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mode, et il est certain qu'ils ne dansoient pas pour le seul plaisir. Nous voyons, par l'exemple de David, que les peuples orientaux regardoient la danse comme un art sérieux, semblable à la musique et à la poésie. Mille instructions étoient mêlées dans leurs fables et dans leurs poëmes; ainsi la philosophie la plus grave et la plus austère ne se montroit qu'avec un visage riant. Cela paroît encore par les danses mystérieuses des prêtres, que les païens avoient mêlées dans leurs cérémonies pour les fêtes des dieux. Tous ces arts qui consistent ou dans les sons mélodieux, ou dans les mouvements du corps, ou dans les paroles; en un mot, la musique, la danse, l'éloquence, la poésie, ne furent inventées que pour exprimer les passions et pour les inspirer en les exprimant. Par là on voulut imprimer de grands sentiments dans l'ame des hommes, et leur faire des peintures vives et touchantes de la beauté de la vertu et de la difformité du vice. Ainsi tous ces arts, sous l'apparence du plaisir, entroient dans les desseins les plus sérieux des anciens pour la morale et pour la religion. La chasse même étoit l'apprentissage pour la guerre. Tous les plaisirs les plus touchants renfermoient quelque leçon de vertu. De cette source vinrent dans la Grèce tant de vertus héroïques, admirées de tous les siècles. Cette première institution fut altérée, il

est vrai, et elle avoit en elle-même d'extrêmes défauts. Son défaut essentiel étoit d'être fondée sur une religion fausse et pernicieuse. En cela les Grecs se trompoient, comme tous les sages du monde, plongés alors dans l'idolâtrie; mais s'ils se trompoient pour le fond de la religion et pour le choix des maximes, ils ne se trompoient pas pour la manière d'inspirer la religion et la vertu : y étoit sensible, agréable, propre à faire une vive impression.

tout

C. Vous disiez tout à l'heure que cette première institution fut altérée; n'oubliez pas, s'il vous plaît, de nous l'expliquer.

A. Oui, elle fut altérée. La vertu donne la véritable politesse; mais bientôt, si on n'y prend garde, la politesse amollit peu à peu. Les Grecs asiatiques furent les premiers à se corrompre; les Ioniens devinrent efféminés (1); toute cette côte d'Asie fut un théâtre de volupté. La Crète, malgré les sages lois de Minos, se corrompit de même; vous savez les vers que cite saint Paul (2). Corinthe fut fameuse par son luxe et par ses dissolutions. Les Romains, encore grossiers, commencèrent à trouver de quoi amollir leur vertu rustique. Athènes ne fut pas exempte de cette con

(1) Docet motus ionicos. HoR.

(2) Les fables milésiennes.

tagion; toute la Grèce en fut infectée. Le plaisir, qui ne devoit être que le moyen d'insinuer la sagesse, prit la place de la sagesse même. Les philosophes réclamèrent. Socrate s'éleva, et montra à ses citoyens égarés, que le plaisir dans lequel ils s'arrêtoient ne devoit être que le chemin de la vertu. Platon, son disciple, qui n'a pas eu honte de composer ses écrits des discours de son maître, retranche de sa république tous les tons de la musique, tous les mouvements de la tragédie, tous les récits des poëmes, et les endroits d'Homère même qui ne vont pas à inspirer l'amour des bonnes lois. Voilà le jugement que firent Socrate et Platon sur les poëtes et sur les musiciens; n'êtes-vous pas de leur avis?

B. J'entre tout à fait dans leur sentiment; il ne faut rien d'inutile. Puisqu'on peut mettre le plaisir dans les choses solides, il ne faut point le chercher ailleurs. Si quelque chose peut faciliter la vertu, c'est de la mettre d'accord avec le plaisir; au contraire, quand on les sépare, on tente violemment les hommes d'abandonner la vertu; d'ailleurs, tout ce qui plaît sans instruire, amuse et amollit. Hé bien! ne trouvez-vous pas que je suis devenu philosophe en vous écoutant? Mais allons jusqu'au bout; car nous ne sommes pas encore d'accord.

A. Nous le serons bientôt, monsieur. Puisque

vous êtes si philosophe, permettez-moi de vous faire encore une question. Voilà les musiciens et les poëtes assujettis à n'inspirer que la vertu; voilà les citoyens de votre république exclus des spectacles où le plaisir seroit sans instruction. ferez-vous des devins?

Mais que

B. Ce sont des imposteurs, il faut les chasser. A. Mais ils ne font point de mal. Vous croyez bien qu'ils ne sont pas sorciers; ainsi ce n'est pas l'art diabolique que vous craignez en eux.

B. Non, je n'ai garde de le craindre, car je n'ajoute aucune foi à tous leurs contes; mais ils font un assez grand mal d'amuser le public. Je ne souffre point dans ma république des gens oisifs qui amusent les autres, et qui n'aient point d'autre métier que celui de parler.

A. Mais ils gagnent leur vie par là; ils amassent de l'argent pour eux et pour leurs familles.

B. N'importe; qu'ils prennent d'autres métiers pour vivre; non-seulement il faut gagner sa vie, mais il la faut gagner par des occupations utiles au public. Je dis la même chose de tous ces misérables qui amusent les passants par leurs discours et par leurs chansons; quand ils ne mentiroient jamais, quand ils ne diroient rien de déshonnête, il faudroit les chasser; l'inutilité seule suffit pour les rendre coupables; la police devroit les assujettir à prendre quelque métier réglé.

A. Mais ceux qui représentent des tragédies, les souffrirez-vous? Je suppose qu'il n'y ait ni amour profane, ni immodestie mêlée dans ces tragédies; de plus, je ne parle pas ici en chrétien; répondez-moi seulement en législateur et en phiIosophe.

B. Si ces tragédies n'ont pas pour but d'instruire en donnant du plaisir, je les condamnerois.

A. Bon; en cela vous êtes précisément de l'avis de Platon, qui veut qu'on ne laisse point introduire dans sa république des poëmes et des tragédies qui n'auront pas été examinés par les gardes des lois (1), afin que le peuple ne voie et n'entende jamais rien qui ne serve à autoriser les lois et à inspirer la vertu. En cela vous suivez l'esprit des auteurs anciens, qui vouloient que la tragédie roulât sur deux passions: savoir, la terreur que doivent donner les suites funestes du vice, et la compassion qu'inspire la vertu persécutée et patiente; c'est l'idée qu'Euripide et Sophocle ont exécutée.

B. Vous me faites souvenir que j'ai lu cette dernière règle dans l'Art poétique de M. Boileau. A. Vous avez raison: c'est un homme qui

(1) De legib.

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