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clination et l'estime des gens qui peuvent contenter son avarice ou son ambition; ainsi cela même se réduit encore à une manière de persuasion que l'orateur cherche; il veut plaire pour flatter, et il flatte pour persuader ce qui convient à son intérêt.

B. Enfin vous ne pouvez disconvenir que les hommes ne parlent souvent que pour plaire. Les orateurs païens ont eu ce but; il est aisé de voir dans les discours de Cicéron qu'il travailloit pour sa réputation; qui ne croira la même chose d'Isocrate et de Démosthène ?

Tous les anciens panégyristes songeoient moins à faire admirer leurs héros qu'à se faire admirer eux-mêmes; ils ne cherchoient la gloire d'un prince qu'à cause de celle qui leur en devoit revenir à eux-mêmes pour l'avoir bien loué. De tout temps cette ambition a semblé permise chez les Grecs et chez les Romains; par cette émulation, l'éloquence se perfectionnoit, les esprits s'élevoient à de hautes pensées et à de grands sentiments; par là on voyoit fleurir les anciennes républiques : le spectacle que donnoit l'éloquence, et le pouvoir qu'elle avoit sur les peuples, la rendirent admirable, et ont poli merveilleusement les esprits. Je ne vois pas pourquoi on blâmeroit cette émulation, même dans des orateurs chrétiens, pourvu qu'il ne parût dans leurs discours

aucune affectation indécente; et qu'ils n'affoiblissent en rien la morale évangélique. Il ne faut point blâmer une chose qui anime les jeunes gens, et qui forme les grands prédicateurs.

A. Voilà bien des choses, monsieur, que vous mettez ensemble; démêlons-les, s'il vous plaît, et voyons avec ordre ce qu'il en faut conclure. Surtout évitons l'esprit de dispute; examinons cette matière paisiblement, en gens qui ne craignent que l'erreur, et mettons tout l'honneur à nous dédire dès que nous apercevrons que nous nous serons trompés.

B. Je suis dans cette disposition, ou du moins je crois y être, et vous me ferez plaisir de m'avertir si vous voyez que je m'écarte de cette règle.

A. Ne parlons point d'abord des prédicateurs, ils viendront en leur temps; commençons par les orateurs profanes, dont vous avez cité ici l'exemple. Vous avez mis Démosthène avec Isocrate; en cela vous avez fait tort au premier; le second est un froid orateur qui n'a songé qu'à polir ses pensées et qu'à donner de l'harmonie à ses paroles; il n'a eu qu'une idée basse de l'éloquence, et il l'a presque toute mise dans l'arrangement des mots. Un homme qui a employé, selon les uns, dix ans, et selon les autres, quinze, à ajuster les périodes de son panégyrique, qui est un discours sur les

besoins de la Grèce, étoit d'un secours bien foible et bien lent pour la république contre les entreprises du roi de Perse. Démosthène parloit bien autrement contre Philippe. Vous pouvez voir la comparaison que Denys d'Halicarnasse fait de ces deux orateurs, et les défauts essentiels qu'il remarque dans Isocrate. On ne voit dans celui-ci que des discours fleuris et efféminés, que des périodes faites avec un travail infini pour amuser l'oreille; pendant que Démosthène émeut, échauffe et entraîne les cœurs; il est trop vivement touché des intérêts de sa patrie pour s'amuser à tous les jeux d'esprit d'Isocrate; c'est un raisonnement serré et pressant; ce sont des sentiments généreux d'une ame qui ne conçoit rien que de grand; c'est un discours qui croît et qui se fortifie à chaque parole par des raisons nouvelles ; c'est un enchaînement de figures hardies et touchantes; vous ne sauriez le lire sans voir qu'il porte la république dans le fond de son cœur; c'est la nature qui parle elle-même dans ses transports; l'art y est si achevé, qu'il n'y paroît point; rien n'égala jamais sa rapidité et sa véhémence. N'avez-vous pas vu ce qu'en dit Longin dans son Traité du Sublime?

B. Non, n'est-ce pas ce Traité que M. Boileau a traduit? Est-il beau?

A. Je ne crains pas de dire qu'il surpasse à mon

gré la rhétorique d'Aristote. Cette rhétorique, quoique très belle, a beaucoup de préceptes secs et plus curieux qu'utiles dans la pratique; ainsi elle sert bien plus à faire remarquer les règles de l'art à ceux qui sont déjà éloquents, qu'à inspirer l'éloquence et à former de vrais orateurs; mais le sublime de Longin joint aux préceptes beaucoup d'exemples qui les rendent sensibles. Cet auteur traite le sublime d'une manière sublime, comme le traducteur l'a remarqué; il échauffe l'imagination, il élève l'esprit du lecteur, il lui forme le goût, et lui apprend à distinguer judicieusement le bien et le mal dans les orateurs célèbres de l'antiquité.

B. Quoi! Longin est si admirable! Hé! ne vivoit-il pas du temps de l'empereur Aurélien et de

Zénobie?

A. Oui vous savez leur histoire.

B. Ce siècle n'étoit-il pas bien éloigné de la politesse des précédents? Quoi! vous voudriez qu'un auteur de ce temps-là eût le goût meilleur qu'Isocrate? En vérité, je ne puis le croire.

A. J'en ai été surpris moi-même; mais vous n'avez qu'à le lire : quoiqu'il fût d'un siècle fort gâté, il s'étoit formé sur les anciens, et il ne tient presque rien des défauts de son temps. Je dis presque rien, car il faut avouer qu'il s'applique plus à l'admirable qu'à l'utile, et qu'il ne

rapporte guère l'éloquence à la morale; en cela il paroît n'avoir pas les vues solides qu'avoient les anciens Grecs, surtout les philosophes; encore même faut-il lui pardonner un défaut dans lequel Isocrate, quoique d'un meilleur siècle, lui est beaucoup inférieur; surtout ce défaut est excusable dans un traité particulier, où il parle, non de ce qui instruit les hommes, mais de ce qui les frappe et qui les saisit. Je vous parle de cet auteur, parce qu'il vous servira beaucoup à comprendre ce que je veux dire; vous y verrez le portrait admirable qu'il fait de Démosthène, dont il rapporte des endroits très sublimes; et vous y trouverez aussi ce que je vous ai dit des défauts d'Isocrate. Vous ne sauriez mieux faire pour connoître ces deux auteurs, si vous ne voulez pas prendre la peine de les connoître par eux-mêmes en lisant leurs ouvrages. Laissons donc Isocrate, et revenons à Démosthène et à Cicéron.

B. Vous laissez Isocrate, parce qu'il ne vous convient pas.

A. Parlons donc encore d'Isocrate, puisque vous n'êtes pas persuadé; jugeons de son éloquence par les règles de l'éloquence même, et par le sentiment du plus éloquent écrivain de l'antiquité : c'est Platon; l'en croirez-vous, mon

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