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B. Je le croirai s'il a raison; je ne jure sur la parole d'aucun maître.

A. Souvenez-vous de cette règle, c'est ce que je demande; pourvu que vous ne vous laissiez point dominer par certains préjugés de notre temps, la raison vous persuadera bientôt. N'en croyez donc ni Isocrate, ni Platon; mais jugez de l'un et de l'autre par des principes clairs. Vous ne sauriez disconvenir que le but de l'éloquence ne soit de persuader la vérité et la vertu.

B. Je n'en conviens pas; c'est ce que je vous ai déjà nié.

A. C'est donc ce que je vais vous prouver. L'éloquence, si je ne me trompe, peut être prise en trois manières : 1° comme l'art de persuader la vérité et de rendre les hommes meilleurs; 2° comme un art indifférent dont les méchants se peuvent servir aussi bien que les bons, et qui peut persuader l'erreur, l'injustice, autant que la justice et la vérité; 3o enfin comme un art qui peut servir aux hommes intéressés à plaire, à s'acquérir de la réputation et à faire fortune. Admettez une de ces trois manières.

B. Je les admets toutes qu'en conclurezvous ?

A. Attendez, la suite vous le montrera; contentez-vous, pourvu que je ne vous dise rien que de clair, et que je vous mène à mon but. De ces

trois manières d'éloquence, vous approuverez sans doute la première.

B. Oui, c'est la meilleure.

A. Et la seconde, qu'en pensez-vous?

B. Je vous vois venir, vous voulez faire un sophisme. La seconde est blâmable par le mauvais usage que l'orateur y fait de l'éloquence, pour persuader l'injustice et l'erreur. L'éloquence d'un méchant homme est bonne en elle-même; mais la fin à laquelle il la rapporte est pernicieuse. Or, nous devons parler des règles de l'éloquence, et non de l'usage qu'il en faut faire; ne quittons point, s'il vous plaît, ce qui fait notre véritable question.

A. Vous verrez que je ne m'en écarte pas, si vous voulez bien me continuer la grace de m'écouter. Vous blâmez donc la seconde manière; et pour ôter toute équivoque, vous blâmez ce second usage de l'éloquence.

B. Bon, vous parlez juste; nous voilà pleinement d'accord.

A. Et le troisième usage de l'éloquence, qui est de chercher à plaire par des paroles, pour se faire par là une réputation et une fortune, qu'en dites-vous?

B. Vous savez déjà mon sentiment, je n'en ai point changé. Cet usage de l'éloquence me paroît honnête; il excite l'émulation et perfectionne les esprits.

A. En quel genre doit-on tâcher de perfectionner les esprits? Si vous aviez à former un état ou une république, en quoi voudriez-vous y perfectionner les esprits?

B. En tout ce qui pourroit les rendre meilleurs. Je voudrois faire de bons citoyens, pleins de zèle pour le bien public; je voudrois qu'ils sussent en guerre défendre la patrie; en paix faire observer les lois, gouverner leurs maisons, cultiver ou faire cultiver leurs terres, élever leurs enfants à la vertu, leur inspirer la religion, s'occuper au commerce selon les besoins du pays, et s'appliquer aux sciences utiles à la vie. Voilà, ce me semble, le but d'un législateur.

A. Vos vues sont très justes et très solides. Vous voudriez donc des citoyens ennemis de l'oisiveté, occupés à des choses très sérieuses, et qui tendissent toujours au bien public?

B. Oui, sans doute.

A. Et vous retrancheriez tout le reste?
B. Je le retrancherois.

A. Vous n'admettriez les exercices du corps que pour la santé et la force? Je ne parle point de la beauté du corps, parce qu'elle est une suite naturelle de la santé et de la force, pour les corps qui sont bien formés.

B. Je n'admettrois que ces exercices-là.

A. Vous retrancheriez donc tous ceux qui ne

serviroient qu'à amuser, et qui ne mettroient point l'homme en état de mieux supporter les travaux réglés de la paix et les fatigues de la guerre ?

B. Oui, je suivrois cette règle.

A. C'est sans doute par le même principe que vous retrancheriez aussi (car vous me l'avez dit) tous les exercices de l'esprit qui ne serviroient point à rendre l'ame saine, forte, belle, en la rendant vertueuse?

B. J'en conviens: que s'ensuit-il de là? Je ne vois pas encore où vous voulez aller; vos détours sont bien longs.

A. C'est que je veux chercher les premiers principes, et ne laisser derrière moi rien de douteux. Répondez, s'il vous plaît.

B. J'avoue qu'on doit, à plus forte raison, suivre cette règle pour l'ame, l'ayant établie pour corps.

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A. Toutes les sciences et tous les arts qui ne vont qu'au plaisir, à l'amusement et à la curiosité, les souffririez-vous? Ceux qui n'appartiendroient ni aux devoirs de la vie domestique, ni aux devoirs de la vie civile, que deviendroient-ils ?

B. Je les bannirois de ma république.

A. Si donc vous souffriez les mathématiciens, ce seroit à cause des mécaniques, de la naviga

tion, de l'arpentage des terres, des supputations qu'il faut faire, des fortifications, des places, etc. Voilà leur usage, qui les autoriseroit. Si vous admettiez les médecins, les jurisconsultes, ce seroit pour la conservation de la santé et de la justice. Il en seroit de même des autres professions dont nous sentons le besoin. Mais pour les musiciens, que feriez-vous? Ne seriez-vous pas de l'avis de ces anciens Grecs qui ne séparoient jamais l'utile de l'agréable? Eux qui avoient poussé la musique et la poésie jointes ensemble à une si haute perfection, ils vouloient qu'elles servissent à élever les courages, à inspirer les grands sentiments. C'étoit par la musique et par la poésie qu'ils se préparoient aux combats; ils alloient à la guerre avec des musiciens et des instruments. De là encore les trompettes et les tambours qui les jetoient dans un enthousiasme et dans une espèce de fureur qu'ils appeloient divine. C'étoit par musique et par la cadence des vers qu'ils adoucissoient les peuples féroces; c'étoit par cette harmonie qu'ils faisoient entrer, avec le plaisir, la sagesse dans le fond des cœurs des enfants: on leur faisoit chanter les vers d'Homère pour leur inspirer agréablement le mépris de la mort, des richesses et des plaisirs qui amollissent l'ame, l'amour de la gloire, de la liberté et de la patrie. Leurs danses mêmes avoient un but sérieux à leur

la

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