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double, et jusqu'à ma page favorite se présente plus large. Je crois voir à travers les nuages un jour serein : car le nuage paraît à mes yeux un ciel pur. Quelquefois le jour m'abandonne en plein midi; et alors, quand les ténèbres m'enveloppent, qui me nierait plongé d'avance dans le Tartare? Où est l'insensé qui conseille à l'homme de désirer la vieillesse? vœu déplorable! Mais la vie qu'il appelle l'est cent fois plus. Les maladies s'avancent; mille dangers nous entourent; la table même et tous les plaisirs nous ruinent. Il faut alors arracher son âme à tout ce qui plaît, et cesser de vivre, pour conserver sa vie. Moi, à qui jamais un mets ne fut contraire, aujourd'hui le régime le plus doux me fatigue. J'ai faim, et bientôt je me plaindrai d'avoir mangé; je reste sur mon appétit, et j'en éprouve du malaise. La nourriture qui me fut naguère utile, me devient contraire, et celle que j'aimais tant ne m'inspire plus que du dégoût. Ni Vénus, ni Bacchus, ni tout ce qui a coutume de tromper nos ennuis, ne m'offre à présent aucun charme. Chez moi, la nature languit abandonnée; elle se dissout d'elle-même d'heure en heure, et se ruine par sa propre faute. Les remèdes dont j'éprouvai souvent l'énergie, ne peuvent rien; tout ce qui porte ordinairement quelque secours aux malades, demeure impuissant; l'art succombe, quand la nature périt, et le trépas toujours si triste le devient encore plus par tant de pertes. Ainsi un homme, pour soutenir un édifice qui menace ruine, lutte et entasse étais sur étais : mais le temps délie bientôt toute la machine, et écrase sous les débris tout ce qui voulait en prévenir la chute.

Donec longa dies, omni compage soluta,

Ipsum cum rebus subruat auxilium.

QUID, quod nulla levant animum spectacula rerum,

Nec mala tot vitæ dissimulare licet.

Turpe seni vultus nitidi, vestesque decoræ,
Atque etiam est ipsum vivere turpe senem.
Crimen amare jocos, crimen convivia, cantus:
O miseri, quorum gaudia crimen habent!
Quid mihi divitiæ ? quarum si dempseris usum,

Quamvis largus opum, semper egenus ero.
Imo etiam pœna est partis incumbere rebus,
Quas quum possideas, est violare nefas.
Non aliter sitiens vicinas Tantalus undas
Captat, et appositis abstinet ora cibis.
Efficior custos rerum magis ipse mearum,
Conservans aliis quæ periere mihi :

Sicut in auricomis pendentia plurimus hortis

Pervigil observat non sua poma

draco.

Hinc me sollicitum torquent super omnia curæ ;
Hinc requies animo non datur ulla meo.
Quærere quæ nequeo, semper retinere laboro,
Et retinens semper, nil tenuisse puto.
STAT dubius tremulusque senex, semperque malorum
Credulus; et stultus, quæ facit ipse, timet.
Laudat præteritos, præsentes despicit annos:
Hoc tantum rectum, quod sapit ipse, putat.

Est-il au moins quelque spectacle qui puisse consoler le vieillard, ou lui est-il permis de chercher à voiler tant de maux? C'est une honte pour lui, de soigner sa figure ou ses habits, et on lui reproche même de vivre encore. On lui fait un crime d'aimer les jeux, les festins et les danses; on nous blâme, infortunés que nous sommes, du moindre plaisir. Que m'importent les richesses, si vous m'en ôtez la jouissance? N'est-ce pas rester pauvre au milieu de tous les biens? Que dis-je? c'est un supplice de veiller sur des trésors que l'on possède, mais auxquels on ne saurait toucher sans un sacrilège. Nouveau Tantale, je poursuis dans ma soif brûlante l'eau qui m'entoure, et il me faut jeûner sans cesse au milieu des mets les plus exquis. Gardien plutôt que maître de mes richesses, je conserve pour autrui ce qui n'existe plus pour moi semblable au dragon vigilant, qui se multiplie dans les jardins des Hespérides pour conserver à d'autres les pommes d'or qui en font la richesse. Voilà les soins qui me dévorent d'inquiétudes et qui empêchent mon âme de goûter le moindre repos. Je veux retenir sans cesse ce que je ne saurais plus acquérir, et, sans rien perdre, je ne crois rien sentir entre mes doigts glacés,

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Toujours incertain et tremblant, le vieillard croit toujours à de nouveaux malheurs, et redoute follement des maux qu'il se crée à lui-même. Il loue le passé et dédaigne le présent; il ne trouve qu'en lui seul l'habileté, la science et la sagesse, et cette croyance elle-même n'en

Se solum doctum, se judicat esse peritum ;
Et quod sit sapiens, desipit inde magis.
Multa licet nobis referens, eademque revolvens
Horret, et alloquium conspuit ipse suum.
Deficit auditor, non deficit ipse loquendo:
O sola fortes garrulitate senes!

Omnia necquidquam clamosis vocibus implet:
Nil satis est; horret, quæ placuere modo.
Arridet de se ridentibus, ac sibi plaudens
Incipit opprobrio lætior esse suo.

HÆ sunt primitiæ mortis; his partibus ætas
Defluit, et pigris gressibus ima petit.

Non habitus, non ipse color, non gressus euntis,
Non species eadem, quæ fuit ante, manet.

Labitur ex humeris demisso corpore vestis ;

Quæque brevis fuerat, jam modo longa mihi est. Contrahimur miroque modo decrescimus; ipsa Diminui nostri corporis ossa putes.

Nec cœlum spectare licet, sed prona Senectus
Terram, qua genita est, quam reditura, videt:
Fitque tripes, prorsus quadrupes, ut parvulus infans,
Et per sordentem, flebile, serpit humum.
Ortus cuncta suos repetunt, matremque requirunt;

Et redit ad nihilum, quod fuit ante nihil.
Hinc est quod baculo incumbens ruitura Senectus
Assiduo pigram verbere pulsat humum :

:

constaté que mieux sa folie. Sa conversation serait instructive mais il ennuie parce qu'il se répète, et il est le premier à cracher sur ses discours. Son auditeur se lasse mais lui parle toujours sans se lasser: car la vieillesse, hélas! n'a plus de force que dans la langue! C'est en vain qu'il fait retentir tout de sa voix criarde : rien ne lui suffit; il rejette ce qui lui plut naguère. Il rit à son tour de ceux qui rient de lui, s'applaudit luimême, et finit par trouver du charme à être un objet de raillerie.

Voilà les prémices de la mort; voilà comme notre âge s'écoule et descend à pas lents vers la tombe. Ce n'est plus le même maintien, la même fraîcheur, la même démarche, ni cet aspect qui plaît dans la jeunesse. Les vêtemens qui tombent de nos épaules nous attestent amaigris, et, trop courts autrefois, aujourd'hui ils touchent presque la terre. Nous rapetissons et nous décroissons d'une manière étonnante, comme si les os de notre corps diminuaient. Le vieillard ne peut plus contempler le ciel. Toujours penché, il regarde la terre d'où il est né, où il retournera bientôt; il s'avance à trois pieds, quelquefois à quatre, comme l'enfant à la mamelle, et il rampe tristement dans la fange. Tout rentre au sein qui lui donna la vie, tout redevient néant, comme il l'était dans l'origine. Voilà pourquoi la Vieillesse courbée, pour se soutenir, sur un bâton, frappe continuellement la terre insensible à ses vœux; et tandis qu'elle précipite et multiplie ses pas, je crois la voir ouvrir en ces termes sa bouche chargée de rides : « O ma mère, aie pitié des malheurs de ton fils; reçois-moi dans ton sein,

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