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possible qu'il échappât à cette influence littéraire; aussi s'était-il tellement imbu du génie de Sapho, d'Anacréon et de Callimaque, que l'on dirait de lui que c'est un Grec qui écrivait en latin. Il ne se borna pas à imiter les idées de ses modèles, il leur emprunta jusqu'à la forme de leurs vers, et dota la prosodie latine de plusieurs mètres qu'elle ne possédait pas encore, surtout dans le genre lyrique et élégiaque. Il réussit d'autant plus facilement dans cette entreprise, qu'il fut mieux secondé par l'espèce de ressemblance et d'homogénéité qui existait entre les deux langues grecque et latine.

Comme la plupart des grands poètes, Catulle commença donc par être imitateur; c'est ainsi qu'il traduisit presque littéralement de Sapho son ode LI, à Lesbie:

Ille mî par esse Deo videtur,
Ille, si fas est, superare Divos,

Qui sedens adversus identidem te
Spectat et audit.

:

Nous assignerons à cette première époque de sa carrière littéraire la pièce intitulée de Coma Berenices, qui n'est, à ce qu'on croit, qu'une imitation du poëme de Callimaque sur le même sujet. Malheureusement il est impossible de comparer la copie à l'original qui n'est pas parvenu jusqu'à nous.

Nous sommes fortement tentés de regarder aussi comme d'origine grecque le fragment de Berecynthia et Aty, qui peutêtre n'est pas de Catulle, mais de Cécilius, son ami, comme semblent le prouver ces vers de la pièce xxxv :

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Ici, selon nous, s'arrêtent les obligations de Catulle envers les Grecs. Vainement quelques commentateurs ont prétendu prouver qu'il leur était encore redevable de son beau poëme des Noces de Thétis et de Pélée', et de l'Epithalame de Manlius

1. Voyez, au sujet de ce poëme, l'analyse que nous en avons donnée dans nos notes, d'après l'abbé Arnaud, page 253.

et de Julie. Cette assertion est dénuée de toute preuve; et tant qu'on ne nous montrera pas les modèles dont ils sont imités, nous aurons le droit de regarder ces deux poëmes comme originaux. Le dernier surtout, l'Épithalame de Manlius, est tellement rempli d'allusions aux mœurs des Romains, qu'il est impossible de ne pas y reconnaître une composition toute latine. Je renvoie, à ce sujet, le lecteur aux excellentes raisons que donne M. Naudet, dans sa Notice sur cet épithalame', pour prouver qu'il appartient en propre à Catulle.

Il nous reste maintenant à parler des élégies et des épigrammes de Catulle. Ses élégies, ou du moins celles de ses pièces auxquelles on est convenu de donner ce nom qui ne convient qu'à un très-petit nombre d'entre elles, sont, selon nous, le plus beau fleuron de sa couronne poétique; c'est là qu'il se montre vraiment original, vraiment lui. « Ce sont, dit La Harpe, de petits chefs-d'œuvre où il n'y a pas un mot qui ne soit précieux, mais qu'il est aussi impossible d'analyser que de traduire. Celui qui pourra expliquer le charme des regards, du sourire, de la démarche d'une femme aimable, celui-là pourra expliquer le charme des vers de Catulle. Les amateurs les savent par cœur, et Racine les citait souvent avec admiration. » C'est là que notre auteur prodigue toutes les grâces d'une poésie élégante à la fois et naïve, un bonheur d'expression qui n'a jamais été surpassé et rarement égalé, surtout ces délicieux diminutifs suaviolum dulcius ambrosia, brachiolum teres puellæ, solatiolum doloris, et turgiduli flendo ocelli, et mille autres passages d'un naturel charmant et inimitable, dont quelques pièces de Marot peuvent seules, en français, nous offrir une idée. Sans doute ceux qui aiment

La plaintive élégie, en longs habits de deuil,

Qui, les cheveux épars, gémit sur un cercueil,.

selon la définition de Boileau, ne trouveront pas dans celles

1. Voyez plus loin, page 245. 2. Cours de Littérature, ch. x.

de Catulle de quoi nourrir leur sensibilité mélancolique ; mais ils ne doivent pas oublier aussi que, selon la définition du législateur du Parnasse,

Elle peint des amans la joie et la tristesse.

En effet, Tibulle et Properce ont donné le titre d'élégies à des pièces qui certes n'ont rien de plaintif. Témoin ce passage de Properce, liv. 11, élég. 15:

O me felicem! o nox mihi candida! et o tu,
Lectule, deliciis facte beate meis! etc.

C'est ainsi que Catulle entendait l'élégie, qui, chez lui, ressemble plus souvent aux odes d'Anacréon qu'aux Tristes d'Ovide. D'ailleurs le nom ne fait rien à l'affaire, et quel que soit celui qu'on donne à ses poésies érotiques, elles n'en sont pas moins ce que la muse latine a produit, si non de plus attendrissant, du moins de plus gracieux en ce genre.

Passer des élégies de Catulle à ses épigrammes, c'est passer d'un élégant boudoir dans un infâme lupanar. On a peine à concevoir qu'un écrivain d'un goût aussi pur, aussi délicat, ait pu se permettre tant de mots grossiers, tant d'expressions révoltantes. Dans ses écrits obscènes, Catulle ressemble aux compagnons d'Ulysse : l'aimable disciple des Muses se change en un immonde pourceau, tant il semble se plaire dans la fange! Nous avons dit plus haut les raisons auxquelles il faut attribuer les excès de Catulle en ce genre: ce défaut, grave sans doute, est moins le sien que celui de son siècle. Toutefois, malgré notre admiration sincère pour Catulle, nous ne saurions le lire sans dégoût lorsqu'il prodigue à ses ennemis les plus sales injures et tout le vocabulaire des mauvais lieux; et nous ne pouvons pour notre part concevoir l'aveuglement de ceux qui, dans l'épigramme, le préfèrent à Martial'. Celui-ci

1. On peut citer à ce propos, et comme un exemple de fanatisme littéraire, ce sénateur vénitien (Novagero était son nom) qui, pour preuve de son mé

sans doute n'est guère plus décent; mais il a mis beaucoup plus d'esprit et de finesse dans ces petits poëmes dont un trait piquant, un mot heureux, souvent même une tournure délicate et naïve font tout le prix.

Ce serait ici le lieu d'examiner si le Pervigilium Veneris, que l'on a souvent attribué à Catulle, est de lui. Mais, pour tout homme qui a étudié le style et la manière de notre auteur, cela ne peut faire question. Il est impossible de reconnaître un poète dont les grâces naturelles sont le principal mérite dans cet ouvrage plein d'afféterie et d'ornemens mignards et superflus. Il paraît d'ailleurs que nous ne possédons pas tous les ouvrages de Catulle. En effet, Pline, dans son Histoire Naturelle (liv. XXVIII, ch. 2), parle d'un poëme sur les enchantemens en amour dont il ne reste pas un mot; et Terentius Maurus cite quelques vers d'un autre poëme qui a également péri. Quant à celui de Ciris, dont quelques savans ont prétendu qu'il était l'auteur, et que plus communément on attribue à Virgile, il n'appartient probablement ni à l'un ni à l'autre.

Jules Scaliger, au liv. vi de son Hypercritique, ou Traité de la Poétique, s'étonne de la qualification de doctus donnée à notre poète par plusieurs écrivains latins, entre autres, Tibulle, Ovide, Martial; et il dit à ce sujet : Catullo DOCTi nomen quare sit at antiquis attributum, neque apud alios comperi, neque in mentem venit mihi; nihil enim non vulgare est in ejus libris. Ce jugement sévère de la part d'un homme aussi en état que Scaliger d'apprécier le mérite de Catulle, est d'autant plus extraordinaire, qu'il était né comme lui à Vérone, et que l'amour-propre national eût dû au moins l'engager à traiter plus favorablement son illustre compatriote. D'ailleurs Scaliger s'est mépris, s'il a cru que, par cette épithète de doctus, les anciens aient voulu désigner l'érudition de Catulle : il oubliait

pris pour Martial et de son admiration pour Catulle, à un certain jour de l'année sacrifiait aux mânes de ce dernier un exemplaire de Martial, qu'il jetait solennellement dans les flammes.

que ce mot s'applique souvent à un homme habile dans un art quelconque. C'est dans ce sens qu'Horace a dit doctus cuntare, et Columelle doctissimus agricola. Mais c'est trop nous appesantir sur une discussion philologique à laquelle Catulle eût sans doute attaché peu d'importance, car il traite de bagatelles (nuga) les productions de sa muse aimable et facile'.

Il ne nous reste plus qu'à parler des éditeurs, des commentateurs et des traducteurs de Catulle; et, certes, rien ne serait plus facile, car il nous suffirait pour cela de copier l'index de l'édition Bipontine avec les additions de Valpy et de Barbier; mais ce serait, ce nous semble, grossir ce volume sans grand profit pour le lecteur : il lui suffira sans doute de savoir que le texte que nous avons suivi est celui de Doëring avec les judicieuses corrections que M. Naudet de l'Institut y a faites dans son excellente édition de Catulle qui fait partie de la Bibliothèque Classique latine de Lemaire, et dont les notes nous ont été fort utiles pour l'intelligence des passages les plus difficiles.

Quant aux traducteurs, notre jugement sur leur compte pourrait paraître suspect, et nous nous abstiendrons d'en parler. Nous ne pouvons toutefois passer sous silence l'estimable travail de M. Noël, qui ne laisserait rien à désirer, si, par un scrupule qui lui fait honneur, mais que nous ne saurions partager, il ne s'était cru obligé de déguiser les passages licencieux de Catulle au point de les rendre souvent méconnaissables. Nous avons fait ailleurs notre profession de foi à cet égard'. Il faut, selon nous, ou rendre un auteur tel qu'il est, avec ses qualités et ses défauts, ou renoncer à le traduire, et surtout ne pas imiter la fausse délicatesse de Pezay, qui, dans son élégante, mais infidèle version de Catulle, change sans cesse Juventius en Juventia, Aufilenus en Aufilena, et donne à un Romain sans pudeur l'air et le ton galant d'un marquis du temps de la Régence.

1. Carm. I ad Cornelium Nepotem.

2. L'Avertissement de notre traduction de l'Art d'Aimer, d'Ovide.

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