Billeder på siden
PDF
ePub

XVII.

Discours d'une Mère à son Fils, sur les avantages

CROIRE

du Calcul.

ROIRE en secret qu'un éloge flatteur,
Sera le prix d'une noble entreprise,

C'est un penchant qu'en vain l'on se deguise;
Mais trop compter sur ce frivole honneur,
Ne fut jamais (je le dis sans humeur)
Le vrai moyen de compter sans méprise;
Il n'en est qu'un qui soit exempt d'erreur,
Je le saisis, et l'on s'en formalise!
Jeune Villiam, venez, écoutez-moi,
Car c'est à vous que ce discours s'adresse :
De l'abréger, je vous fais la promesse,
D'en profiter, faites-vous une loi.

Tandis

que satisfaite, et peut-être un peu fière,
Je veux, de mes progrès, dans une étude austère,
Vous prouver la rapidité,

Pourquoi ne jetez-vous qu'un regard irrité
Sur les sages mortels qui, dans cette carrière,
Me conduisent en sûreté :

Etrangère long-temps à leur société,

Je l'avouerai, de leur abord sévère,
Pour mon Villiam je mʼalarmai;
Mais an moment, ils parurent lui plaire,
Dès ce moment je les aimai,

Et l'inconstant bientôt leur fit un crime,
(Le croiroit-on ?) de ma fidelité.

Hélas! depuis vingt ans, je sais qu'enfant gâté,
D'enfant unique est parfait synonime ;
Mais j'ignorois, (et j'en aurois frémi ),
Qu'un fils osoit, n'eût-il ni sœur ni frère,
Se déclarer, des amis de sa mère,

Le plus implacable ennemį.

O Villiam! souviens-toi, dans ton humeur altière,
D'un romain que jadis la vengeance égara ;
Rien n'avoit pu fléchir sa superbe colère;
Il entendit sa mère, et sa haine expira;
Je connois dès long-temps tes plaintes insensées,
L'ennuyeux Ozanam, et le triste Besout
Absorbent, dis-tu, mes pensées,

Les muses que j'ai délaissées,

Me rappellent en vain dans le temple du goût,
Y songe-tu, mon fils? Il est un temps pour tout.`
Jadis la rose enchanteresse,

Captivoit mon hommage au jour de mon printems,
Et dans l'automne de mes ans "

Un arbre utile m'intéresse.

Hélas! si je les fuis, ces rives du Permesse, Où j'aperçois des fleurs que je n'ose cueillir, Tu dois, en me louant de ce trait de sagesse,

Me permettre enfin d'accueillir

Les vrais consolateurs de ma triste vieillesse.
Ah! ce mot est affreux, il t'afflige, mon fils;
Mais, ingrat, tu m'osois accuser d'inconstance!
Et j'ai dû me venger, il n'importe à quel prix.
Oui, j'aimois à rimer, et j'ai bien souvenance
Qu'au temps de ma première enfance,
Dans ma tête, un beau jour, ce talent se trouva,
A cinquante ans il s'en alla :

Entre un poète et moi, telle est la différence;
Soumise à mon destin que je n'ai pu fléchir,
J'ai brisé sans effort un luth foible et timide:
Que n'ai-je, en le perdant, l'espoir de me saisir
Du compas ferme et sûr de l'immortel Euclide;
Mais un travail plus simple occupe mon loisir ;
Je veux compter: si ce plaisir
N'est pas brillant, il est solide;
Cher Villiam, j'ai dû le choisir,
Et voudrois le donner pour guide
A l'homme né pour réfléchir.

Le temps que je consacre à méditer les nombres,

XIe. année.

9

Souvent à mes pensées lui-même vient offrir
De sa rapidité l'utile souvenir :

Hélas! c'est un éclair qui se perd dans les ombres.
Vois-tu ces jeunes voyageurs,

Foibles et chancelans sous des yeux protecteurs,
Former les premiers pas de leur pélerinage?
Ils commencent ensemble un pénible voyage,
Ensemble au but fatal ils n'arriveront point,
Et chacun à son tour va s'arrêter au point
Où le glaive inhumaîn l'attend à son passage:
Tous en seront frappés; vieillard, jeune homme, enfant.
Eh bien! celui d'entr'eux qui doit en expirant

Compter des jours mortels le plus long assemblage,
De dix printemps à peine aura vu le feuillage,
Qu'il pourra dire en soupirant:

On ne voit pas dix fois le quarré de son âge.
Heureux, encore heureux, en quittant ce rivage,
Si la vertu sévère a veillé sur ses pas;

Mais l'homme parfait, le vrai sage,

Parut-il jamais ici-bas?

Je ne sais, mais le ciel qui pour nous fut avare
D'un mortel trop semblable aux dieux,

Ne le réserve pas sans doute à nos neveux :

Ce qu'on nomme parfait en tout point est si rare,
Que le monde, tout vieux qu'il est,

N'a pu voir depuis sa naissance,
Que trois fois un nombre parfait (*);

Et tu sais qu'alors il était

Dans les beaux jours de son enfance;

Le quatrième nombre est loin d'avoir paru
Dans les annales de la terre;

Et si jamais il vient se placer dans son ère,

(*) 6, 28, 496 sont les trois premiers nombres parfaits; le quatrième est 8128. Ils sont si rares que l'on n'en trouve qu'un seul, de un à dix, de dix à cent, de cent à mille, de mille à dix mille, de dix mille à cent mille.

Voyez Ozanam, tome Ier. des Récréations mathématiques.

C'est quand elle aura parcouru

Huit mille ans et plus sa carrière.

O globe infortuné! dont la triste poussière,
Et de sang et de pleurs l'inonde chaque jour;
Rentré peut-être alors dans ton premier séjour,
Tu ne gémiras plus des horreurs de la guerre.
Va, retourne au sein du néant

Lui demander en périssant,

La paix que te ravit la céleste colère.

Qu'ai-je dit? Ah plutôt, malheureux criminel,
Tremble; si l'on en croit un sinistre présage,
La main qui te créa va briser son ouvrage ;
A ce penser que tout mortel

Se prosterne, adore et frémisse;
Qu'à son oreille retentisse

Tel que l'airain tonnant cet arrêt solennel,
Plus de temps, plus de grâce, éternité, justice.
Il vient, ce dernier jour, des jours le plus cruel;
Il s'avance, caché dans un sombre nuage;
Mais l'instant où fondra l'orage

Est le secret de l'Eternel.

Dirai-je les malheurs de ce temps déplorable:
Le soleil frémissant aux ténèbres rendu;
Les cris du pécheur éperdu,

Appelant les rochers sur sa tête coupable!
Non, non, à cet aspect qui me glace d'effroi,
Muette de terreur, ma voix tremblante expire;
Mais qu'il me soit permis, pour consoler ma foi,
D'élever mes regards vers l'immortel empire.
Venez, dit le Très-Haut, justes bénis du ciel,
Vous, qui du pauvre obscur accueillant la misère,
Dans cet infortuné reconnûtes un frère ;
Venez, il vous attend dans mon sein paternel.
Le croirois-tu, mon Fils, cette touchante image,
Me rappelle un calcul que je t'ai vu chérir;
Il eut pour auguste apanage

L'heureuse clef des cieux que lui seul peut ouvrir.

9

Ah! qu'il m'est doux ici de t'en donner pour gage
Ces règles dont l'enfance apprend l'utile usage;
Tu les sais; ta mémoire aimant à retenir
Ce que le sentiment confie au souvenir.
L'addition de ses richesses

Doit flatter l'homme généreux
Qui, dans le sein des malheureux,
Aime à répandre ses largesses.
Soustraire au frivole plaisir

L'or que réclame l'indigence,
C'est se préparer à jouir
De la plus douce récompense:
Dans ce calcul intéressant,
Oubliant les maux de la vie,
On apprend bien vite comment
Le vrai bonheur se multiplie;
Et s'il devient facile alors
De s'en assurer par la preuve,
C'est en divisant ses trésors

Entre l'orphelin et la veuve.

« Je conçois bien, me diras-tu,

Le plaisir que l'on goûte à compter de la sorte;
Mais, ma mère, que vous importe

Qu'un problême soit résolu ? »

Que m'importe, mon Fils! et quoi! ce bien suprême
Cette fille du ciel dont les hommes ingrats,
Sous des voiles trompeurs, nous cachent les appas,
La simple vérité que j'honore, que j'aime,

Je puis la découvrir, et ne l'oserai pas!
Moi qui, pour marcher sur ses pas,
Saurois me résigner, hélas!

A feuilleter mon vieux barême....
Va, n'en ris point, ces comptes faits
Aux esprits les plus inquiets,

Défendent hautement le doute et la réplique;
Tandis qu'ailleurs vainement on s'applique
A pénétrer avec succès

Certain problême en politique,

« ForrigeFortsæt »