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raconte parfaitement; il a même de la grace par la variété des matières; mais son ouvrage est plutôt un recueil de relations de divers pays, qu'une histoire qui ait de l'unité avec un véritable ordre.

Xénophon n'a fait qu'un journal dans sa Retraite des dix mille; tout y est précis et exact, mais uniforme. Sa Cyropédie est plutôt un roman de philosophie, comme Cicéron l'a cru, qu'une histoire véritable.

Polybe est habile dans l'art de la guerre et dans la politique; mais il raisonne trop, quoiqu'il raisonne très bien. Il va au delà des bornes d'un simple historien; il développe chaque événement dans sa cause; c'est une anatomie exacte. Il montre, par une espèce de mécanique, qu'un tel peuple doit vaincre un tel autre peuple, et qu'une telle paix faite entre Rome et Carthage ne sauroit durer.

Thucydide et Tite-Live ont de très belles harangues; mais, selon les apparences, ils les composent au lieu de les rapporter. Il est très difficile qu'ils les aient trouvées telles dans les originaux du temps. Tite-Live savoit beaucoup moins exactement que Polybe la guerre de son siècle.

Salluste a écrit avec une noblesse et une grace singulières; mais il s'est trop étendu en peinture

des mœurs et en portraits des personnes dans deux histoires très courtes..

Tacite montre beaucoup de génie, avec une profonde connoissance des cœurs les plus corrompus; mais il affecte trop une brièveté mystérieuse; il est trop plein de tours poétiques dans ses descriptions; il a trop d'esprit, il raffine trop, il attribue aux plus subtils ressorts de la politique ce qui ne vient souvent que d'un mécompte, que d'une humeur bizarre, que d'un caprice. Les plus grands événements sont souvent causés par les causes les plus méprisables. C'est la foiblesse, c'est l'habitude, c'est la mauvaise honte, c'est le dépit, c'est le conseil d'un affranchi qui décide, pendant que Tacite creuse pour découvrir les plus grands raffinements dans les conseils de l'empereur. Presque tous les hommes sont médiocres et superficiels pour le mal comme pour le bien. Tibère, l'un des plus méchants hommes que le monde ait étoit plus entraîné par ses craintes, que dévus, terminé par un plan suivi.

D'Avila se fait lire avec plaisir; mais il parle comme s'il étoit entré dans les conseils les plus secrets. Un seul homme ne peut jamais avoir eu la confiance de tous les partis opposés. De plus, chaque homme avoit quelque secret qu'il n'avoit garde de confier à celui qui a écrit l'histoire. On ne sait la vérité que par morceaux. L'historien

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qui veut m'apprendre ce que je vois qu'il ne peut pas savoir, me fait douter sur les faits mêmes qu'il sait.

Cette critique des historiens anciens et modernes seroit très utile et très agréable, sans blesser aucun auteur vivant.

IX.

Réponse à une objection sur ces divers projets.

Voici une objection qu'on ne manquera pas de me faire. L'académie, dira-t-on, n'adoptera jamais ces divers ouvrages sans les avoir examinés. Or, il n'est guère vraisemblable qu'un auteur, après avoir pris une peine infinie, veuille soumettre tout son ouvrage à la correction d'une nombreuse assemblée, où les avis seront peut-être fort partagés. Il n'y a donc guère d'apparence que l'académie adopte cet ouvrage.

Ma réponse est courte. Je suppose que l'académie ne l'adoptera point; elle se bornera à inviter les particuliers à ce travail. Chacun d'eux pourra la consulter dans ses assemblées. Par exemple, l'auteur de la rhétorique y proposera ses doutes sur l'éloquence. Messieurs les académiciens lui donneront leurs conseils, et les opinions pourront être diverses. L'auteur en profitera selon ses vues sans se gêner.

Les raisonnements qu'on feroit dans les assemblées sur de telles questions pourroient être rédigés par écrit dans une espèce de journal que M. le secrétaire composeroit sans partialité. Ce journal contiendroit de courtes dissertations, qui perfectionneroient le goût et la critique. Cette occupation rendroit messieurs les académiciens assidus aux assemblées. L'éclat et le fruit en seroient grands dans toute l'Europe.

X.

Il est vrai que l'académie pourroit se trouver souvent partagée sur ces questions; l'amour des anciens dans les uns, et celui des modernes dans les autres, pourroit les empêcher d'être d'accord. Mais je ne suis nullement alarmé d'une guerre civile qui seroit si douce, si polie, et si modérée. Il s'agit d'une matière où chacun peut suivre en liberté son goût et ses idées. Cette émulation peut être utile aux lettres. Oserai-je proposer ici ce que je pense là-dessus?

1o Je commence pår souhaiter que les modernes surpassent les anciens. Je serois charmé de voir dans notre siècle et dans notre nation des orateurs plus véhéments que Démosthène, et des poëtes plus sublimes qu'Homère. Le monde, loin d'y perdre, y gagneroit beaucoup. Les anciens ne

seroient pas moins excellents qu'ils l'ont toujours été, et les modernes donneroient un nouvel ornement au genre humain. Il resteroit toujours aux anciens la gloire d'avoir commencé, d'avoir montré le chemin aux autres, et de leur avoir donné de quoi enchérir sur eux.

2o Il y auroit de l'entêtement à juger d'un ouvrage par sa date.

Et, nisi quæ terris semota, suisque

Temporibus defuncta videt, fastidit, et odit.
Si quia Græcorum sunt antiquissima quæque
Scripta vel optima.

Scire velim pretium chartis quotus arroget annus....
Qui redit ad fastos, et virtutem æstimat annis,
Miraturque nihil, nisi quod Libitina sacravit....
Si veteres ita miratur, laudatque poëtas,

Ut nihil anteferat, nihil illis comparet, errat.

Quod si tam Græcis novitas invisa fuisset,

Quàm nobis, quid nunc esset vetus? aut quid haberet,
Quod legeret, tereretque viritìm publicus usus?

HORAT, Lib. II, ep. 1, v. 21 et seq.

Si Virgile n'avoit point osé marcher sur les pas d'Homère; si Horace n'avoit pas espéré de suivre de près Pindare, que n'aurions-nous pas perdu? Homère et Pindare mêmes ne sont point parvenus tout à coup à cette haute perfection; ils ont eu sans doute avant eux d'autres poëtes

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