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pensée. J'ai moins consulté mes forces que mon zèle pour la compagnie. J'ai peut-être trop dit, quoique je n'aie prétendu dire aucun mot qui me rende partial. Il est temps de me taire :

Phoebus volentem prælia me loqui,
Victas et urbes, increpuit lyrâ,
Ne parva tyrrhenum per æquor
Vela darem.

HORAT. Lib. IV, od. xv, v. 1.

Je suis pour toujours avec une estime sincère

et parfaite, Monsieur, etc.

LETTRE

SUR

LES ANCIENS ET LES MODERNES.

Cambrai, ce 4 mai 1714.

La lettre que vous m'avez fait la grace de m'écrire, Monsieur, est très obligeante; mais elle flatte trop mon amour-propre, et je vous conjure de m'épargner. De mon côté, je vais vous répondre sur l'affaire du temps présent d'une manière qui vous montrera, si je ne me trompe, ma sincérité.

Je n'admire point aveuglément tout ce qui vient des anciens. Je les trouve fort inégaux entre eux. Il y en a peu d'excellents; ceux même qui le sont ont la marque de l'humanité, qui est de n'être pas sans quelque reste d'imperfection. Je m'imagine même que si nous avions été de leur temps, la connoissance exacte des mœurs, des idées des divers siècles et des dernières finesses de leurs

langues, nous auroit fait sentir des fautes que nous ne pouvons plus discerner avec certitude. La Grèce, parmi tant d'auteurs qui ont leurs beautés, ne nous montre au-dessus des autres qu'un Homère, qu'un Pindare, qu'un Théocrite, qu'un Sophocle, qu'un Démosthène. Rome, qui a eu tant d'écrivains très estimables, ne nous présente qu'un Virgile, qu'un Horace, qu'un Térence, qu'un Catulle, qu'un Cicéron. Nous pouvons croire Horace sur sa parole, quand il avoue qu'Homère même se néglige un peu en quelques

endroits.

Je ne saurois douter que la religion et les mœurs des héros d'Homère n'eussent de grands défauts ; il est naturel que ces défauts nous choquent dans les peintures de ce poëte. Mais j'en excepte l'aimable simplicité du monde naissant : cette simplicité de moeurs si éloignée de notre luxe n'est point un défaut, et c'est notre luxe qui en est un très grand. D'ailleurs, un poëte est un peintre qui doit peindre d'après nature, et observer tous les

caractères.

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Je crois que les hommes de tous les siècles ont eu à peu près le même fonds d'esprit et les mêmes talents, comme les plantes ont eu le même suc et la même vertu ; mais je crois que les Siciliens, par exemple, sont plus propres à être poëtes que les Lapons. De plus, il y a eu des pays où les mœurs,

la forme du gouvernement et les études ont été plus convenables que celles des autres pays pour faciliter les progrès de la poésie. Par exemple, les mœurs des Grecs formoient bien mieux des poëtes que celles des Cimbres et des Teutons. Nous sortons à peine d'une étonnante barbarie; au contraire, les Grecs avoient une très longue tradition de politesse et d'étude des règles, tant sur les ouvrages d'esprit que sur tous les beaux-arts.

Les anciens ont évité l'écueil du bel esprit, où les Italiens modernes sont tombés, et dont la contagion s'est fait un peu sentir à plusieurs de nos écrivains d'ailleurs très distingués. Ceux d'entre les anciens qui ont excellé ont peint avec force et grace la simple nature; ils ont gardé les caractères; ils ont attrapé l'harmonie; ils ont su employer à propos le sentiment et la passion. C'est un mérite bien original.

Je suis charmé des progrès qu'un petit nombre d'auteurs a donnés à notre poésie. Mais je n'ose entrer dans le détail, de peur de vous louer en face; je croirois, Monsieur, blesser votre délicatesse. Je suis d'autant plus touché de ce que nous avons d'exquis dans notre langue, qu'elle n'est ni harmonieuse, ni variée, ni libre, ni hardie, ni propre à donner de l'essor, et que notre scrupuleuse versification rend les beaux vers presque impossibles dans un long ouvrage.

En vous exposant mes pensées avec tant de liberté, je ne prétends ni reprendre ni contredire personne; je dis historiquement quel est mon goût, comme un homme dans un repas dit naïvement qu'il aime mieux un ragoût que l'autre. Je ne blâme le goût d'aucun homme, et je consens qu'on blâme le mien. Si la politesse et la discrétion nécessaires pour le repos de la société demandent que les hommes se tolèrent mutuellement dans la variété d'opinions où ils se trouvent pour les choses les plus importantes à la vie humaine, à plus forte raison doivent-ils se tolérer sans peine dans la variété d'opinions sur ce qui importe très peu à la sûreté du genre humain. Je vois bien qu'en rendant compte de mon goût je cours risque de déplaire aux admirateurs passionnés et des anciens et des modernes; mais sans vouloir fâcher ni les uns ni les autres, je me livre à la critique des deux côtés.

Ma conclusion est qu'on ne peut trop louer les modernes qui font de grands efforts pour surpasser les anciens. Une si noble émulation promet beaucoup. Elle me paroîtroit dangereuse si elle alloit jusqu'à mépriser et à cesser d'étudier ces grands originaux. Mais rien n'est plus utile que de tâcher d'atteindre à ce qu'ils ont de plus sublime et de plus touchant, sans tomber dans une imitation servile pour les endroits qui peuvent

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