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les choses, que de démentir tout ce que les autres ont avancé, et de dire non partout où ils ont dit oui!

Jusqu'ici tout le monde avoit admiré madame de la Vallière ; et son nom, sa vertu, ses malheurs ont fait tout récemment la fortune d'un ouvrage qui n'a pas eu le don de plaire à madame Gacon - Dufour, quoiqu'il fasse doublement honneur à son sexe. Tristement retranchée dans son dédain, seule elle s'obstine à mépriser un caractère consacré par l'admiration universelle. Trente-six années d'une vie douloureuse, écoulée dans les larmes, et les doux accens de cette colombe gémissante dans la solitude, n'ont pu désarmer l'inflexible rigueur de madame Dufour. Cependant les moralistes les plus sévères se sentoient touchés ; ils oublioient, ils pardonnoient des foiblesses trop communes, que des vertus si rares couvroient de leur éclat; et puisqu'enfin le ciel ne demande qu'un repentir, des hommes ne croyoient pas avoir le droit d'être plus rigoureux et plus inexorables que lui il n'y a que madame Gacon-Dufour que rien ne puisse fléchir. Et comment, en effet, se flatter d'adoucir son cœur? Ce qu'elle blâme dans la conduite de madame de la Vallière, ce qui excite son mépris, ce qu'elle ne lui pardonnera jamais, ce ne sont pas ses foiblesses : le dirai-je ? C'est sa pénitence même. Elle l'accuse de n'avoir pas eu le courage de la faire publiquement; en sorte que quitter le monde et la cour, s'arracher à tous les objets de son attachement, s'enfermer dans un monastère, s'y consacrer solennellement à la retraite, ce n'est pas faire une pénitence publique ; et ce grand sacrifice, prolongé jusqu'au terme de la vie, ne prouvera ni force, ni constance, ni grandeur d'ame! Disons-le, car on ne le devineroit jamais, le grand crime de madame de la Vallière est

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de n'avoir pas eu, comme les favorites du dernier siècle, le caractère énergique

De ces femmes hardies,

Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix,
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.

Aussi madame Gacon - Dufour lui reproche-t-elle d'avoir été trop foible pour se mêler des affaires de la monarchie. C'est là, au contraire, le grand mérite qui distingue, à ses yeux, madame de Châteauroux ; c'est ce qui en fait son héroïne sa haute ambition l'éblouit, son esprit d'intrigue la ravit en admiration. Elle ne se contente pas de l'excuser, elle soutient qu'elle est louable de s'être livrée sans amour, par des vues d'agrandissement, et d'avoir échangé l'honneur délicat de son sexe contre l'honneur plus brillant de gouverner l'État. Je respecte assurément la liberté des opinions; mais il est permis de dire que bien des honnêtes femmes se tiendroient pour déshonorées, si elles croyoient avoir mérité de pareils éloges.

J'ignore dans quelle source on a puisé cette Correspondance inédite dont on publie aujourd'hui la seconde édition : l'éditeur ne s'est pas mis en peine d'en prouver l'authenticité, et je ne me mettrai pas en peine de la combattre. Je pourrois montrer par des raisonnemens très justes et très - solides, que cette production n'auroit pas dû réussir; mais je ne veux pas ressembler au médecin de Zadig, qui après que son œil fut guéri, fit un livre pour lui prouver qu'il n'auroit pas dû guérir. Ce genre d'ouvrage, vrai ou supposé, réussit toujours par le scandale. C'est le plus facile et le moins glorieux des succès ; c'est aussi le moins durable, parce qu'il n'est fondé que sur une curiosité passagère. L'intérêt qu'inspire cette lec

ture tient quelque chose du roman, et prend sa source dans la variété des aventures et la vivacité des pas sions; mais l'ouvrage ne se recommande point aux âges éloignés par cette maturité de style qui donne la force et la vie aux grandes compositions.

que

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Quoi qu'il en soit de la vérité ou de la fausseté de ces lettres, on ne peut nier le caractère de madame de Châteauroux n'y soit peint sous des couleurs naturelles, et que ce caractère n'offre plusieurs traits dignes de remarque. On voit une jeune femme, vive et passionnée, mais qui n'avoit de chaleur que dans la tête, maîtresse de ses désirs et de ses penchans, comme on le seroit dans la vieillesse la plus expérimentée; sage par le cœur, mais corrompue par l'esprit, et plus aveuglée par de faux principes, qu'elle n'auroit pu l'être par la plus ardente jeunesse ; on voit, dis-je, cette femme courir d'elle-même et de sang-froid au-devant de la séduction, s'égarer par les calculs profonds d'une ambition sérieuse et réfléchie, perdre ses mœurs sans passion, prétendre enfin chercher la gloire par les mêmes chemins qui conduisent les autres femmes au déshonneur. Tel est le spectacle singulier que présente la vie de madame de Châteauroux. Nulle femme n'a trouvé plus d'obstacles à se corrompre ; nulle n'a été avertie par des exemples plus frappans, et plus rapprochés de ses yeux; nulle, enfin, n'a été mieux défendue par son naturel ; et il a fallu, pour se perdre, qu'elle désirât, qu'elle cherchât son malheur avec plus de peine que les autres n'en ont à l'éviter.

Je laisse à reconnoître dans ce plan de conduite, l'ascendant visible de cet esprit qui enseignoit à braver toutes les bienséances, et l'influence de cette immoralité profonde et calculée qui se glorifioit de ses vues

encore plus que de ses excès. Après que madame de Châteauroux se fut vouée à tous ces noms flétrissan par lesquels l'honnêteté publique se vengeoit de ses pareilles, elle se croyoit au faîte de la gloire; elle ne parloit plus que d'illustrer la France et d'immortaliser son règne : tel étoit l'oubli ou le mépris de la décence, qu'elle s'applaudissoit avec éclat, et que se amis la louoient hautement d'avoir perdu son honneur, dans la vue de faire réussir des plans de guerre, de finances et de commerce, dont les inventeurs rêvoient tout haut le bonheur du peuple, et tout bas le projet de leur fortune.

Il n'est pas impossible que, dans cette exaltation d'idées, il ne soit entré quelque chaleur de sentiment; et je reconnois que le caractère de madame de Châteauroux n'étoit pas sans force et sans noblesse. Mais, pour juger de l'utilité réelle et de la véritable gloire de ses conceptions, il suffit de considérer que son ignorance dans les affaires, l'exposoit à être la proie des intrigans, ou le jouet de ses propres illusions, suspendue entre ces deux abîmes d'une confiance aveugle', ou d'une téméraire présomption.

De toutes les entreprises qu'elle favorisa, la plus éclatante fut celle de MM. de Belle-Isle; mais elle manqua de prévoyance lorsqu'il falloit proportionner les ressources aux difficultés, et de courage, lorsqu'il s'agit d'en réparer le malheur : le siècle n'étoit pas mûr pour ces grands desseins, et il attendoit pour les accomplir des mains plus fortes et plus habiles. Madame de Châteauroux tourna avec la fortune, et blâma, contre sa conscience, un plan que l'événement seul avoit condamné et que l'honneur devoit absoudre. Elle périt bientôt elle-même après quelques jours d'une faveur brillante et rapide, qui ne XI. année.

II

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lui avoit pas même donné la douceur de voir un de ses projets réalisé. Sa mort est représentée, dans ses lettres, sous les couleurs les plus noires, comme l'exécution d'un complot qui n'est point dans le caractère de notre nation. Tant de personnes avoient intérêt à la perdre ou à la conserver, que sa mort soudaine n'a pu paroître un événement naturel aux yeux de la haine ou de l'amour. Mais, soit que le chagrin de ses proches en ait enfanté le soupçon, soit qu'on l'ait insinué à dessein pour rendre cette correspondance plus intéressante, on n'a pas besoin d'avertir les hommes sages de n'accueillir de telles insinuations qu'avec la plus juste mesure de circonspection et de défiance. Z.

XXIII.

Memoires de M. le baron de Besenval.

NOTRE langue est riche en mémoires historiques ;

femmes cèlèbres, grands capitaines, habiles ministres, intrigans de cour, une foule de gens de tout état, de tout caractère, ont laissé de semblables matériaux plus ou moins bien écrits, plus ou moins importans, presque toujours agréables et curieux, rarement dignes d'une grande confiance. S'il est si difficile de trouver une impartialité complète dans les jugemens des hommes, s'il est peu d'historiens qui méritent une entière croyance, même lorsqu'ils ont écrit des faits étrangers à leur siècle et à leur patrie; enfin s'il est vrai de dire qu'on ne peut lire les auteurs de ce genre les plus graves, Tacite lui-même, qu'avec quelque méfiance,

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