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déshonorent et scandalisent tout le monde. La France est aux abois ; qu'attendent-ils pour vous parler franchement? que tout soit perdu! Craignentils vous déplaire? ils ne vous aiment donc pas; car il faut être prêt à fâcher ceux qu'on aime plutôt que de les flatter ou de les trahir par son silence. A quoi sont-ils bons, s'ils ne vous montrent pas que vous devez restituer les pays qui ne sont pas à vous, préférer la vie de vos peuples à une fausse gloire, réparer les maux que vous avez faits à l'Église, et songer à devenir un vrai chrétien avant que la mort vous surprenne? Je sais bien que, quand on parle avec cette liberté chrétienne, on court risque de perdre la faveur des rois. Mais votre faveur leur est-elle plus chère que votre salut? Je sais bien aussi qu'on doit vous plaindre, vous consoler, vous soulager, vous parler avec zèle, douceur et respect; mais enfin il faut dire la vérité. Malheur, malheur à eux s'ils ne la disent pas; et malheur à vous si vous n'êtes pas digne de l'entendre! Il est honteux qu'ils aient votre confiance sans fruit depuis tant de temps. C'est à eux à se retirer si vous êtes trop ombrageux, et si vous ne voulez que des flatteurs autour de vous. Vous demanderez peut-être, SIRE, qu'est-ce qu'ils doivent vous dire; le voici: ils doivent vous représenter qu'il faut vous humilier sous la puissante main de Dieu, si vous ne voulez

qu'il vous humilie; qu'il faut demander la paix et expier par cette honte toute la gloire dont vous avez fait votre idole; qu'il faut rejeter les conseils injustes des politiques flatteurs; qu'enfin il faut rendre au plus tôt à vos ennemis, pour sauver l'État, des conquêtes que vous ne pouvez d'ailleurs retenir sans injustice. N'êtes-vous pas trop heureux dans vos malheurs, que Dieu fasse finır les prospérités qui vous ont aveuglé, et qu'il vous contraigne de faire des restitutions essentielles à votre salut, que vous n'auriez jamais pu vous résoudre à faire dans un état paisible et triomphant ? La personne qui vous dit ces vérités, SIRE, bien loin d'être contraire à vos intérêts, donneroit sa vie pour vous voir tel que Dieu vous veut, et elle ne cesse de prier pour vous.

ÉCRITS DIVERS.

SENTIMENT

DE M. FÉNÉLON SUR DIFFÉRENTS TABLEAUX.

Le premier tableau que j'ai vu à Chantilli est une tête de saint Jean-Baptiste, qu'on donne au Titien, et qui est assez petite. L'air de tête est noble et touchant; l'expression est heureuse. Il paroît que c'est un homme qui a expiré dans la paix et dans la joie du Saint-Esprit; mais je ne sais si cette tête est assez morte.

Les amours des dieux me parurent d'abord du Titien, tant c'est sa manière; mais on me dit que ce tableau étoit du Poussin, dans le temps où, n'ayant pas encore pris un caractère original, il imitoit le Titien. Cet ouvrage ne m'a guère touché.

Il y a une autre pièce du même peintre qui me plaît infiniment davantage. C'est un paysage d'une fraîcheur délicieuse sur le devant, et les lointains s'enfuient avec une variété très agréable. On voit par là combien un horizon de montagnes bi

SENTIMENT DE M. de fén. sur difF. TABLEAUX. 427 zarres est plus beau que les coteaux les plus riches, quand ils sont unis. Il y a sur le devant une île dans une eau claire, qui fait plusieurs tours et retours dans des prairies et dans des bocages où l'on voudroit être, tant ces lieux paroissent aimables. Personne, ce me semble, ne fait des arbres comme le Poussin, quoique son vert soit un peu gris. Je parle en ignorant, et j'avoue que ces paysages me plaisent beaucoup plus que ceux du Titien.

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Il y a un Christ avec deux apôtres d'Antonio Moro. C'est un ouvrage médiocre; les airs de tête n'ont rien de noble, et sont sans expression; mais cela est bien peint, c'est une vraie chair.

Le portrait de Moro, fait par lui-même, est bien meilleur. C'est une grosse tête avec une barbe horrible, une physionomie fantasque, et un habillement qui l'est encore plus. Il est enveloppé d'une robe de chambre noire, qui est ample et avec tant de gros plis, qu'on croit le voir suer sous tant d'étoffes.

Il y a une assomption de la Vierge, de WanDyck, qui ne sert qu'à montrer qu'il n'auroit jamais dû travailler qu'en portraits.

On voit deux tableaux faits avec émulation pour feu M. le prince : l'un est Andromède, par Mignard; l'autre est de M. Le Brun, et représente Vénus avec Vulcain qui lui donne des armes pour

428 SENTIMENT DE M. DE FÉN. SUR DIFF. TABLEaux.

Achille. Le premier me paroît foible; l'autre est plus fort, et il a même un plus beau coloris que la plupart des ouvrages de M. Le Brun. Mais ce tableau me paroît peu touchant; la Vénus même n'est point assez Vénus.

Il

y a une Andromède de Jacomo Palme, qui efface bien celle de M. Mignard. Elle est effrayée, et son visage montre tout ce qu'elle doit sentir à la vue du monstre.

Il

y

a une Vénus de Wan-Dick, bien meilleure que celle de M. Le Brun. Mars lui dit adieu, elle s'attendrit. Mars est trop grossier, et elle est trop maniérée.

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