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Ovide, et même plus haut èncore; car il compte Mécènes lui-même parmi les corrupteurs du goût : Mécènes, cet heureux favori d'Auguste, ce protecteur des lettres qu'il fit fleurir à l'ombre du trône, ce patron de Virgile et d'Horace, qui a transmis son nom à tous ceux qui s'honorent eux-mêmes en honorant la littérature d'une manière éclatante. En effet, celui qui protégea les muses de l'Homère et du Pindare latins, avoit pourtant un très-mauvais goût : l'enthousiasme pour les arts n'en suppose pas toujours le talent et le sentiment; le ministre qui fit goûter à son prince le style si naturel et si vrai de Virgile et d'Horace, n'avoit lui-même qu'un style précieux, maniéré, faux, alambiqué, affecté jusqu'à l'excès. Il nous est resté quelque monumens de ce goût, qui étoit si peu d'accord avec sa conduite. Il étoit impossible qu'à la longue la tournure de son esprit n'influât point sur celle des écrivains qui ambitionnoient son suffrage. Vint ensuite le règne de Tibère, où toutes les pensées furent voilées : l'ambiguité, le tour énigmatique, l'obscurité passèrent de la conversation dans les écrits; et cette finesse d'expression qui dit, et qui ne dit point, si contraire au vrai goût de l'éloquence, et si chère aux esprits gâtés par une vaine subtilité, fut regardée comme le premier de tous les mérites. Les professeurs de rhétorique, appelés déclamateurs, achevèrent de tout perdre : Lucain, Martial et Sénèque, formés par le mauvais esprit de leur siècle, contribuèrent encore à l'augmenter. On peut s'étonner de voir Martial dans cette catégorie; mais voici ce qu'en dit l'abbé Gédoyn : « Tout faiseur d'épigrammes, je dis faiseur de profession, lors même qu'il plaît, ne sauroit manquer de déplaire, en même temps, par l'affectation, qui est inséparablement attachée à cette

sorte d'ouvrage ». Ce genre d'affectation et l'enflure du style sont les deux principaux symptômes de cette maladie épidémique des esprits que l'on appelle le mauvais goût. Il faut encore entendre ici l'abbé Gédoyn : « Un discours naturel et judicieux trouvoit peu d'approbateurs, dit-il; on vouloit des jeux de mots, des pointes d'esprit, de ces obscurités mystérieuses qui laissent à l'auditeur tout le plaisir de la pénétration; ou bien, on vouloit un discours qui fût brillant d'un bout à l'autre ; on croyoit chercher le grand et le merveilleux, mais on ne songeoit pas que cette grandeur étoit plutôt bouffissure que santé, plutôt enflure qu'embonpoint ». Est-ce l'histoire des Romains, est-ce la nôtre qu'il fait?

Y.

X V.

Préceptes de Rhétorique, tires des meilleurs auteurs anciens et madernes; par M. l'abbé GIRARD, ancien professeur d'éloquence.

SI le premier de tous les talens est sans contredit

celui de gouverner les hommes par les règles d'une ferme et sage politique, il semble néanmoins qu'il n'en est pas de plus généralement envié que celui de régner sur les esprits par la parole. Voyez ceux qui, doués des qualités les plus éminentes, brillent avec éclat par d'autres endroits aux yeux de leurs semblables, ils se montrent encore très-jaloux de posséder l'art de bien parler et de bien écrire. Le savant aime à revêtir ses systèmes de toutes les beautés du langage; le grand capitaine veut être

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éloquent dans ses harangues et le récit d'une bataille, comme l'avocat dans ses plaidoyers. Je ne sache pas que Corneille ait ambitionné la gloire qui revenoit à Richelieu de son génie politique, et l'on accuse Richelieu d'avoir jeté un œil d'envie sur le génie poétique de Corneille. Villars aimoit à rapprocher la première couronne littéraire qu'il avoit méritée au collége, de la première victoire qu'il avoit remportée sur les ennemis de sa patrie. Sans doute Buffon n'étoit pas moins occupé d'écrire des pages éloquentes sur la nature que d'en exposer les lois et les phénomènes avec toute l'exactitude d'un physicien. Telle est la haute idée que tous les âges ont conçue du talent de la parole, qu'on a vu les plus beaux génies des temps anciens et modernes donner des préceptes sur les diverses parties de l'art oratoire; il faut nommer ici Aristote, Cicéron, Saint-Augustin, Fénélon; n'oublions pas César qui avoit adressé à l'orateur romain un ouvrage sur la manière de bien écrire en latin.

D'où vient donc que la rhétorique n'occupe pas dans l'opinion le rang qui lui est dû, et que son nom semble rappeler l'emphase et le ridicule. C'est qu'on a été induit à s'en former des idées défavorables; les déclamateurs et quelquefois aussi les rhéteurs l'ont décriée; ceux-ci en attachant une excessive importance à des puérilités, et ceux-là en abusant des ressources dont elle apprend à faire usage. « Je n'entends pas par éloquence ou rhétorique ce qu'on entend d'ordinaire, abusant d'un nom que les pédans et les déclamateurs ont décrié ; je n'entends pas ce qui fait faire ces harangues de cérémonie, et ces autres discours étudiés qui chatouillent l'oreille en passant, et ne font le plus souvent qu'ennuyer;

j'entends l'art de persuader effectivement, soit que l'on parle en public ou en particulier; j'entends ce qui fait qu'un avocat gagne plus de causes qu'un autre, qu'un prédicateur, humainement parlant, fait plus de conversions, qu'un magistrat a été plus fort dans les délibérations de sa compagnie, qu'un négociateur fait un traité avantageux pour son prince, qu'un ministre domine dans les conseils, en un mot, ce qui fait qu'un homme se rend maître des esprits par la parole ». FLEURY, Choix des Études, c. 33.

La rhétorique n'est donc pas l'art frivole d'arranger des mots, de compasser des périodes, et d'orner des pensées vides de sens. La droite raison doit présider à tout, aux productions de l'esprit comme à la conduite ordinaire de la vie : il nous semble que M. Girard donne une idée juste, lumineuse, féconde de la rhétorique, en la définissant l'art de parler de chaque chose d'une manière convenable. C'est bien là, en effet, que se trouve tout le secret de l'éloquence. Supposez un orateur qui, dans ses discours, exprime en termes convenables ce qu'il convient de dire, qui parle un langage approprié au sujet aux personnes, aux temps, aux lieux; dès-lors il est vrai en tout, dans sa pensée, dans le style, dans le ton; il sait instruire, plaire et toucher ; rien ne lui manque de ce qui sert à éclairer, à convaincre, à persuader; il est éloquent.

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Ce beau talent, la nature le donne, et le travail le nourrit, le développe, le porte quelquefois jusqu'à la plus rare perfection. On se tromperoit de croire que les préceptes puissent seuls rendre les hommes éloquens; mais pour me servir des expressions même de notre auteur, « inutilement aussi croiroit-on pouvoir se promettre des succès sans d'autres ressources

que celles de la nature. Seul, il est vrai, le génie est capable des plus grandes choses; il enfante les nobles idées, les sentimens sublimes; seul, il peut faire briller des traits éclatans de lumière, et produire même, si l'on veut, des morceaux vraiment éloquens; mais seul, il ne peut répandre l'intérêt, la grâce et la variété; seul, il ne peut disposer avec intelligence, orner avec goût, exprimer avec justesse ses hautes conceptions; seul, il ne peut composer un discours qui soit vraiment beau dans toutes ses parties. C'est l'expérience de tous les siècles. Les hommes que la nature avoit le plus favorisés, à qui elle avoit départi les plus heureuses dispositions n'ont acquis qu'une gloire médiocre quand l'étude des règles n'a point servi de base à leurs travaux littéraires. Leur génie a pris son essor, à la vérité, et s'est élevé de lui-même; mais il n'a pu se soutenir, et il est tombé bientôt faute d'appui. Ils ont, par intervalle, vivement frappé les esprits et fortement ébranlé les cœurs; mais le jugement, la raison et le goût, dont la perfection est certainement le fruit de l'étude des règles, ne présidoient point à leurs mouvemens, et ils ont fait des écarts et des fautes

monstrueuses ».

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Lorsque M. Girard conçut le projet de donner une nouvelle rhétorique au public, il ne se dissimula pas qu'il existoit plusieurs ouvrages de ce genre, où l'on trouvoit des choses excellentes ; mais les uns lui paroissoient trop volumineux, les autres trop savans; la plupart informes et tronqués. « Un abrégé de préceptes clair, précis, méthodique, où le langage de l'art auroit de la noblesse et de la simplicité, qù les vrais principes de la composition seroient présentés avec intérêt, et cependant mis à la portée des

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