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conversation entre lui et son auditeur; les comparaisons viennent à propos dissiper tous les doutes: nous l'avons vu descendre jusqu'aux dernières grossièretés de la populace pour la redresser. Saint Bernard a été un prodige dans un siècle barbare; on trouve en lui de la délicatesse et de l'élévation, du tour, de la tendresse et de la véhémence. On est étonné de tout ce qu'il y a de beau et de grand dans les Pères, quand on connoît les siècles où ils ont écrit. On pardonne à Montaigne des expressions gasconnes, et à Marot un vieux langage; pourquoi ne veut on point passer aux Pères l'enflure de leur temps, avec laquelle ou trouveroit des vérités précieuses et exprimées par les traits les plus forts?

Mais il ne m'appartient pas de faire ici l'ouvrage qui est réservé à quelque savante main; il me suffit de proposer en gros ce qu'on peut attendre de l'auteur d'une excellente rhétorique. Il peut embellir son ouvrage en imitant Cicéron par le mélange des exemples avec les préceptes. « Les « hommes qui ont un génie pénétrant et rapide, << dit saint Augustin, profitent plus facilement << dans l'éloquence en lisant les discours des << hommes éloquents qu'en étudiant les préceptes << mêmes de l'art. » On pourroit faire une agréable peinture des divers caractères des orateurs, de leurs mœurs, de leurs goûts et de leurs maximes.

Il faudroit même les comparer ensemble, pour donner au lecteur de quoi juger du degré d'excellence de chacun d'entre eux.

V.

Projet de Poétique.

Une poétique ne me paroîtroit pas moins à dé sirer qu'une rhétorique. La poésie est plus sérieuse et plus utile que le vulgaire ne le croit. La religion a consacré la poésie à son usage dès l'origine du genre humain. Avant que les hommes eussent un texte d'Écriture divine, les sacrés cantiques, qu'ils savoient par coeur, conservoient la mémoire de l'origine du monde et la tradition des merveilles de Dieu. Rien n'égale la magnificence et le transport des cantiques de Moïse; le livre de Job est un poëme plein des figures les plus hardies et les plus majestueuses; le cantique des cantiques exprime avec grace et tendresse l'union mystérieuse de Dieu époux avec l'ame de l'homme, qui devient son épouse; les psaumes seront l'admiration et la consolation de tous les siècles et de tous les peuples où le vrai Dieu sera connu et senti. Toute l'Écriture est pleine de poésie dans les endroits même où l'on ne trouve aucune trace de versification.

D'ailleurs, la poésie a donné au monde les pre

mières lois; c'est elle qui a adouci les hommes
farouches et sauvages, qui les a rassemblés des
forêts où ils étoient épars et errants, qui les a
policés, qui a réglé les mœurs, qui a formé les
familles et les nations, qui a fait sentir les dou-
ceurs de la société, qui a rappelé l'usage de la
raison, cultivé la vertu, et inventé les beaux arts;
c'est elle qui a élevé les courages pour
la guerre,
et qui les a modérés pour la paix.

Silvestres homines sacer interpresque Deorum
Cædibus et victu foedo deterruit Orpheus,
Dictus ob hoc lenire tigres rabidosque leones.
Dictus et Amphion, Thebanæ conditor arcis,
Saxa movere sono testudinis, et prece blandâ
Ducere quò vellet. Fuit hæc sapientia quondam,

Sic honor et nomen divinis vatibus, atque
Carminibus venit. Post hos insignis Homerus
Tyrtæusque mares animos in martia bella
Versibus exacuit.

HORAT. Art. poët., v. 391 et seq.

La parole animée par les vives images, par les grandes figures, par le transport des passions et par le charme de l'harmonie, fut nommée le langage des dieux; les peuples les plus barbares mêmes n'y ont pas été insensibles. Autant qu'on doit mépriser les mauvais poëtes, autant doit-on admirer et chérir un grand poëte, qui ne fait point de la poésie un jeu d'esprit pour s'attirer

une vaine gloire, mais qui l'emploie à transporter les hommes en faveur de la sagesse, de la vertu et de la religion.

Me sera-t-il permis de représenter ici ma peine sur ce que la perfection de la versification françoise me paroît presque impossible? Ce qui me confirme dans cette pensée, est de voir que nos plus grands poëtes ont fait beaucoup de vers foibles. Personne n'en a fait de plus beaux que Malherbe; combien en a-t-il fait qui ne sont guère dignes de lui! Ceux même d'entre nos poëtes les plus estimables qui ont eu le moins d'inégalité, en ont fait assez souvent de raboteux, d'obscurs et de languissants; ils ont voulu donner à leur pensée un tour délicat, et il faut la chercher ; ils sont pleins d'épithètes forcées pour attraper la rime. En retranchant certains vers, on ne retrancheroit aucune beauté; c'est ce qu'on remarqueroit sans peine, si on examinoit chacun de leurs vers en toute rigueur.

Notre versification perd plus, si je ne me trompe, qu'elle ne gagne par les rimes : elle perd beaucoup de variété, de facilité et d'harmonie. Souvent la rime, qu'un poëte va chercher bien loin, le réduit à allonger et à faire languir son discours; il lui faut deux ou trois vers postiches pour en amener un dont il a besoin. On est scrupuleux pour n'employer que des rimes riches, et

on ne l'est ni sur le fond des pensées et des sentiments, ni sur la clarté des termes, ni sur les tours naturels, ni sur la noblesse des expressions. La rime ne nous donne que l'uniformité des finales, qui est ennuyeuse, et qu'on évite dans la prose, tant elle est loin de flatter l'oreille. Cette répétition de syllabes finales lasse même dans les grands vers héroïques, où deux masculins sont toujours suivis de deux féminins.

Il est vrai qu'on trouve plus d'harmonie dans les odes et dans les stances, où les rimes entrelacées ont plus de cadence et de variété. Mais les grands vers héroïques, qui demanderoient le son le plus doux, le plus varié et le plus majestueux, sont souvent ceux qui ont le moins cette perfection.

Les vers irréguliers ont le même entrelacement de rimes que les odes; de plus, leur inégalité sans règle uniforme donne la liberté de varier leur mesure et leur cadence, suivant qu'on veut s'élever ou se rabaisser. M. de La Fontaine en a fait un très bon usage.

Je n'ai garde néanmoins de vouloir abolir les rimes; sans elles, notre versification tomberoit. Nous n'avons point dans notre langue cette diversité de brèves et de longues qui faisoit dans le grec et dans le latin la règle des pieds et la mesure des vers. Mais je croirois qu'il seroit à propos de mettre nos poëtes un peu plus au large sur

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