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C'est par le bon sens que Chrysale brille; et il n'y a peut-être pas dans les livres des philosophes modernes, un mot aussi sage, aussi profond que celui-ci :

Raisonner est l'emploi de toute ma maison,

Et le raisonnement en bannit la raison.

Sur le déclin de la monarchie, le royaume de France étoit véritablement devenu la maison de Chrysale; raisonner étoit l'emploi non seulement des sophistes de profession, mais de tous les gens du beau monde on s'enfonçoit dans les épines de la métaphysique; on se tourmentoit pour deviner l'origine des sociétés; on calculoit l'âge du monde; on discutoit sérieusement les articles du contrat de mariage des souverains avec les républiques; on faisoit l'histoire d'un état de nature qui n'avoit jamais existé; on épluchoit les droits des gouvernemens ; on remuoit toutes les bases de l'autorité civile; toutes les colonnes sur lesquelles repose l'ordre social étoient si bien sappées par toutes ces belles dissertations, qu'elles sont tombées au premier souffle des harangues anarchiques y a-t-il une folie qui ne soit beaucoup plus sage qu'une pareille raison? Règle générale; voulez-vous embrouiller la question la plus simple et la plus claire, obscurcir une vérité sensible et palpable? mettez-là en délibération, ouvrez les débats, écoutez les opinions pour et contre; à force d'analyser, de discuter, de raisonner, de métaphysiquer, vous serez tout surpris de ne plus rien entendre au fonds de la question, et si vous voulez résumer ces sophismes contradictoires, le résultat sera une erreur grossière: voulez-vous vous trom

:

vous la

per sur la nature d'une maladie, voulez rendre plus maligne? faites une consultation d'un grand nombre de médecins.

G.

JE

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E me propose d'analyser aujourd'hui une des plus belles et des plus fortes scènes des Femmes savantes. On y voit un homme d'esprit et de sens, un homme du monde, opposé à un misérable pédant gonflé d'orgueil, et dont la science a doublé la sottise naturelle : c'est-là qu'on sent bien l'ascendant qu'une raison vigoureuse, une ame honnête, un esprit juste et droit, ont nécessairement, sur un charlatan qui fait métier de tromper les sots par un vain babil, et qui n'a d'autre éloquence que celle des sophismes et des jeux de mots. Clitandre, qui ne se donne ni pour un savant, ni pour un homme de lettres, écrase par la dignité de son ton et de ses manières, par la finesse de ses plaisanteries, par le naturel, la vérité et la force de ses raisons, ce Trissotin, ce Tartuffe d'esprit et de science, qui n'est au fonds qu'un ignorant et un sot.

Cette race des Trissotins est plus multipliée qu'on ne pense ; d'heureuses circonstances l'ont fait prospérer et pulluler au point qu'on en rencontre de quelque côté qu'on se tourne; et presque tous sont en bonne posture. J'appelle Trissotin tout homme qui se fait admirer par un faux bel esprit, ou qui l'admire luimême dans les autres, qui sans goût, sans littérature, sans talens, se croit un savant très-utile et très-im

?

portant à l'état, parce qu'il affecte d'adorer les arts et qu'il a quelques connoissances physiques et mathématiques, qui remplacent chez lui le sens commun : j'appelle Trissotin tout homme qui, pour avoir fait de très-mauvaises études dans les pamphlets de Voltaire et les paradoxes de Rousseau, se prétend un philosophe consommé dans la morale et la politique, quoiqu'il n'en ait pas même les élémens; un homme dont tout le savoir se compose des principes faux, des systèmes dangereux qu'il a recueillis des clubs et des tribunes, qui déraisonne dans les salons, sur le commerce, la législation, les finances; qui ne rève qu'inventions, découvertes, plans, systèmes, projets; qui croit que c'est là l'essentiel, et qui compte pour rien les mœurs, l'économie, la prudence, la probité et l'harmonie sociale : enfin peut-on en conscience refuser le titre de Trissotins modernes à tous ces fanatiques entêtés de leur grimoire, farcis de calculs, de méthodes, de formules, de problêmes; à tous ces enthousiastes des sciences naturelles, physiques et mécaniques, qui s'imaginent que le salut de la république est dans leurs herbiers, dans leurs alambics, dans leurs coquilles, dans leurs machines, et qui regardent avec mépris les sciences bien plus importantes qui nourrissent l'ame, dirigent les mœurs, nous éclairent sur nos devoirs, sur nos vrais intérêts, et nous apprennent l'art de vivre, le premier de tous les arts?

Le Trissotin de Molière ouvre la troisième scène du quatrième acte en entrant d'un air empressé, comme s'il apportoit la nouvelle d'une grande victoire ou d'une révolution dans le gouvernement; il annonce à Philaminte, la principale femme savante, qu'un monde a passé la nuit près de notre terre, et que s'il

l'eût heurtée en chemin, il n'eût pas manqué de la briser comme un verre. Voltaire qui lui-même n'étoit pas exempt de pédantisme sur l'article des sciences, donne raison à Trissotin, d'après la théorie des comètes, aujourd'hui plus perfectionnée. Cependant qui est-ce qui a peur des comètes? On sait que c'étoit un ridicule de Maupertuis; personne n'ignore qu'aujourd'hui même il y a un astronome qui égaie le public par la gravité et l'emphase avec laquelle il l'avertit des phénomènes célestes, sans même que personne lui demande son avis. Trissotin, en dépit de la théorie des comètes, n'est pas moins ridicule de venir ainsi sonner l'alarme : il l'est encore davantage par le précieux et la recherche de son style. Descartes faisoit alors tourner toutes les têtes : les femmes se passionnoient pour ce sublime visionnaire, comme elles se passionnent aujourd'hui pour une actrice. La fille de madame de Sévigné, aussi pédante que sa mère étoit aimable, étoit une intrépide cartésienne, et avoit trouvé par-là le secret de n'être qu'une sotte avec beaucoup d'esprit : on mettoit dans ces discussions physiques, un jargon tantôt obscur et emphatique, tantôt trivial et familier. Voiture entrant un jour à l'hôtel de Rambouillet, au moment où l'on s'entretenoit de quelques taches qu'on croyoit apercevoir dans le soleil, répondit.plaisamment à ceux qui lui demandoient quelles nouvelles il y avoit dans le monde : Il court de mauvais bruits du soleil. Socrate, grand philosophe et très-bon esprit, se moquoit des sophistes et des badauts qui cherchoient ce qui se passe dans le soleil et dans la lune, et qui ne se connoissoient pas eux-mêmes: ôtez de l'astronomie ce qui est utile à la navigation, le reste n'est qu'un objet d'amusement et de curiosité: peut-être

même le genre humain n'a-t-il pas de quoi s'applaudir qu'on ait tant perfectionné la navigation, Lucien, le plus bel esprit de son temps, dans une jolie petite fiction intitulée: Icaromenippe, du genre de Micromegas et de Scarmentado, se moque de toutes les sottises que les philosophes débitoient sur la lune,

Philaminte, qui se trouve auprès de Clitandre, est fort mal à son aise, et n'ose se livrer à son enthousiasme scientifique devant un si cruel railleur; ello dit à Trissotin:

Remettons ce discours pour une autre saison,
Monsieur n'y trouveroit ni rime, ni raison;
Il fait profession de chérir l'ignorance,
Et surtout de haïr l'esprit et la science.

Philaminte est ici l'écho de tous les novateurs, de, tous les intrigans, de tous les enthousiastes qui ne peuvent répondre aux sages qu'en les calomniant: ceux qui s'élèvent contre l'abus des sciences et le charlatanisme des faux savans, ne font point profession de chérir l'ignorance; mais ils sont persuadés que l'ignorance vaut beaucoup mieux qu'un faux, savoir, qu'une demi-instruction, que des systèmes. nuisibles à la tranquillité et aux mœurs ceux qui se moquent des athénées, des cours, des bureaux d'esprit, de tous ces réduits où le mauvais goût s'assemble pour applaudir le mauvais goût, ne haïssent point l'esprit et la science; c'est au contraire parce qu'ils aiment et qu'ils estiment le bon esprit et la véritable science, qu'ils ne peuvent souffrir ces triomphes de l'esprit faux, cette forfanterie de doctrine, cet étalage d'un pompeux jargon qui en impose aux simples et donne à des sciences utiles l'appareil mystérieux des.

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