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MÉLANGES

LITTÉRAIRES, PHILOLOGIQUES, CRITIQUES

ET HISTORIQUES.

DES détails géographiques en vers. UN traducteur d'Homère en vers français, et Dieu sait quels vers! n'avait traduit qu'en prose, à la fin du second chant de l'Iliade, le dénombrement des vaisseaux des Grecs et des guerriers qu'ils amenaient devant Troye, ayant regardé, dit-il, ce morceau comme une espèce de table géographique, peu susceptible de l'harmonie des vers.

Je ne crois pas qu'on puisse avancer une hérésie plus forte en poésie. La géographie est au contraire une des sources les plus fécondes des vers harmonieux et des richesses poétiques. A la description des lieux, de leur nature, de leur position, de leur aspect, de leurs distances, de leurs rapports, de leurs contrastes tant physiques que poétiques, du caractère des habitans, de leurs mœurs, de leurs intérêts, elle joint ces souvenirs, ou touchans ou agréables, attachés à de certains Tome III.

A

lieux, ces traits, ces monumens consacrés
par la
Fable ou par l'Histoire; enfin tout ce qui anime
et vivifie. Quoi de plus favorable à la poésie en
fout genre? Dans Homère, dans Virgile, dans
les Métamorphoses d'Ovide, dans Télémaque, etc.
rien de plus magnifique et de plus harmonieux
que les descriptions géographiques. Dira-t-on que
la versification française y répugne ? Voyez com-
ment M. l'abbé Delille a rendu ces détails quand
ils s'offraient à lui dans les Géorgiques.

Nonne vides croceos ut Tmolus odores,
India mittit ebur, molles sua thura Sabæi?
At Chalybes nudi ferrum virosaque Pontus
Castorea, Eliadum palmas Epirus equarum?

Le Tmole est parfumé d'un safran précieux;
Dans les champs de Saba l'encens croît pour les dieux;
L'Euxin voit le castor se jouer dans ses ondes ;

Le Pont s'enorgueillit de ses mines fécondes;
L'Inde produit l'ivoire, et dans ses champs guerriers
L'Épire, pour l'Élide, exerce ses coursiers.

Voilà , pour l'observer en passant, un de ces endroits où le traducteur est comme forcé d'être supérieur à l'original pour les autres endroits où il sera forcé de lui être inférieur. Virgile, par le choix du mot mittit, qui s'applique indistinctement à tous les objets dont il parle, a pu être aussi concis qu'il l'a voulu, et semble avoir cherché

principalement ce mérite. Le traducteur, peut-être faute d'un mot semblable et assez poétique, a été obligé de varier et d'enrichir son énumération. Le Tmole est parfumé de safran ; à Saba, l'encens croît pour les dieux ; l'Euxin voit le castor se jouer ; le Pont s'enorgueillit de ses mines; l'Inde produit l'ivoire; l'Épire exerce ses coursiers. Pas deux traits semblables; variété riche comme celle de la nature dont il s'agissait en effet de peindre la variété dans les différens terrains et dans leurs différentes productions: certainement le poète, qui en pareil cas varie le plus ses tours et ses expressions, est celui qui remporte le prix.

Phasimque Lycumque,

Et caput undè altus primùm se erumpit Enipeus,
Undè pater Tiberinus et undè Aniena fluenta,
Saxosumque sonans Hypanis mysusque Caïcus,
Et gemina auratus Taurino cornua vultu
Eridanus, quo non alius per pinguia culta
In mare purpureum violentior influit amnis.

De là partent le Phase et le vaste Lycus,
Le père des moissons, le riche Caïcus,
L'Énipée orgueilleux d'orner la Thessalie,
Le Tibre encor plus fier de baigner l'Italie;
L'Hypanis se brisant sur des rochers affreux,
Et l'Anio paisible et l'Éridan fougueux.

Si le traducteur n'a pas rendu gemina auratus Taurino cornua vultu, il a bien dédommagé le

lecteur par les beautés qu'il lui a données en échange; il a enrichi le Caïcus; il a surtout beaucoup orné l'Énipée, le Tibre, l'Hypanis, et le rapprochement rend plus sensible le contraste de l'Anio paisible et de l'Éridan fougueux.

Même richesse dans les détails suivans, soit de l'original, soit de la traduction.

Aspice et extremis domitum cultoribus Orbem,
Eoasque domos Arabum pictosque Gelonos;
Divisa arboribus patriæ. Sola India nigrum
Fert ebenum, solis est thurea virga Sabæis.
Quid tibi odorato referam sudantia ligno
Balsamaque et Baccas semper frondentis Acanthi?
Quid nemora Æthiopum molli canentia lanâ,
Velleraque ut foliis depectant tenuia Seres?.....
Aut quos Oceano propior gerit India lucos
Extremi sinus Orbis, ubi aëra vincere summum
Arboris haud ullæ jactu potuere sagittæ,

Et gens illa quidem sumptis non tarda pharetris.....
Sed
neque Medorum sylvæ, ditissima terra,
Nec pulcher Ganges atque auro turbidus Hermus
Laudibus Italiæ certent, non Bactra, neque Indus
Totaque thuriferis Panchaïa pinguis arenis.....

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Fluctibus et fremitu assurgens, Benace, marino.....
Hæc genus acre virûm Marsos pubemque Sabellam,
Assuetumque malo Ligurem Volscosque verutos
Extulit.

De l'aurore au couchant parcourons l'Univers :
Tous les divers climats ont des arbres divers.

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