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ment exempts, on se figure généralement que les Romains du temps de Cicéron et de César étaient le peuple le plus policé de l'antiquité; c'est une erreur grave que les écrits de Catulle suffiraient au besoin pour démentir. Enrichis tout à coup par les dépouilles des peuples qu'ils avaient conquis, les Romains ressemblaient à ces gens qui, sortis de la lie du peuple, se trouvent tout à coup à la tête d'une grande fortune; vainement ils déployaient un luxe effréné, vainement ils se couvraient d'or et de pourpre, on voyait toujours percer, à travers cet éclat d'emprunt, la rusticité de leurs mœurs primitives: c'était toujours le peuple de Romulus, ce peuple pasteur et guerrier, qui passait sans transition de la discipline sévère des camps aux excès de la débauche la plus crapuleuse. Un écrivain spirituel a dit :

Græcia capta cepit ferum victorem.

Toutefois les arts de la Grèce, quoique cultivés à cette époque avec une grande faveur, n'avaient point tellement apprivoisé les vainqueurs, qu'il ne leur restât encore beaucoup de leur brutalité soldatesque.

Ce fut au milieu de cette société demi-barbare, demi-civilisée que vécut notre poète, et cette considération ajoute beaucoup au mérite de ses poésies, dont quelques-unes sont des modèles de grâce naïve et de spirituel enjouement qui n'ont point été surpassés depuis.

Caïus Valerius Catullus naquit, selon la Chronique de saint Jérôme, l'an de Rome 667, sous le consulat de Lucius Cornelius Cinna et de Cnéus Octavius. Les savans sont partagés sur le lieu de sa naissance : les uns le placent à Sermione, où il possédait une jolie maison de campagne qu'il a chantée en beaux vers'; les autres à Vérone, et cette opi ́nion, la plus accréditée, s'appuie sur des passages d'Ovide 2,

1. Carm. xxxi ad Sirmionem peninsulam.

2. Lib. 11 Amorum, eleg. 15.

de Pline l'Ancien', d'Ausone, et surtout de Martial, qui a dit positivement, liv. xiv, épigr. 195:

Tantum magna suo debet Verona Catullo,

Quantum parva suo Mantua Virgilio!

Bien qu'il ne soit pas certain que Valerius, son père, appartînt à la famille patricienne de ce nom, il y a tout lieu de croire que c'était un homme au dessus du vulgaire, puisque, au rapport de Suétone3, il était lié à César par des relations d'hospitalité que n'interrompirent pas même les sanglantes épigrammes du fils contre le vainqueur des Gaules. Il paraît que Catulle hérita de son père un assez riche patrimoine, puisqu'il possédait un petit domaine dans la campagne de Tibur4, et sur les bords du lac de Garde, une villa dont les ruines subsistent encore, à ce qu'on croit, à l'extrêmité de la presqu'île de Sermione 5.

Comme la plupart des poètes, Catulle ne sut pas ménager sa fortune. Ami des plaisirs et de la bonne chère, amant volage de ces beautés vénales pour lesquelles se ruinaient les jeunes Romains, il se vit obligé d'engager ses biens pour se procurer de l'argent 6. Le plus souvent sa bourse était vide et pleine de toiles d'araignées, comme il le dit plaisamment dans ses vers à Fabullus 7:

.Tui Catulli

Plenus sacculus est aranearum.

Cet état de gêne ne l'empêcha pas d'être lié avec tout ce que Rome comptait d'hommes distingués à cette époque : Cor

1. Hist. Nat., lib. xxvIII, c. 2.

2. Drepanio Pacato Latino.

3. In Julio, C. LXXIII.

4. Carm. XLIV ad Fundum.

5. Voir le Journal historique des opérations militaires du siège de Peschiera, par F. Hénin, qui donne le plan et la description de la maison de Catulle. 6. Carm. xxvi ad Furium.

7. Carm. XIII ad Fabullum.

nelius Nepos, auquel il dédia son livre, Cicéron, Manlius, Torquatus, Alphenus Varus, savant jurisconsulte, Licinius Calvus, poète et orateur célèbre, et Caton, non pas celui d'Utique, si célèbre par l'austérité de ses mœurs, mais Caton le grammairien, dont Suétone a parlé dans son traité des Grammairiens illustres, ch. xi. Ce fut sans doute pour réparer le délabrement de sa fortune, qu'il fit le voyage de Bithynie à la suite du préteur Memmius'. Ce voyage fut doublement malheureux; car, au lieu d'en revenir plus riche, il en fut pour ses frais de route, qui ne lui furent pas même remboursés: cependant il plaisante sur son infortune avec toute l'insouciance d'un véritable épicurien qui ne regrette dans les richesses que les plaisirs qu'elles eussent pu lui procurer.

Un malheur dont il ne se consola jamais, ce fut la perte d'un frère adoré qui mourut à la fleur de l'âge en parcourant la Troade. A peine instruit de ce cruel évènement, Catulle s'exposa à tous les dangers d'une navigation lointaine pour rendre les derniers devoirs aux restes de son frère; mais il n'eut pas la triste satisfaction de placer ses cendres dans le tombeau de leurs ancêtres. Il a consigné ses regrets en plusieurs endroits de ses ouvrages 3 que l'on ne peut lire sans attendrissement; mais, nulle part, l'expression de sa douleur n'est plus touchante ni plus vraie que dans ce passage de son épître à Manlius (LXVIII) que je ne puis résister au plaisir de citer :

. Hei misero frater adempte mihi!

Hei misero fratri jucundum lumen ademptum!
Tecum una tota est nostra sepulta domus ;
Omnia tecum una perierunt gaudia nostra,
Quæ tuus in vita dulcis alebat amor.

Quem nunc tam longe non inter nota sepulcra,
Nec prope cognatos compositum cineres,

1. Carm. x de Vari scorto.

2. Carm. XXVIII ad Verannium et Fabullum.

3. Carm. c Inferiæ ad fratris tumulum; Carm. LXV ad Hortalum.

Sed Troja obscena, Troja infelice sepultum

Detinet extremo terra aliena solo.

Tels sont à peu près les seuls détails historiques que nous possédions sur la vie de Catulle qui, comme celle de la plupart des gens de lettres, renferme peu d'évènemens importans. Nous n'imiterons donc pas Corradini, qui, dans la vie de notre poète, n'hésite pas à nous donner de lui un signalement aussi exact que s'il eût été fait au bureau des passe-ports: Fuit Catullus, dit-il, facie honesta, colore bono, ore bellulo, ac dentibus albis, fuit et natura vegeti. Il entre ensuite dans l'énumération de ses amis et de ses maîtresses, puis vient le détail minutieux de tous ses voyages, dans lequel nous ne suivrons pas le commentateur italien dont les assertions ne sont fondées sur aucun document certain.

Nous regrettons de ne pouvoir offrir à nos lecteurs que des conjectures sur cette aimable Lesbie que les vers de Catulle ont immortalisée, et qui paraît avoir été l'objet constant de ses affections, malgré les nombreuses distractions qu'il se permit, peut-être pour se venger des infidélités de sa maîtresse. C'est à elle que s'adressent les plus jolies pièces de notre auteur, et toutes les fois qu'il la chante il est heureusement inspiré. Il faut en excepter toutefois celle de ses épigrammes où il lui reproche en termes un peu grossiers de se prêter, au coin des rues, aux amoureux caprices de tous les enfans de Romulus'; ce qui donnerait lieu de soupçonner que, comme celle de Tibulle, sa maîtresse n'était qu'une de ces courtisanes qui se livraient au plus offrant et dernier enchérisseur. Corradini prétend que cette Lesbie était une affranchie de Clodius; mais Apulée, plus rapproché que lui du temps où vivait notre poète, et plus à portée, par conséquent, de recueillir les anecdotes de ce genre, nous apprend que sous le pseudonyme de Lesbia est cachée une certaine Clodia, sœur de ce fougueux Clodius qui tomba sous les coups de Milon, et qui fut l'ennemi personnel de Cicéron. 1. Carm. LVIII ad Cælium.

Ce qu'il y a de certain, c'est que Lesbie était mariée, et que, non content de tromper le mari, Catulle ne lui épargnait pas les épigrammes et même les noms peu flatteurs de stupor et de mulus'. Nouvelle preuve que les anciens étaient beaucoup moins civilisés que les modernes ; car, chez nous, l'amant de la femme est presque toujours l'ami intime du mari.

2

Cependant, au milieu de la vie dissipée qu'il menait à Rome, Catulle conserva toujours les sentimens d'un honnête homme et d'un vrai républicain. De là sa haine contre César, dont il prévoyait sans doute l'usurpation (car il paraît qu'il n'en fut pas témoin), et qu'il accabla d'épigrammes sanglantes, qui, au dire de Suétone imprimèrent au rival de Pompée une honte indélébile. César, soit par une politique habile, soit par un penchant naturel à la clémence, pardonna à notre poète et continua de le faire asseoir à sa table, où, par estime pour son talent, il l'avait toujours admis. Tant, en fait d'opposition, les Romains avaient des idées plus larges que les nôtres !

Mais c'est assez nous occuper de la personne de Catulle, parlons de ses ouvrages. Ce qui nous frappe d'abord en les lisant, c'est l'imitation des formes grecques. Quelques années seulement s'étaient écoulées depuis qu'un édit des censeurs Cnéus Domitius Ahenobarbus et Lucius Licinius Crassus avait banni de Rome les grammairiens et les philosophes grecs, accusés de corrompre la jeunesse ; et pourtant les citoyens les plus distingués de la république, sans même en excepter Caton, s'empressaient à l'envi d'étudier les chefs-d'oeuvre de la Grèce. C'était à qui imiterait ces belles et savantes compositions: Lucrèce reproduisait dans ses vers énergiques la philosophie d'Épicure; Cicéron étudiait dans Démosthène l'art d'émouvoir ses auditeurs ; Salluste écrivait l'histoire de son temps avec le crayon de Thucydide. Ce fut au milieu de cette tendance générale des esprits, que parut Catulle, et il était im

1. Carm. XVII ad Coloniam; Carm. LXXXIV In maritum Lesbiæ. 2. In Julio, c. LXXIII.

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