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être à son imitation)', une réforme analogue dans sa conduite. Réforme plus extérieure qu'intime, quoi qu'il prétende. La règle, en effet, pouvait-elle longtemps diriger cette nature maladive, inquiète, bizarre, souvent égarée par l'orgueil et la vanité qu'il ne dépouilla jamais? Je ne sais quel vice de naissance, qu'aucune éducation n'avait tempéré, suit tout le cours de son existence et l'empoisonne. Et ce furent précisément les dernières années, calmes et sereines pour Horace, que Rousseau passa les plus errantes, les plus malheureuses, terminées enfin par la mort la moins philosophique, loin de ces montagnes natales, où l'on regrette qu'à l'exemple de Voltaire — un étranger— qui leur dut la meilleure part de sa vie, l'auteur d'Émile n'ait pas su, plus heureux encore que son rival, le cœur apaisé, l'esprit sain, goûter au milieu d'une nature aimée la vieillesse d'un sage, comme après un jour mêlé d'orages un couchant doux et consolateur.

Horace, dont la destinée, au reste, avait été beaucoup moins troublée, voulut dignement achever et couronner sa carrière, comme poëte et comme homme non pas, comme homme, en vue de cette autre vie rémunératrice, où tendent les chrétiens, et qu'il ne paraît pas avoir beaucoup espérée; mais par suite de son attachement natif au Verum atque decens (qui pourrait être, en ajoutant le Placens2, la devise de ses actions et de ses ouvrages), et pour

C'est d'Horace qu'il a emprunté l'épigraphe de son premier discours, ce Decipimur specie recti, dont il est, dans ce discours même, et dont il devait être bien souvent une preuve si vivante.

'Le decens suffirait; car n'implique-t-il pas le placens? Gratiæ de

centes.

laisser de lui, dans l'esprit de ses lecteurs, la plus honorable mémoire. Bíos epulos. « Vie réglée en tout selon les lois du rhythme et de l'harmonie. >> (Platon, Rép., III.)

Le précepte de Boileau,

Que votre âme et vos mœurs, peintes dans vos ouvrages,
N'offrent jamais de vous que de nobles images. (A. P., IV.)

pourrait servir d'épigraphe aux épîtres d'Horace
comme aux siennes, avec cette différence que l'un
des peintres, Horace, par l'attrait d'une person-
nalité qui nous intéresse davantage, au point de
nous identifier avec elle; par la sympathie
qu'il
ressent et qu'il inspire, par l'accent de conviction
qui pénètre ses paroles, enfin par le charme insi-
nuant de sa poésie, spirituelle à la fois et cordiale,
rend la vertu plus aimable et plus attirante; en sorte
qu'il exerce sur nous, tout païen qu'il est, un em-
pire plus efficace et plus salutaire que Boileau,
poëte chrétien. C'est, d'ailleurs, un esprit plus lo-
gique, ou du moins, plus artiste. Les épîtres de
Boileau, et nous disons la même chose de toutes
les épîtres françaises, quel qu'en soit l'auteur, se
succèdent au hasard, sans autre ordre que celui des
dates elles n'offrent pas vif intérêt de plus
la suite, la convenance harmonieuse qui rattachent
ensemble les épîtres latines, cette unité dans la va-
riété, que recommandait Horace et que personne
n'a mieux pratiquée.

Facies non omnibus una,

Nec diversa tamen.

La différence entre les deux poëtes éclate surtout

dans leur première épître : l'une, habile entrée en matière, qui vous met aussitôt comme dans l'air et dans la perspective du pays que vous allez parcourir; l'autre, espèce de panégyrique oratoire, tout courtisanesque, ne se rapportant pas à l'ensemble des compositions qu'il précède, ne les reliant pas entre elles. L'épître à Guilleragues, qui rappelle le plus la première d'Horace,

Ainsi donc, philosophe à la raison soumis,

Mes défauts désormais sont mes seuls ennemis :
C'est l'erreur que je fuis; c'est la vertu que j'aime.
Je songe à me connaître, et me cherche en moi-même.
C'est là l'unique étude où je veux m'attacher....
Pour moi, sur cette mer qu'ici-bas nous courons,
Je songe à me pourvoir d'esquif et d'avirons,

A régler mes désirs, à prévenir l'orage,

Et sauver, s'il se peut, ma raison du naufrage. (23-35.)

cette épître ne vient que la cinquième, et d'ailleurs, placée avant les autres, elle n'y préparerait pas, comme celle à Mécène.

Autre différence notable. Ce contraste, chez Horace, entre sa vie passée et la vie nouvelle qu'il se propose de vivre, moins marqué chez Boileau, n'intéresse pas autant. Cela ne pouvait pas être. Boileau n'avait pas eu, comme Horace, cette jeunesse, parfois libertine et dissipée, dont brille un si vif reflet dans les odes; il ne s'était pas laissé non plus entraîner aux tendres faiblesses de Racine, son ami. Toujours sage, très-peu voluptueux, qu'avait-il, vers un certain âge, à répudier du passé? Fort peu de chose, à la satire près, dont encore il ne se départit jamais, le ton satirique persistant dans la plupart de ses épîtres. Il ne lui restait guère qu'à

continuer sa vie, rangée et correcte, telle qu'elle avait toujours été. Il a beau dire qu'au lieu de s'attaquer aux défauts des autres, il n'attaquera plus dorénavant que les siens; cette attaque personnelle, il la fait depuis longtemps, il l'a même toujours faite. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il s'attache uniquement, ainsi qu'Horace, à la recherche du vrai. Quid verum, etc. De bonne heure, autant pour lui-même que pour les autres,

La libre vérité fut toute son étude.

Sans doute Horace aussi n'a jamais cessé de l'apprécier, de la chérir; mais il l'a quelquefois négligée; désormais il lui veut rendre un culte assidu. Fidèle au sentiment des devoirs, il s'en est écarté plus souvent que Boileau dans la pratique. Eh bien ! c'est maintenant ce qu'il s'efforcera d'éviter. Le vieil homme, chez lui, n'était pas assez vicieux pour qu'il le dépouille en entier. Il n'a pas besoin de se transformer, mais seulement de se corriger', de se rendre meilleur. Aussi fait-il. Prenant l'esprit de son âge, il quitte de la jeunesse ce qu'il n'en saurait garder, sans être ridicule, surtout malheureux malheureux de goûts et de passions qu'il ne pourrait point satisfaire, ou qu'il ne satisferait qu'aux dépens de son repos, de sa santé physique et morale. Il restreint plus que jamais ses besoins pour devenir plus indépendant et de luimême et d'autrui. Il dompte cette humeur irasci

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dit Sidner, en parlant de son neveu Florville, le dissipateur. (Chéron, le Tartufe de mours.)

ble, contraire à l'égalité d'âme qu'il veut toujours posséder. Il aspire à demeurer constamment maître de lui-même : il y parvient. On sent, dans la plupart des épîtres, une tranquillité, une satisfaction d'esprit, d'année en année plus complètes, et principalement dues à l'influence de la retraite champêtre qu'il habite plus souvent qu'autrefois. (Latet abditus agro.) C'est surtout la campagne qui le calme, qui le repose, qui l'épure, qui l'affranchit à la fois des choses et des hommes, qui lui donne bien-être et bonheur: c'est d'elle, en grande partie, qu'émanent le charme et l'efficacité des épîtres. Un titre leur conviendrait parfaitement, celui de Sabiniennes, pour faire un poétique pendant aux Tusculanes, et rappeler avec le lieu qui les inspira presque toutes, l'esprit philosophique dont elles sont animées.

C'était une présomption de vertu, aux yeux de Cicéron', que d'être enfant de la Sabine. La Sabine! pays d'antique discipline, mâle et rigide, mais corrigée, adoucie par ce charmant esprit d'Horace, à peu près comme le vin qu'il annonce à Mécène.

Vile potabis modicis Sabinum

Cantharis, Græca quod ipse tetra

Conditum levi.....

(I, xx.)

Cette même Sabine où son ami Virgile plaçait aux

Voy. le commencement d'une lettre à Trébonius. (Famil., xv, 20.) << Instructum fuisse opinor (il s'agit de Numa) non tam peregrinis << artibus quam disciplina tetrica ac tristi veterum Sabinorum : quo genere ◄ nullum quondam incorruptius fuit.» (Tit. Liv., 1, 18.)

Voy. aussi dans Plutarque, Vie de Numa, les chapitres tant de fois cités.

Aspera si visa est rigidasque imitata Sabinas.... (Ovid., Am., III, 4.)

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