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en niant la délicatesse, la vertu, l'intelligence, en les remplaçant par la cupidité, la débauche, l'orgie brutale, le poète a écrit, dans le soulèvement d'un désespoir continu, un livre sincère, mais injuste, troublé, malsain. Misanthrope de la vie coupable, il a méconnu les sentiments du cœur, il n'a rien voulu croire hors de la volupté.

« Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier, dans sa stupidité,
S'éprenant d'un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté 1.

Celui qui veut unir dans un accord mystique
L'ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Ne chauffera jamais son corps paralytique

A ce rouge soleil que l'on nomme l'amour! >>

Ne reconnaissant rien en dehors de la sensation qui brise et tue, Baudelaire a maudit l'amour:

L'Amour et le Crâne.

L'amour est assis sur le crâne
De l'humanité,

Et sur ce trône le profane
Au rire effronté

Souffle gaiment des bulles rondes
Qui montent dans l'air,

Comme pour rejoindre les mondes
Au fond de l'éther.

Le globe lumineux et frêle

Prend un grand essor,

Crève et crache son âme grêle
Comme un songe d'or.

J'entends le crâne à chaque bulle
Prier et gémir:

« Ce jeu féroce et ridicule,
Quand doit-il finir?

Oui, c'est un vieux mensonge à plaisir inventé,

Que de croire à l'amour hors de la volupté

A. DE MUSSET.

Car ce que ta bouche cruelle

Éparpille en l'air,

Monstre assassin, c'est ma cervelle,

Mon sang et ma chair ! »

Ennemi, victime de l'amour, il a célébré les héros, les vainqueurs de l'amour :

Don Juan aux enfers.

Quand don Juan descendit vers l'onde souterraine,
Et lorsqu'il eut donné son obole à Caron,

Un sombre mendiant, l'œil fier comme Antisthène,
D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long frémissement.

Sganarelle, en riant, lui réclamait ses gages,
Tandis que don Luis, avec un doigt tremblant,
Montrait à tous les morts errants sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.

Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Près de l'époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.

Tout droit dans son armure un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir...
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.

Trompé par une fréquentation incessante de sa pensée avec les scènes de honte et de débauche, l'auteur des Fleurs du mal avait le sentiment faux du vice. Cette atmosphère corrompue tenait son esprit dans un état permanent d'exaltation. De là le désordre de quelques-unes de ses inspirations, d'Abel et Cain, par exemple, où le crime est glorifié, où le poète, oubliant qu'il est athée, pousse un cri de révolte et de blasphème contre Dieu.

De là aussi de poignantes révélations. « Il se mêle à ces poésies, imparfaites par là au point de vue absolu de leur auteur, des cris

d'âme chrétienne malade d'infini, qui rompent l'unité de l'œuvre terrible 1. » C'est ainsi qu'en un moment d'insurmontable abattement, le poète, se tournant vers le ciel, s'est écrié :

« Ah! Seigneur, donnez-moi la force et le courage

De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût ! »

Cette absorption mélancolique de ses facultés devait étouffer successivement son intelligence et sa vie. Charles Baudelaire est mort à quarante-six ans, dans une maison de santé.

Les Fleurs du mal sont écrites dans une langue ferme et concise. Une puissance extraordinaire de style et d'imagination anime cette poésie sinistre, déchirante, ce vers brutal condensé, «ce vers qui sue du sang2 », ces rimes habituellement vigoureuses et retentissantes. Mais fallait-il déployer tant de force pour de hideuses et méprisantes réalités ?

1 Barbey d'Aurevilly, les Euvres et les Hommes.

Édouard Thierry.

BANVILLE (THÉODORE DE)

Né en 1820

« Je suis un poëte lyrique, » a dit dans une jolie ballade M. Théodore de Banville 1. L'unité du ton dans la diversité des œuvres fait concorder entre elles toutes ses compositions. Nous en examinerons donc les détails dans une même étude.

Les Cariatides, dont la publication remonte à 1841, eurent un succès immédiat. Ceux qui commençaient à se fatiguer « des farces, des extravagances à froid, des gentillesses apprêtées » des derniers romantiques, applaudirent à cette poésie gaie, spirituelle, voluptueuse, que l'auteur avait eu « le bonheur » d'écrire de sa seizième à sa dix-neuvième année 3.

Les Cariatides, nées d'un besoin d'expansion prodigue, « indiscipliné », ont toute la fougue et l'exubérance de la jeunesse. On reconnaît dans ces vers chaleureux les premiers efforts de l'inspiration soulevée par la pensée. Les idées, confuses encore, se perdent dans un éblouissant désordre de lyrisme. Mais un triple sentiment se dégage de l'ensemble du livre, l'amour du poète pour la coupe, la beauté et la lyre.

Les Cariatides débordent d'exaltation poétique et d'amoureuse idolâtrie. L'auteur y célèbre surtout l'inspiration païenne, la Muse «< chantant des choses nues ». La passion lui dicte ses meilleurs vers. C'est elle qui fait jaillir de son sein cet éclat de joie triomphal :

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« A nous les étoffes soyeuses,
A nous tout l'azur du blason,
A nous les coupes précieuses
Où l'on sent mourir la raison !

A nous les horizons sans voiles,
A nous l'éclat bruyant du jour,
A nous les nuits pleines d'étoiles,
A nous les nuits pleines d'amour!

Trente-six Ballades joyeuses.

2 Jules Levallois, l'Instruction publique, 10 novembre 1878. 3 Préface des Cariatiles.

Les Cariatides, p. 191, édit. in-18, Lemerre.

A nous le zéphyr dans la plaine,

A nous la brise sur les monts,

Et tout ce dont la vie est pleine!

Nous sommes rois, nous nous aimons 1! »

Ce sont, à tout instant, des récits d'amour pleins de juvénile fatuité, des chants de plaisir, des hommages délirants à la beauté phy. sique.

Quelquefois cependant on rencontre des poésies plus calmes et des sentiments plus élevés. Telle la pièce suave et limpide sur l'Amour angélique; telles les strophes A ma mère, où la reconnaissance filiale est exprimée d'une façon charmante.

Signalons aussi A une jeune fille, douce et sincère expansion du cœur, chaste et mélancolique rêverie.

Les Cariatides renferment encore quelques tableaux gracieux et des pensées originales. Phyllis a le parfum d'une églogue antique. Les vers de la Nuit du printemps sont d'une mignardise assez curieuse; mais le poète, en recherchant la délicatesse, est souvent tombé dans le mauvais goût. L'inexpérience poétique se trahit à bien des endroits. Les tournures incorrectes, les déplacements arbitraires de mots, les comparaisons vagues, l'abus de la couleur et des images brillantes y sont très-fréquents.

Dans les Stalactites (1843-1846), la poésie est plus régulière et la pensée mieux définie. « Conçues avec maturité, exécutées avec une certaine gravité de manière », ces pièces sont généralement courtes et concises. Mais si le style a subi une modification importante, le fond est à peu près resté le même. S'inspirant des voluptueuses images de la mythologie grecque, le poète chante encore la Beauté, la Force, l'Amour, la joie, la lumière, les roses 3. Ses compositions ont la même coquetterie voluptueuse; seulement il a mêlé à cette poésie, où

• Chantent les soleils
De la jeunesse, »>

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quelques refrains et imitations de rondes populaires célébrant les vendanges, le vin et « la Sainte Orgie ». Le vers a de l'entrain, de la grâce et de la légèreté. Différentes pièces érotiques montrent une certaine exagération de sentiment ou des étrangetés de ce genre:

« Elle a des rayons d'astre éclos sous sa paupière,
Et je vois aux candeurs de son pied calme et pur
Qu'il a marché longtemps sur les tapis d'azur 6. »

1 Amours d'Elise.

Ibid., p. 103.

Les Stalactites, dédicace.

La Chanson du vin.

Ibid.

• Le Déméloir.

« ForrigeFortsæt »