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BABEL.

Comme un énorme écueil sur les vagues dressé,
Comme un amas de tours, vaste et bouleversé,
Voici Babel, déserte et sombre.

Du néant des mortels prodigieux témoin,
Aux rayons de la lune, elle couvrait au loin
Quatre montagnes de son ombre.

Les boas monstrueux, les crocodiles verts,
Moindres que des lézards sur ses murs entr'ouverts,
Glissaient parmi les blocs superbes ;

Et, colosses perdus dans ses larges contours,
Les palmiers chevelus, pendant au front des tours,
Semblaient d'en bas des touffes d'herbes.

Des éléphans passaient aux fentes de ses murs;
Une forêt croissait sous ses piliers obscurs,
Multipliés par la démence;

Des essaims d'aigles roux et de vautours géans
Jour et nuit tournoyaient à ses porches béans,
Comme autour d'une ruche immense.

MALÉDICTION.

-Qu'il pende échevelé, la bouche violette ! Que, visible à lui seul, la Mort, chauve squelette, Rie en le regardant!

Que son cadavre souffre, et vive assez encore

Pour sentir, quand la mort le ronge et le dévore, Chaque coup de sa dent!

Qu'il ne soit plus vivant, et ne soit pas une ame!
Que sur ses membres nus tombe un soleil de flamme,
Ou la pluie à ruisseaux !

Qu'il s'éveille en sursaut chaque nuit dans la brume,
La lutte, et se secoue, et vainement écume

Sous des griffes d'oiseaux !

ÉCOUTEZ! LE CANON GRONDE.

Écoutez !—Le canon gronde,

Il est temps qu'on lui réponde.
Le patient est le fort.
Éclatent donc les bordées!

Sur ces nefs intimidées,
Frégates, jetez la mort !

Et qu'au souffle de vos bouches
Fondent ces vaisseaux farouches,
Broyés aux rochers du port.

La bataille enfin s'allume:
Tout à la fois tonne et fume,
La mort vole où nous frappons.
Là, tout brûle pêle-mêle;

Ici, court le brûlot frêle,

Qui jette aux mâts ses crampons,
Et, comme un chacal dévore
L'éléphant qui lutte encore,
Ronge un navire à trois ponts.

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On s'élance des haubans.
La poupe heurte la proue.
La mêlée a dans sa roue

Rameurs courbés sur leurs bancs,
Fantassins pleurant la terre,

L'épée et le cimeterre,

Les casques et les turbans!

La vergue aux vergues s'attache;
La torche insulte à la hache;
Tout s'attaque en même temps.
Sur l'abîme la mort nage.
Épouvantable carnage!
Champs de bataille flottans,
Qui, battus de cent volées,
S'écroulent sous les mêlées,

Avec tous leurs combattans.

FANTOMES.

I.

Hélas! que j'en ai vu mourir de jeunes filles!
C'est le destin. Il faut une proie au trépas.
Il faut que l'herbe tombe au tranchant des faucilles ;
Il faut que dans le bal les folâtres quadrilles
Foule des roses sous leurs pas.

Il faut que l'eau s'épuise à courir les vallées ;
Il faut que l'éclair brille, et brille peu d'instans;
Il faut qu'avril jaloux brûle de ses gelées
Le beau pommier, trop fier de ses fleurs étoilées,
Neige odorante du printemps.

Oui, c'est la vie. Après le jour, la nuit livide.
Après tout, le réveil, infernal ou divin.

Autour du grand banquet siége une foule avide;
Mais bien des conviés laissent leur place vide,
Et se lèvent avant la fin.

II.

Que j'en ai vu mourir!-L'une était rose et blanche; L'autre semblait ouïr de célestes accords;

L'autre, faible, appuyait d'un bras son front qui penche, Et, comme en s'envolant l'oiseau courbe la branche, Son ame avait brisé son corps.

Une, pâle, égarée, en proie au noir délire,
Disait tout bas un nom dont nul ne se souvient;
Une s'évanouit, comme un chant sur la lyre;
Une autre en expirant avait le doux sourire
D'un jeune ange qui s'en revient.

Toutes fragiles fleurs, sitôt mortes que nées!
Alcyons engloutis avec leurs nids flottans!
Colombes, que le ciel au monde avait données!
Qui, de grâce, et d'enfance, et d'amour couronnées,
Comptaient leurs ans par les printemps !

Quoi, mortes! quoi, déjà sous la pierre couchées ! Quoi! tant d'êtres charmans sans regard et sans voix! Tant de flambeaux éteints! tant de fleurs arrachées !-Oh! laissez-moi fouler les feuilles desséchées,

Et m'égarer au fond des bois !

Doux fantômes! c'est là, quand je rêve dans l'ombre,
Qu'ils viennent tour-à-tour m'entendre et me parler.
Un jour douteux me montre et me cache leur nombre;
A travers les rameaux et le feuillage sombre,
Je vois leurs yeux étinceler.

Mon ame est une sœur pour ces ombres si belles.
La vie et le tombeau pour nous n'ont plus de loi.
Tantôt j'aide leurs pas, tantôt je prends leurs ailes.
Vision ineffable, où je suis mort comme elles,
Elles, vivantes comme moi!

III.

Une surtout:-un ange, une jeune Espagnole !-
Blanches mains, sein gonflé de soupirs innocens,
Un œil noir, où luisaient des regards de créole,
Et ce charme inconnu, cette fraîche auréole
Qui couronne un front de quinze ans.

Non, ce n'est point d'amour qu'elle est morte; pour elle

L'amour n'avait encor ni plaisirs ni combats;
Rien ne faisait encor battre son cœur rebelle;
Quand tous en la voyant s'écriaient: qu'elle est belle!
Nul ne le lui disait tout bas!

Elle aimait trop le bal; c'est ce qui l'a tuée.
Le bal éblouissant! le bal délicieux !
Sa cendre encor frémit, doucement remuée,
Quand dans la nuit sereine, une blanche nuée
Danse autour du croissant des cieux.

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