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connoît bien, non-seulement le fond de la poésie, mais encore le but solide auquel la philosophie, supérieure à tous les arts, doit conduire le poète. B. Mais enfin où me menez-vous donc ?

A. Je ne vous mène plus, vous allez tout seul; vous voilà arrivé heureusement au terme. Ne m'avez-vous pas dit que vous ne souffrez point dans votre république des gens oisifs, qui amusent les autres, et qui n'ont point d'autre métier que celui de parler? N'est-ce pas sur ce principe que vous chassez tous ceux qui représentent des tragédies, si l'instruction n'est mêlée au plaisir? Serat-il permis de faire en prose ce qui ne le sera pas en vers? Après cette sévérité, comment pourriez vous faire grâce aux déclamateurs, qui ne parlent que pour montrer leur bel esprit?

B. Mais les déclamateurs dont nous parlons ont deux desseins qui sont louables.

A. Expliquez-les.

B. Le premier est de travailler pour euxmêmes; par là, ils se procurent des établissement honnêtes. L'éloquence produit la réputation, et la réputation attire la fortune dont ils ont besoin.

A. Vous avez déjà répondu vous-même à votre objection. Ne disiez-vous pas qu'il faut non-seulement gagner sa vie, mais la gagner par des occupations utiles au public? Celui qui représen

teroit des tragédies sans y mêler l'instruction, gagneroit sa vie ;.cette raison ne vous empêcheroit pourtant pas de le chasser de votre république. Prenez, lui diriez-vous, un métier solide et réglé ; n'amusez pas les citoyens. Si vous voulez tirer d'eux un profit légitime, travaillez à quelque bien effectif, ou à les rendre vertueux. Pourquoi ne direz-vous pas la même chose de l'orateur?

B. Nous voilà d'accord: la seconde raison que je voulois vous dire explique tout cela.

A. Comment? dites-nous - la donc, s'il vous plaît.

B. C'est que l'orateur travaille même pour le public.

A. En quoi?

B. Il polit les esprits, il leur enseigne l'élo

quence.

A. Attendez. Si j'inventois un art chimérique, ou une langue imaginaire, dont on ne pût tirer aucun avantage, servirois-je le public en lui enseignant cet art ou cette langue?

B. Non, parce qu'on ne sert les autres qu'autant qu'on leur enseigne quelque chose d'utile.

A. Vous ne sauriez donc prouver solidement qu'un orateur sert le public en lui enseignant l'éloquence, si vous n'aviez déjà prouvé que l'éloquence sert elle-même à quelque chose. A quoi servent les beaux discours d'un homme, si ces

discours, tout beaux qu'ils sont, ne font aucun bien au public? Les paroles, comme dit saint Augustin (1), sont faites pour les hommes, et non pas les hommes pour les paroles. Les discours servent, je le sais bien, à celui qui les fait; car ils éblouissent les auditeurs, ils font beaucoup parler de celui qui les a faits; et on est d'assez mauvais goût pour le récompenser de ses paroles inutiles. Mais cette éloquence mercenaire et infructueuse au public doit-elle être soufferte dans l'état que vous policez? Un cordonnier au moins fait des souliers, et ne nourrit sa famille que d'un argent gagné en servant le public pour de véritables besoins. Ainsi, vous le voyez, les plus vils métiers ont une fin solide; et il n'y aura que l'art des orateurs qui n'aura pour but que d'amuser les hommes par des paroles! Tout aboutira donc, d'un côté, à satifaire la curiosité et à entretenir l'oisiveté de l'auditeur; de l'autre, à contenter la vanité et l'ambition de celui qui parle! Pour l'honneur de votre république, monsieur, ne souffrez jamais cet abus.

B. Hé bien! je reconnois que l'orateur doit avoir pour but d'instruire et de rendre les hommes meilleurs.

(1) De Doctr. Christ.

A. Souvenez-vous bien de ce que vous m'accordez là; vous en verrez les conséquences.

B. Mais cela n'empêche pas qu'un homme, s'appliquant à instruire les autres, ne puisse être bien aise en même temps d'acquérir de la réputation et du bien.

A. Nous ne parlons point encore ici comme chrétiens; je n'ai besoin que de la philosophie seule contre vous. Les orateurs, je le répète, sont donc, selon vous, des gens qui doivent instruire les autres hommes, et les rendre meilleurs qu'ils ne sont voilà donc d'abord les déclamateurs chassés. Il ne faudra même souffrir les panégyristes qu'autant qu'ils proposeront des modèles dignes d'être imités, et qu'ils rendront la vertu aimable par leurs louanges.

B. Quoi ! un panégyrique ne vaudra donc rien, s'il n'est plein de morale?

A. Ne l'avez-vous pas conclu vous-même ? Il ne faut parler que pour instruire; il ne faut louer un héros que pour apprendre ses vertus au peuple, que pour l'exciter à les imiter, que pour montrer que la gloire et la vertu sont inséparables. Ainsi il faut retrancher d'un panégyrique toutes les louanges vagues, excessives, flatteuses; il n'y faut laisser aucune de ces pensées stériles qui ne concluent rien pour l'instruction de l'auditeur; il faut que tout tende à lui faire aimer la

vertu. Au contraire, la plupart des panégyristes semblent ne louer les vertus que pour louer les hommes qui les ont pratiquées, et dont ils ont entrepris l'éloge. Faut-il louer un homme? ils élèvent les vertus qu'il a pratiquées au dessus de toutes les autres. Mais chaque chose a son tour: dans une autre occasion, ils déprimeront les vertus qu'ils ont élevées, en faveur de quelque autre sujet qu'ils voudront flatter. C'est par ce principe que je blâmerai Pline. S'il avoit loué Trajan pour former d'autres héros semblables à celui-là, ce seroit une vue digne d'un orateur. Trajan, tout grand qu'il est, ne devroit pas être la fin de son discours : Trajan ne devroit être qu'un exemple proposé aux hommes pour les inviter à être vertueux. Quand un panégyriste n'a que cette vue basse de louer un seul homme, ce n'est plus que la flatterie qui parle à la vanité.

B. Mais que répondrez-vous sur les poëmes qui sont faits pour louer des héros? Homère a son Achille, Virgile son Énée : voulez-vous condamner ces deux poètes?.

A. Non, monsieur; mais vous n'avez qu'à examiner les desseins de leurs poëmes. Dans l'Iliade, Achille est, à la vérité, le premier héros; mais sa louange n'est pas la fin principale du poëme. Il est représenté naturellement avec tous ses défauts; ces défauts même sont un des sujets sur les

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