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OBSERVATIONS

SUR RACINE,

ET INCIDEMMENT SUR CORNEILLE, etc.

On relit tout Racine, on choisit dans Voltaire.

NE supposons pas dans ce trait sur Voltaire, plus

de malignité que l'auteur n'en a voulu mettre, et que la justice ne le permet. Dans tout ce qui abonde, on est forcé de faire un choix, et si Racine avait autant écrit que Voltaire, on choisirait aussi dans Racine; on y choisit même : ses deux premières pièces ne sont pas comptées parmi ses titres de gloire. C'est en vain que Boileau a voulu persuader qu'on vante l'Alexandre en mettant la critique de cet ouvrage dans la bouche d'un sot, et en immolant, en passant, Quinault à son ami Racine. Quinault est resté en possession de la gloire qui lui est propre, et l'Alexandre n'est toujours point vanté. On renvoie même encore dans les deux premiers actes d'Andromaque, quelques scènes à la haute comédie.

Louis Racine, qui, disait-on, faisait des vers à force d'être fils de son père, et qui par la même

raison

raison en a fait de fort bons, Louis, dont un bon auteur latin a dit ingénieusement:

Cujus scripta velit vel pater esse sua,

après avoir dit :

que

En quem relligio sibi vindicat unica vatem ; Louis ne veut pas absolument que son père ait été amoureux de la célèbre Champmeslé; il s'obstine à démentir sur ce point la tradition constante du théâtre, les lettres de Madame de Sévigné, qui attestent l'opinion publique, et le mot connu sur cette actrice, que le tonnerre l'avait déracinée, parce qu'elle avait quitté Racine pour le comte de Tonnerre. Le dévot et janséniste Racine, qui n'avait connu son père dévot et janséniste, prétend que Jean Racine n'a jamais aimé que sa femme, qui ne pouvait concevoir qu'on fût assez abandonné de Dieu pour aller à la comédie, qui n'avait jamais eu la curiosité de lire les pièces de son mari, pas même les pièces composées pour Saint-Cyr, et qui ne voyait dans Lafontaine, qu'un gros homme qui ne parlait pas ou qui parlait mal et qui mangeait mal-proprement. En général, on reproche à Racine de n'avoir peint son père que par de petits côtés, et de n'en avoir fait qu'un petit homme. Il a beau faire, disait Voltaire en le lisant; il ne déshonorera pas son père; trait Tome III.

X

d'autant plus piquant, que jamais fils n'a plus admiré son père, et n'a plus voulu le faire admirer.

par

M. le chancelier de Lamoignon, qui, chez le président de Lamoignon son père, avait beaucoup connu Boileau et un peu Racine, dont il avait surtout beaucoup entendu parler, disait que Boileau était un homme d'humeur, qui lançait un trait boutade et n'y pensait plus, mais que Racine était d'une malignité profonde. D'Alembert racontait souvent que le sage et modéré Fontenelle, au nom de Jean Racine, frémissait d'une vieille indignation que plus d'un demi-siècle n'avait pu calmer, et disait que Racine était un des plus méchans hommes qui eussent existé. Ni ses ouvrages, ni ses lettres, ni sa belle et noble physionomie, ne donnent l'idée d'un pareil caractère: ses épigrammes n'annoncent peutêtre que trop de talent et de goût pour ce genre dangereux. Sa comédie des Plaideurs prouve qu'il avait l'art de saisir et de peindre des ridicules, et qu'il savait faire des vers plaisans.

que

Moins varié Corneille dans ses tragédies, il a cependant toujours l'esprit et retrace toujours les mœurs des sujets qu'il traite; Grec dans Andromaque, dans Iphigénie, dans Phèdre; Romain de la cour de Néron dans Britannicus; ennemi des Romains dans Mithridate; Turc dans Bajazet; il a surtout le cœur israélite dans Esther et dans Athalie; et à tra

vers toutes ces diverses nuances, vous reconnaissez toujours à des allusions fines, à des allégories ingénieuses, à un mélange heureux de délicatesse et de noblesse, le poète par excellence de la cour par excellence, la cour de Louis XIV.

C'est M. de Laharpe qui a érigé le plus superbe monument à la gloire de cet admirable poète : son ouvrage est tout à la fois le plus bel éloge qu'on ait fait de Racine, et peut-être le plus bel éloge qu'ait fait M. de Laharpe, couronné tant de fois dans ce genre. L'analyse surtout qu'il donne d'Andromaque, fait regretter que l'auteur n'ait pu la voir: c'eût été sa plus belle récompense.

Le plan particulier de M. de Laharpe est de montrer partout Racine comme créateur, et de combattre l'idée assez générale, qu'il doit presque tout aux Anciens et à Corneille. « Le Cid, dit-il, avait » été la première époque de la gloire du théâtre français..... Andromaque fut la seconde..... Ce fut une espèce de révolution. »

"

Quelques critiques pourraient arrêter M. de Laharpe sur cette unité d'intérêt si claire et si distincte, selon lui, dans une intrigue qui semblait double, sur " cet art d'entrelacer et de conduire ensemble les » deux branches principales de l'action, de manière qu'elles semblent n'en faire qu'une. Une intrigue qui semblait double! Ne l'est-elle

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pas? diront-ils, ou si l'on a eu tort de reprocher à Andromaque une duplicité d'action, a-t-on eu tort d'y trouver un intérêt trop changeant, trop mobile? Cet intérêt repose principalement sur Andromaque et sur l'amour que Pyrrhus a pour elle, jusqu'à la secon descène du quatrième acte; après quoi Oreste et Hermione s'emparent tellement de tout l'intérêt, que la mort de Pyrrhus n'est un événement que par rapport à eux, et qu'on ne songe plus du tout à Andromaque. Racine avait senti ce défaut, et il faisait revenir Andromaque au cinquième acte; mais elle était devenue si évidemment inutile, qu'il fallut la supprimer.

Tout ce que M. de Laharpe dit du langage des femmes que Racine fait parler, de cette décence, « cette modestie, cette délicatesse, ces formes plus douces et plus touchantes, qui distinguent et embellissent l'expression de tous leurs sentimens, qui » donnent tant d'intérêt à leurs plaintes, tant de

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grâce à leurs douleurs, tant de pouvoir à leurs reproches, et qui ne doivent jamais les abandon»ner, même dans les momens où elles semblent

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le plus s'oublier; » tout cela est écrit en prose comme Racine l'eût écrit en vers; cela s'appelle descendre dans le secret de la composition de Racine; c'est développer aux lecteurs ce qui était dans leur âme, peut-être sans qu'ils le sussent.

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