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désarment le critique, parce que si elles ne sont pas d'une utilité évidente, elles ne peuvent pas du moins avoir de mauvais effets. Le luxe règne aujourd'hui dans l'éducation comme dans tout le reste le goût des superfluités brillantes y domine; il s'est introduit même dans les maisons les plus sévères. A force de vouloir rendre l'éducation douce et facile, on s'est jeté dans beaucoup d'inutilités : le nécessaire offre moins d'attraits et plus de difficultés; on a cherché dans des illusions agréables le. supplément des objets solides qu'on abandonnoit ; on a cru que pour atteindre le but de l'éducation il suffisoit d'apprendre quelque chose, sans s'embarrasser de ce qu'il falloit apprendre : pourvu qu'on sache danser, il n'importe guère, en effet, de savoir l'orthographe; pourvu qu'on connoisse quelques notes de musique, il n'importe guère de savoir sa langue; pourvu qu'on ait retenu quelques termes de grammaire générale, est-il nécessaire d'avoir étudié la grammaire particulière? Parmi ces nombreuses inutilités, il y en a de dangereuses; ce sont celles qui tendent à fausser les esprits, à leur donner une mauvaise direction, où celles qui ne semblent avoir pour but que d'inspirer les goûts les plus frivoles; il en est d'autres qu'on doit regarder comme indifférentes, et dont la jeunesse peut, sans péril, goûter les agrémens. Il y a sans doute quelque danger à ce qu'une demoiselle devienne une danseuse trop brillante ou une trop parfaite musicienne; mais il n'y a pas d'inconvénient à ce qu'elle apprenne de M. Jauffret à connoître les fleurs des différentes saisons d'après des gravures élégantes et des descriptions bien faites ces fruits ne sont pas empoisonnés, et le serpent n'est pas caché sous ces fleurs.

M. Jauffret est un des auteurs qui ont le plus

travaillé pour l'enfance; il s'est emparé de la succession de Berquin; et soit qu'on approuve ce genre d'instruction consacré au premier âge, soit qu'on le rejette, on doit reconnoître que les ouvrages de M. Jauffret ne renferment que les meilleurs principes, et ne respirent que la morale la plus pure. Quelques-unes de ses entreprises ont pu n'être pas à l'abri de la critique sous d'autres rapports, mais on n'a jamais eu rien à lui reprocher à cet égard; et on lui rend cette justice d'autant plus volontiers, qu'il est un des écrivains qui, chacun selon la nature de son talent, ont le plus suivi l'impulsion de leur siècle. Ainsi lorsque la tendresse des mères pour leurs enfans fut poussée jusqu'à l'aveuglement, lorsqu'elle devint une espèce de folie, au moment où la mollesse de la maison paternelle sembloit préparer ou suivre la ruine de l'instruction publique, où les enfans traitoient leurs pères comme des camarades, et leurs mères comme des servantes, M. Jauffret publia les Charmes de l'Enfance et les Délices de l'Amour maternel, ouvrage dans lequel les mères sont représentées comme des espèces de folles toujours en admiration ou en adoration devant leurs enfans, et les enfans comme de petites divinités auxquelles on ne sauroit prodiguer trop d'encens et d'hommages. L'auteur n'écoutoit alors que son imagination, sans réfléchir que le sentiment même le plus louable devient vicieux lorsqu'il tombe dans l'excès ; mais du moins c'étoit un sentiment louable qu'il flattoit, et ses peintures comme ses principes n'étoient en eux-mêmes rien que d'innocent. Lorsqu'il établit par souscription des promenades autour de Paris; lorsqu'il conduisit dans un file de voitures et au bruit des fanfares, ses auditeurs à Saint-Cloud, à Meudon, etc., pour leur faire, avant et après le dîner,

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des discours sur la nature, il mérita d'obtenir une place dans l'histoire parmi les hommes qui, par leur conduite, ont le mieux marqué l'esprit de leur siècle ; mais, après tout, ces promenades se bornoient à un diner dans un lieu agréable, et à deux sermons dont les auditeurs profitoient plus ou moins: cela pouvoit paroître un peu ridicule; mais des promenades ne sauroient, je crois, avoir un but plus moral.

La même pureté de vues et de principes se retrouve dans le dessein de l'ouvrage qu'il publie aujourd'hui : en annonçant que les jeunes abonnées recevront fort souvent des romances ou des couplets sur les airs les plus connus et les plus récens, M. Jauffret ajoute qu'un père et une mère, que des ariettes souvent inconvenantes effarouchent avec raison, pourront par ce moyen adapter de nouvelles paroles à une musique harmonieuse, et les entendront avec plaisir, chanter à leur fille. C'est pousser la sévérité de la morale aussi loin qu'elle peut aller, et plus loin sans doute que beaucoup de parens ne semblent le désirer; car ils conduisent leurs filles aux spectacles où elles apprennent ces mêmes airs que M. Jauffret veut purifier par de nouvelles paroles; et en les apprenant, elles retiennent les paroles sur lesquelles ils ont été faits, et dont il est bien mal-aisé qu'elles les séparent dans la suite.

Les deux contes dont l'auteur a enrichi ce premier cahier, intitulés : l'un, les Deux petits Miroirs, l'autre, le Bonheur de l'Innocence, sont du genre le plus enfantin; le dernier est imité de l'allemand: c'est une description détaillée avec toutes les minuties du pinceau germanique, des petits jeux et des petites actions d'un enfant du premier âge; cet enfant est le plus beau des enfans; c'est une peinture idéale, telles

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que les Allemands les aiment, et comme on en trouve beaucoup dans Gessner qui a poussé ce goût jusqu'à l'excès. Je conseillerois à M. Jauffret de choisir des tableaux plus rapprochés de la nature : les jeunes personnes auxquelles il s'adresse ont naturellement l'imagination un peu romanesque : elles sont assez disposées à se remplir l'esprit de visions et de chimères; elles ont une sensibilité vive qui les porte à voir les choses tout autre qu'elles ne sont, et qui les fait souvent tomber dans bien des mécomptes. Les ouvrages qui tendent à réprimer et à régler cette sensibilité sont les meilleurs à mettre entre leurs mains ceux qui sont capables de l'exalter sont plus nuisibles qu'utiles à leur éducation. On peut appliquer ici ce que dit Fénélon dans son Traité de l'Education des Filles, touchant la lecture des romans, et relativement à un âge plus avancé : « Elles se rendent l'esprit visionnaire, en s'accoutumant au langage magnifique des héros de roman; elles se gâtent même par - là pour le monde car tous ces beaux sentimens en l'air, toutes ces passions généreuses, toutes ces aventures que l'auteur du roman a inventées pour le plaisir, n'ont aucun rapport avec les vrais motifs qui font agir dans le monde et qui décident des affaires, ni avec les mécomptes qu'on trouve dans tout ce qu'on entreprend. Une pauvre fille, pleine du tendre et du merveilleux qui l'ont charmée dans ses lectures, est étonnée de ne trouver point dans le monde de vrais personnages qui ressemblent à ses héros : elle voudroit vivre comme ces princesses imaginaires qui sont dans les romans, toujours charmantes, toujours adorées, toujours audessus de tous les besoins. Quel dégoût pour elle de descendre de l'héroisme jusqu'au plus bas détail du ménage!

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En général, il règne depuis long-temps parmi nous une affectation et une hypocrisie de sensibilité qui a tout dénaturé; on ne rève que sentimens et que chi→ mères; les esprits amollis et efféminés s'égarent dans des idées aussi vaines que séduisantes; la plupart de ces petits livres composés pour l'éducation des enfans, ont tous une teinte romanesque et fausse; on ne les y entretient presque que d'une perfection imaginaire ce sont de petits modèles accomplis de bienfaisance, de tendresse, d'amabilité qu'on met sans cesse sous les yeux; Berquin même a imaginé un petit Grandisson. J'avoue que j'aimerois mieux des contes plus grossiers et mieux adaptés à la nature humaine toutes ces inventions si délicates me paroissent plus propres à fausser l'esprit des enfans qu'à leur former le cœur. La vérité des sentimens tient plus qu'on ne pense à la justesse des idées et à la rectitude du jugement.

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Le premier conte, intitulé les Deux petits Miroirs, me semble avoir plus de naturel et de vérité; cependant je dois avouer que la moralité m'en paroît un peu trop puérile. Les deux miroirs sont les deux yeux d'une mère, où une jeune personne doit chercher sans cesse des marques d'approbation ou de désapprobation, suivant lesquelles il faut quelle règle sa conduite. Il n'étoit pas nécessaire, je crois, de faire un conte pour donner cette leçon aux demoiselles ; les plus petites filles la savent avant de l'avoir apprise : l'instinct de la nature les porte à faire usage de ce moyen; la réserve et la crainte qu'inspire toujours la présence d'une mère suffisent pour le leur enseigner : il y en a peu d'assez légères pour le négliger, et il est excellent pour prévenir toutes les fautes que les yeux d'une mère peuvent éclairer; mais ces fautes

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