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Tel Horace s'était formé lui-même. C'est l'æquam mentem tant de fois par lui recommandé. Remarquons fere. Aristippe, nécessairement, devait être quelque peu sensible aux changements, bons ou défavorables; mais cela n'y paraissait guère. « Elle pare tout ce qu'elle porte, » disons-nous de certaines femmes. De même, quoi que fît Aristippe, il le faisait avec une distinction qui ne le quittait jamais. Non inconcinnus.

Il conserve toujours la même grâce aisée,

Qu'il porte habit de cour ou bien tunique usée.
(Vous le voyez porter avec même élégance

Le précieux manteau, l'habit de l'indigence.)

Nous lisons la même chose dans Diogène de Laërte; nous y voyons qu'il savait s'ajuster aux lieux, aux temps, aux personnes', s'identifier, comme un artiste accompli, avec tous les rôles, etc.

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Ce bel esprit de tous les temps,

Cet homme de toutes les heures,

dit Voltaire du président Hénault. Et, en parlant de lui-même. « Je suis redevenu sybarite, et je me

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« Aussi Denys avait-il pour lui une affection toute particulière, parce qu'il s'accommodait de tout; prenant le plaisir quand il se présentait, sans se donner jamais la peine de le poursuivre.» (Diog. de L., Z.)

«On lui demandait quel avantage il avait retiré de la philosophie : Celui, dit-il, de pouvoir converser librement avec tout le monde. »

« Un jour, Denys choqué d'une réponse indépendante qu'il lui avait faite, lui donna la dernière place à table: « Sans doute, lui dit Aristippe, tu as voulu honorer cette place. » (Id.)

« Aristippe, dit un satirique, Timon, distinguait au toucher les bonnes choses des mauvaises. » (Id.)

Il est question ici du manger, etc. Ne pourrait-on pas dire qu'Aristippe avait pour toute chose ce tact merveilleux ?

suis fait un séjour délicieux; mais je vivrais aussi aisément comme Diogène que comme Aristippe. Je préfère un ami à des rois; mais, en préférant une jolie maison à une chaumière, je serais très-bien dans la chaumière. Ce n'est que pour les autres que je vis avec opulence; ainsi je défie la fortune, et je jouis d'un état très-doux et très-libre que je ne dois qu'à moi. » (à Thiériot, 1756. Mourion, 17 mai.)

Comme Horace, de ses adversaires, il fait de Jean-Jacques un Diogène : « C'est un petit Diogène qui ne mérite pas la pitié des Aristippe. » (1769.) Bientôt moins que cela : « Le prétendu philosophe... a cru être Diogène, et à peine a-t-il l'honneur de ressembler à son chien. » (1770.) A la fin, de plus en plus dominé par l'irritation: « Cet inconcevable fou descend en droite ligne du chien de Diogène'. » Horace se contient davantage. Mordacem cynicum, épithète qu'amenait le mot de luimême. Sine vivat ineptus. Ici pitié dédaigneuse, langage bien différent des qualifications grossières, et vraiment cyniques, dont Voltaire poursuit ses adversaires (vermisseau né, etc.), irasci celerem jusqu'aux dernières limites. On ne pourrait guère ajouter, tamen ut placabilis esset.

Un homme, tel qu'Aristippe et ceux qui lui ressemblent, était-il bien au-dessous des supérieurs, avec lesquels il avait des relations? Non pas. Aux grands, aux hommes devenus tels, soit dans le civil,

Jean-Jacque, assez connu par ses témérités,

En nouveau Diogène aboie à nos beautés.

(Ep. à La Harpe.)

soit dans le militaire', ou dans l'un et l'autre ensemble, le premier rang. Rang honorable, glorieux même, à ceux qui leur plaisent. Pourquoi cela? Parce qu'on leur plaît. Chose difficile. Non cuivis... adire Corinthum. Application plaisante du proverbe. Il ne fallait pas seulement de la richesse pour aller à Corinthe, c'est-à-dire, pour s'y faire bien venir, il fallait aussi les dons de l'esprit et du corps, en un mot, le placens. La dernière suivante de la dernière des courtisanes n'y eût pas voulu d'un Diogène1. Il faut de même, pour réussir auprès des grands, virtus, du mérite, c'est-à-dire, dans la signification très-étendue de ce mot, des qualités solides et brillantes; en outre, du tact, de l'habileté, de la persévérance. Souvent des obstacles à vaincre, des intrigues à déjouer. Puissantes rivalités dont vous ne triomphez qu'avec peine. C'est comme une lutte qui demande son genre de force et de courage, une aptitude particulière. Viriliter. Une telle lutte, bien des gens ne la sauraient entreprendre, ou, entreprise, la soutenir jusqu'au bout, la mener à bonne fin. (Perfert. -Parvis animis, l'opposé de virilement.) Donc, quoi de plus juste pour le vainqueur (qui pervenit) que d'aspirer, comme dans les luttes réelles, à quelque prix de la vic

Captos ostendere civibus hostes.

Expression neuve et pittoresque pour désigner le triomphe.

2 M. Félix Pyat, dans son drame, lui donne une amante. Qui? La servante de sa marchande de légumes? Une chiffonnière? (si Athènes en avait`. Non pas mais Aspasie, l'Aspasie de Socrate, de Platon, de Périclès, d'Alcibiade!

On peut voir, du reste, comment l'auteur a motivé cet amour. Réhabilitation complète de Diogène.

toire. Le mérite, couronné du succès, se doit rétritribuer ou par des honneurs ou par des largesses pécuniaires. Cependant, le meilleur moyen pour s'attirer les récompenses auxquelles on a droit, en même temps le moyen le plus digne, c'est de ne pas les demander. Officium facio, dit Aristippe, comme s'il disait, voilà qui demande pour moi. Sollicitation la plus efficace, qui n'abaisse en rien le solliciteur. Tu poscis, ajoute-t-il '.

Comment trouvez-vous cette petite théorie? On peut, même sans interpréter en aussi bonne part l'exposé d'Horace, y reconnaître néanmoins un côté plausible, qui suffit à sa justification. Il fronde ailleurs les moyens beaucoup moins estimables, dont usaient certaines gens pour arriver à la faveur des premiers de l'État, et particulièrement de Mécène. C'est une scène plaisante et naïve, qu'il oppose, sans en avoir l'air, aux attaques de ses détracteurs. La voici :

«

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Mæcenas quomodo tecum?
Paucorum hominum, et mentis bene sanæ.
.... Haberes

Magnum adjutorem, posset qui ferre secundas,
Hunc hominem velles si tradere dispeream, ni
Summôsses omnes. Non isto vivimus illic,
Quo tu rere modo: domus hac nec purior ulla est,
Nec magis his aliena malis....

.... Accendis, quare cupiam magis illi Proximus esse. Velis tantummodo : quæ tua virtus, Expugnabis....

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<< La gueuserie effrontée des philosophes cyniques. » (Socrate chrétien, Voir comme Balzac parle de ces philosophes et de Diogène.

disc. IX.)

Exclusus fuero, desistam; tempora quæram;
Occurram in triviis; deducam. Nil sine magno

Vita labore dedit mortalibus.

(Sat., I, Ix.)

Dans une autre satire, qui est une réponse directe à ses envieux, la vie du livre Ier, Horace s'applaudit des motifs honorables auxquels il doit la bienveillance de Mécène :

Magnum hoc ego duco

Quod placui tibi, qui turpi secernis honestum,
Non patre præclaro, sed vita et pectore puro. (62.)

Ces deux satires datent, la Ix", de l'an 720; la vi", de 724. Le poëte avait alors trente-cinq ans. C'est vers cette même époque, ou de 725 à 730 au plus tard, que je place la composition de l'épître à Scæva. Horace, dans les années postérieures, finit par jouir en paix de la faveur des grands et de l'amitié de Mécène. S'il fut encore attaqué, c'était moins, comme autrefois, sous le prétexte qu'il faisait trop pour Auguste et pour son ministre, que parce qu'il ne faisait pas assez, au moins à l'égard du dernier, suivant les parasites de Mécène et Mécène lui-même, en un de ces moments d'humeur et d'irritation où le jetait sa maladie (voir l'épître vii). Ainsi, de quelque part que vinssent les attaques, des amis ou des ennemis, notre poëte y savait répondre de la manière à la fois la plus adroite et la plus digne, avec un ton spirituellement railleur, qui doublait le succès de la défense. Il n'était pas fâché de montrer qu'il gardait, en un degré convenable, auprès des plus grands, son indépendance (voir épître xix).

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