens.

Par une autre inconséquence moins facile à justifier, M. de Besenval attaque les philosophes. Le passage est curieux, et nous le citerons en entier :

[ocr errors]

Il y a, je le sais, des choses encore à réformer ; mais la pire est la licence des philosophes, espèce d'hommes qui, joignant des études heureuses à des bouffées d'indépendance et de rebellion, apportent dans la société l'abus des connoissances. L'orgueil fait la base de leur caractère, et l'égoïsme est leur maxime fondamentale. Voltaire est leur patriarche et les dédaigne: ils ont adopté le mépris qu'il affiche

« ForrigeFortsæt »